Le Miroir des
Sports N° 942.
(DE NOTRE ENVOYÉ SPECIAL)
Toulouse, dimanche.
VIENNE est champion de France : l'énergie, le cran ont assuré
sa victoire. L'ardeur, le courage de tous les équipiers ont arraché,
puis conservé et consolidé un succès qui, au début
du match, était apparu pourtant bien problématique à
ses partisans. Car voilà bien le trait dominant de la partie :
distancés au bout de B minutes de jeu par 7 points à 0,
les Viennois ne se laissèrent pas aller au découragement
et, à force de volonté, de ténacité, parvinrent
à réduire l'écart, puis à prendre l'avantage.
Véritable petit drame sportif, dans un cadre impressionnant, dans
une ambiance d'une folle excitation, au milieu de spectateurs écrasés
par une chaleur orageuse et qui débordaient de partout, sur la
piste et le long des lignes de touche.
Le publie, composé de Toulousains, de milliers de sportifs venus
de la région, ou mieux encore de partisans arrivés par trains
spéciaux de Vienne et de Clermont-Ferrand. s'intéressait
bruyamment, passionnément. quelquefois même partialement
au déroulement du jeu. Le match n'y gagna pas en démonstration
technique, mais il révéla tout ce que pouvait fournir une
équipe armée d'un dynamisme considérable et d'un
moral farouche.
Comment donc l'Association Sportive Montferrandaise, équipe aguerrie.
rompue à toutes les subtilités du jeu, perdit-elle un match
qu'elle semblait, dès le début. avoir à sa mesure?
D'aucuns diront que l'équipe. réduite à 13 au bout
de quelques minutes de jeu, perdit une bonne partie (le son efficacité
offensive aussitôt que son trois-quarts centre Bellot ne plat plus
tenir sa place. Cela n'est pas stars vérité ; mais tout
de même cette défection n'explique pas à elle seule
la domination nue finit par subir l'équipe montferrandaise.
Dans une rencontre de cette envergure, dans une atmosphère toute
à ]'énervement et à la passion, il ne s'agissait
plus de pratiquer cri rugby en finesse et en élégance :
il fallait soutenir un véritable combat et c'est là que
l'action unanime et collective de Vienne prévalut sur celle trop
molle ou trop personnelle des Montferrandais. Car les champions du ('entre
temporisaient : leur jeu de passes trop inconsistant le entraînait
dans lui rugby trop latéral. dans nue action un peu sur place,
'alors qu'au contraire les Viennois, sans aucun calcul et sans autre réflexion.
allaient toujours de l'avant. Leur action directe eut finalement beau
jeu à prévaloir (laits tics conditions assez particulières.
Enfin. l'A. S. Montterrandaise commit une erreur
de tactique qui précipita sa perte : pour remplacer le trois-quarts
centre Bellot, mis hors (le combat, elle retira du poste de demi de mêlée
son meilleur atout Thiers. Du coup. le malheureux. réduit à
un rôle passif et secondaire dans une ligne de trois-quarts mal
servie, ne fut plus (lue d'un médiocre secours pour sou équipe
et il ne fut pas, pour elle, son réalisateur habituel.
Une première mi-temps émouvante
L'équipe viennoise a fait l'admiration des spectateurs quand, distancée
par le hasard de deux coups de pied, elle fit front courageusement à
l'orage et repartit de plus belle à l'assaut. Au bout de 3 minutes
de jeu, en effet, à la suite d'un coup franc accordé très
justement par l'arbitre, M. Barde. Thiers réussissait le but qui,
par 3 à 0, donnait déjà l'avantage à l'A.
S. Montferrandaise. Quatre minutes après. à la suite d'une
sortie de mêlée, le demi d'ouverture Chassagne. ait lieu
de poursuivre l'attaque à la main comme le prévoyaient les
défenseurs viennois, tentait et réussissait du pied gauche
un drop goal. Il y eut un moment de stupeur, aussi bien chez les Viennois
que chez les spectateurs : 7 peints en 6 minutes, voilà qui constituait,
en effet. un début peu banal ! D'aucuns entrevoyaient même
une véritable catastrophe pour les Viennois... Mais on connaît
la suite ; on connaît cette réaction d'une vigueur stupéfiante
et d'une extraordinaire énergie qui devait renverser la situation
et faire du C. S. Vienne le nouveau champion de France.
A la vingt-cinquième minute, une sortie de mêlée était
favorable à l'équipe de Vienne ; la balle allait du demi
Laurent à Vauthiers, puis à Pepv. à Devgas. et à
l'ailier Barry qui débordait la défense adverse et filait
le long de la touche. Arrivé en face de l'arrière ennemi
Savy, il repassait la balle à Deygas et et c'était l'essai,
marqué sous les acclamations du public déjà bien
disposé pour les Viennois en raison de leur courage, un peu acquis
à leur cause en vertu de leur infortune du début et. enfin
agréablement impressionné par la qualité et le style
du mouvement.
Quelques secondes avant la mi-temps, un autre essai était marqué
par l'avant Delhom, à la suite de toute une série de passes
: Vienne prenait donc le commandement par 10 à 7. Aussitôt,
les petits drapeaux bleu riel et blanc aux couleurs du club viennois sortaient
de partout ; ils étaient agités à bout de bras, cependant
que les insignes bleu foncé et jaune se faisaient plus discrets...
La seconde mi-temps consacra la supériorité des Viennois
qui avaient la balle le plus souvent : leur
action incisive reportait les hostilités dans le camp adverse et
le jeu ne pouvait en sortir qu'à la faveur (les réactions
individuelles de Thiers. de Savy ou de Cognet. mais ces réactions,
ébauchées. si je puis (lire, sons le signe du désespoir.
échouaient fatalement sur une défense toujours vive et prompte.
Bien mieux, un quart d'heure ayant la tin, à uni remise en jeu
à la touche. Cognet se laissait enlever la balle des mains par
son adversaire Pallia ; celui-ci filait et passait à Comte qui
ajoutait un nouvel essai au score dis vainqueurs. Du coup, le résultat
était bien acquis et Vienne l'emportait par 13 à 7.
La vertu de l'effort collectif
aUne première mi-temps à fortes émotions, une ambiance
troublante par son agitation, par la passion admirative des spectateurs
remplissant à plus de 30.000 un stade déjà trop petit,
voilà ce qui, abord, avait frappé l'observateur. Mais ensuite,
quand il s'agit d'analyser, d'étudier, de détailler les
mérites dis vainqueurs, on est un peu surpris de ne voir venir
ait bout de la plume aucun nom de préférence à un
autre. Rien, en effet, n'était personnel chez l'équipe viennoise.
Tout semblait destiné à la réussite de l'équipe
: l'effort était vraiment collectif. La mêlée tint
d'abord tête à sa rivale et puis, progressivement mais franchement,
elle la domina. Comme on voyait qu'elle avait subi la préparation
d'un manager Comme on voyait que son entraîneur. l'ancien international
Etcheberry, l'avait façonnée à soir école
! Elle constituait un bloc admirable contre lequel s'usa la science des
Montferrandais. Il y eut peutêtre un joueur qui parfois sortit de
cet ensemble bleu ciel et blanc : l'avant Theau. dais on se demande si,
en ii observant pas la règle viennoise, Theau n'obéissait
pas à sa charge de capitaine et au souci (le commander et de diriger
son équipe. Avisé, il prêtait main-forte à
ses trois-quarts. se plaisant par ailleurs à troubler le jeu des
attaquants adverses par dis interventions précipitées.
Chez les arrières, l'action était rapide, sobre, prompte
et terriblement efficace. La défense dis lignes brisa à
tout coup lis assauts les mieux combinés des Montferrandais. Ni
les astuces de Cognet, ni lis subtilités de Chassagne. ni les départs
de Thiers ne purent prévaloir sur une équipe dont la caractéristique
était. en dehors de l'homogénéité. la vitesse.
Un mouvement exécuté par les Montferrandais s'arrêtait-il
? Aussitôt. les trois-quarts viennois Deygas, Pepy passaient à
la contre-attaque la riposte était vive et immédiate. A
ce jeu, les Montferrandais eurent vite fait de perdre pied.
En quelques circonstances, cependant, on eut la
sensation que l'arrière Puyo manquait de sûreté et
que l'équipe était alors vulnérable en cc point.
Mais Puvo ne s'en tirait pas moins de toutes les situations les plus périlleuses
et réussissait toujours. tant hier] que mal, à dégager
le ballon en touche.
Ainsi donc, une équipe sans vedettes. niais un groupement extrêmement
homogène, jouant avec le véritable esprit d'équipe,
animé du moral des combattants ; uni équipe faite d'éléments
tous en excellente condition physique a battu aujourd'hui une équipe
de vedettes. En vain, on chercherait après le match à désigner
un homme plus méritant que ses camarades ; peine inutile, chez
les Viennois, pas de super-champions, niais aussi pas de trous !
Voilà sans doute qui explique. non seulement leur victoire si nette
d'aujourd'hui, mais encore la suite de leurs succès. Sans crier
gare. les Viennois ont, en effet, battu en huitième de finale l'Aviron
Bayonnais, par 14 à 0 : en quart de finale, ils ont défait
Narbonne, tenant du titre, par 7 à 3 : en demi-finale, ils l'ont
emporté, 12 à 4, sur le Lyon Olympique, et enfin, après
ces trois champions de France, c'était aujourd'hui au tour de la
glorieuse A. S. Montferrandaise d'être sa victime.
Les Montferrandais pourront regretter, pour leur part, la blessure de
leur trois-quarts centre Bellot. Mais, tout de même, il n'y avait
pas continuité parfaite dans l'action de chacun des quinze joueurs
de l'équipe. ; la fatigue, le manque de conviction tirent le reste,
surtout à la fin, lorsque des réactions. au demeurant bien
amorcées, étaient poursuivies comme au petit trot par des
joueurs qui semblaient résignés à leur perte.
L'an dernier les Montferrandais s'étaient déjà inclinés
devant Narbonne en finale, sur ce même terrain de Toulouse. La finale
de cette année est pour eux une répétition de celle
de l'an dernier. comme si vraiment ils redoutaient d'être incapables
de porter le titre de champion de France. Une nouvelle fois les Montferrandais,
qui avaient successivement vaincu Thuir. Carcassonne et Perpignan,
échouent au port.
MARCEL. Dr: LABORDERIE.
SPORTIF DE VIENNE. Arrière : Puyo; trois-quarts Barry, Deygas.
Pepy, Riyal ; demis Laurent (m), Vauthier (o) ; avants : Theau (capitaine)
Pallin, Daures. Delhom, Renz, Comte, Samuel et Sella
ASSOCIATION SPORTIVE MONTFERRANDAISE.
arrière : Savy' (capitaine) ; trois-quarts : Plumasson. Courtadon.
Billot, Pages ; demis : Thiers (m), Chassagne (o) ; avants : Cognet, Monnet,
Rochon, Dupouy, Julien, Corporon, Paul et Lombarteix.
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