(De nos envoyés spéciaux à Toulouse)
Encore une fois, la partie suprême de la compétition nationale
s'est déroulée à l'encontre des prévisions
généralement établies à ce sujet. Faut-il
donc, encore une fois, parler de 1a glorieuse incertitude du sport ? Nous
laissons de côté ce trop vieux cliché, dont on ,peut
d'ailleurs se demander l'exacte signification.
Convenons plutôt tout de suite que l'équipe nairbonnaise,
désavantagée par la voix de la majorité de ceux qui,
par métier ou par goût naturel, risquent en des occasions
semblables leur réputation de prophète, a gagné ce
match de telle façon qu'il serait bien injuste de dire quoi que
ce soit qui puisse atténuer ses mérites.
Trente mille spectateurs
En effet, le fameux terrain des Ponts-Jumeaux, autour duquel se pressait
- s'entassait serait plus juste - une foule d'environ trente mille spectateurs,
fut dimanche le théâtre d'une lutte acharnée, brutale
même, violente à l'excès parfois.
Tout d'abord, l'équipe de l'A.S. Montferrandaise paraît bien
devoir justifier le crédit qu'on lui avait accordé. C'est
elle, en effet, qui, quelques minutes à peine après l'ouverture
des hostilités, étrenne le tableau d'affichage, en conséquence
d'un but sur coup franc que le demi de mêlée Thiers ajuste
de façon splendide, à quarante-cinq mètres des poteaux
narbonnais. Les Auvergnats donnent l'impression très nette qu'ils
ne s'en tiendront pas là. Profitant d'un talonnage supérieur
et d'un jeu de touches longues plus adroites, leurs demis et leurs trois-quarts
attaquent, comme on dit couramment, à jet continu. Les mouvements
offensifs ainsi conçus se développent pour la plus grande
joie des spectateurs et aussi pour le plus grand tracas de la défense
adverse.
Mais alors celle-ci :prouve, clair comme le jour, que c'était
à juste titre qu'on lui avait attribué une solidité
à toute épreuve. Dix fois, vingt fois, les lignes arrière
montferrandaises cherchent à franchir le barrage c'est en vain
; la muraille narbonnaise paraît parfois s'ébrécher
quelque peu, mais toujours un joueur apparaît pour fermer la brèche
par où semblaient pouvoir s'infiltrer les attaques auvergnates.
La première partie du match se passe ainsi à voir, en somme,
les Languedociens s'évertuer à repousser, à grand-peine,
mais avec succès, les offensives de leurs adversaires. Du reste,
il faut bien dire que lorsque les lignes arrière de Narbonne eurent
l'occasion de passer de la défense à l'attaque, elles se
montrèrent moins dignes d'éloges.
En tout cas, les mouvements offensifs qu'elles dessinent paraissent bien
lourds et bien lents, comparés à ce qu'on voit exécuter
du côté adverse. Bien rarement une série de passes
est poussée jusqu'à l'aile. Presque toujours, elle est interrompue
par un coup de pied auquel un centre est obligé -par un adversaire
plus rapide que lui.
Bref, l'équipe du R.C. de Narbonne n'a jamais valu au cours de
la première mi-temps que par une défense quasi invulnérable.
Pour ce qui est de l'attaque, elle a été à peu près
nulle.
Quant au quinze montferrandais, c est autre chose. Il s'est montré,
comme on le supposait, plus riche de ressources offensives que son rival,
auquel il n'a du reste rien cédé sur un point quelconque
du jeu. Et c'est précisément ce qui fait supposer aux spectateurs
qu'il pourra pour le moins vivre jusqu'au coup de sifflet final sur l'avance
de trois points que lui a donnée le merveilleux coup de pied de
Thiers.
Narbonne se décourage
la seconde mi-temps s'engage, et son début confirme l'impression
qu'on avait au repos, c'est-à-dire que les Montferrandais, toujours
supérieurs en mêlée, continuent à attaquer
par passes. Narbonne connaît alors des minutes pénibles.
Mais encore la défense des Languedociens se montre-t-elle à
la mesure de tous les périls. Les avants Cognet et Julien, le premier
surtout, ont beau renforcer puissamment l'action de leurs partenaires
demis et trois-quarts, rien ne peut faire écrouler la résistance
narbonnaise.
N'importe, on en voit pas comment une équipe si souvent attaquée
et d'ailleurs relativement inférieure sous le rapport de l'offensive,
pourra gagner la partie. Aussi le découragement gagne-t-il le coeur
des partisans du R.C. de Narbonne et fait qu'ils ne peuvent ;aère
espérer même un match nul, puisque Montferrand a la direction
des opérations et conserve toujours ses trois points.
Mais le miracle vint
Et... c'est le grand coup de théâtre. Au milieu du terrain,
le ballon sort d'une mêlée du côté languedocien.
La suite n'est pas à craindre pour Montferrand, on a vu si souvent
les Lignes arrière de Narbonne laisser passer pareille occasion
sans en tirer profit.
Mais, cette fois, c'est autre chose. L'attaque par passes s'amorce, se
déroule avec une précision et une vivacité extraordinaires.
On n'en croit pas ses yeux ; le centre Ponsaillié exécute,
avec un brio étourdissant, une feinte le passe qui lui ouvre la
route vers l'essai. Il y parvient sous des acclamations d'autant plus
fortes qu'elles n'avaient pas eu juslu'alors l'occasion de se manifester.
But raté, encore qu'il semblât d'une réussite facile.
N'importe, les Narbonnais sentent qu'ils peurent se tirer d'affaire. Ils
multiplient en conséquence leurs efforts. Au contraire, l'équipe
montferrandaise parait avoir été sérieusement ébranlée
par ce coup que, d'ailleurs, personne n'attendait. Et cette apparence
n'est pas trompeuse : elle s'accuse au contraire de plus enplus.
Encore un quart d'heure de jeu. Les réactions montferrandaises
sont individuelles, par conséquent stériles. Du côté
narbonnais, en revanche, l'équipe donne un plus haut rendenent.
Les mêlées, jusqu'alors stériles, deviennent prolifiques
à souhait.
Montferrand subit maintenant ce qu'il avait fait précédemment
endurer à Narbonne. Mais ce n'est pas avec le même bonheur.
Car, sur me nouvelle attaque de trois-quarts, l'ailier Vals marque triomphalement
l'essai qui assure à son équipe la victoire qui lui apparut
longtemps inaccessible.
Un très grand match ? Non. Il fut trop souvent entaché d'une
violence excessive. Tout de même, une partie passionnante et dont
le résultat fait grand honneur à la vaillance narbonnaise.
Ch. gondouin.
La bataille des Ponts-Jumeaux
Communiqué de l'Etat-Major
EH bien ! Il faut remettre à jour tous les manuels de stratégie.
L'infanterie, en effet, n'est plus la reine des batailles. Les légionnaires
du. Racing Club de Narbonne l'ont démontré devant trente
mille spectateurs, sur le terrain des Ponts-Jumeaux, hier, à Toulouse.
La victoire, après avoir longuement hésité, est finalement
restée à l'armée qui avait la meilleure cavalerie.
Deux exploits de ses chevau-légers valent à Narbonne un
trophée qu'il attendait depuis trente ans.
La bataille s'engagea après un long duel d'artillerie entre les
deux arrières des armées ennemies. La balle volait d'un
camp à l'autre, bien ait-dessus des têtes, à la manière
des balles de tennis qu'échangeaient, à l'ombre du stade,
les tennismen du Stade Français et ceux du Stade Toulousain.
Voyant qu'il n'arrivait rien, le capitaine Savy, chef des légions
arvernes, fit appel à un canonnier d'élite.
" Tu vois ces deux poteaux, là-bas ? dit-il à Thiers.
- Oui, capitaine.
- Tu vois ce boulet ? dit-il encore en désignant la balle.
- Oui, capitaine.
- Tu vas l'expédier entre ces deux poteaux.
- Bien, capitaine.
"Le coup était difficile, le front à ce moment s'était
fixé à quarante-cinq mètres du but qu'on proposait
à l'adresse du canonnier Thiers. N'importe !
Thiers prit la balle et celle-ci, impulsée par un coup de soulier
qui fit passer un frisson le long de l'échine de ceux qui eurent,
au moins une fois dans leur vie, l'occasion de recevoir un coup de pied
au derrière, vola entre les deux poteaux.
Le coup jeta le désarroi dans les rangs ennemis. Les cohortes narbonnaises
parurent frappées de stupeur.
Pendant les deux tiers de la bataille on en resta là. Les naturels
du Massif Central sempblaient désireux de vivre sur le bénéfice
moral de l'exploit d'un des leurs. Peu à peu, ce, pendant, les
Narbonnais réussirent à vaincre l'influence maléfique.
Les fantassins, pendant ce temps, jouaient honnêtement le rôle
de fantassins, qui est de massacrer et de se faire massacrer sans bénéfice
appréciable pour le parti dont ils sont les champions. De temps
en temps on emmenait simplement un mort ou un. grand blessé, à
l'arrière du front.
Soudain, le commandant Lombard, général en chef de Narbonne,
à qui Pignol, blessé, avait délégué
ses pouvoirs, fut touché par la grâce. La muse qui fait les
grands capitaines apparut et le baisa au front.
« Faites donner la cavalerie s, cria-t-il.
Alors, les chevau-légers narbonnais s'ébranlèrent.
Le Catalan Ponsaillé réussit le premier dans sa mission.
Pendant la fouie inextricablement mêlée des fantassins, il
s'en fut porter au coeur même du camp adverse une machine infernale.
A ce coup imprévu, les Montferrandais ne répondirent que
mollement. La cavalerie adverse accentua encore sa pression. Une deuxième
machine, portée par Vais, franchit la ligne fatale montferrandaise.
Alors, l'arbitre siffla la retraite.
« Assez joué pour aujourd'hui s, dit-il aux adversaires exténués
et soufflants.
Maintenant, si vous voulez l'avis d'un gars qui passe sa vie au pied des
rings, on vous dira qu'un boxeur poids lourd doit être supérieurement
entraîné pour jouer à un " jeu" pareil.
Robert Bré.
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