« On ne peut pas dire que la vie soit rose au Stade Français. » Cette phrase, glissée par un joueur parisien en début de semaine, on l'a souvent entendue du côté de Jean-Bouin durant la dernière décennie. Les années passent, les péripéties demeurent dans un club qui s'est toujours voulu atypique. Avec l'arrivée du duo formé par Laurent Labit (directeur du rugby) et Karim Ghezal (entraîneur en chef), beaucoup, à commencer par le propriétaire-président Hans-Peter Wild, espéraient l'avènement d'une forme de stabilité.
Samedi, la défaite à domicile face aux Stormers consommée (20-24), la quatrième en autant de rencontres en Coupe des champions, les leaders du groupe, autour du capitaine Paul Gabrillagues, se sont entretenus avec Laurent Labit. Si cette réunion avec le directeur du rugby était prévue, comme chaque quinzaine, la discussion a pris une tournure revendicative. Ils ont exprimé un certain courroux envers Karim Ghezal, latent depuis plusieurs semaines au sein du groupe, comme nous l'ont rapporté de nombreuses sources. Lui sont reprochés notamment son management, et plus particulièrement ses prises de parole. Ce qui agace aussi en interne, c'est sa façon de se mettre en avant.
Mis au courant des états d'âme de ses joueurs, dont il avait déjà eu écho, Karim Ghezal a provoqué une réunion avec ses leaders lundi matin. Sans Paul Gabrillagues, qui est à Marcoussis avec l'équipe de France. Étaient présents : Romain Briatte, Mathieu Hirigoyen, Jeremy Ward et Léo Barré. Une discussion franche durant laquelle Ghezal s'est défendu et a rappelé ses convictions. Dans la foulée, l'ex-coentraîneur de la conquête des Bleus a tenté d'en savoir plus en échangeant informellement, en bord de terrain ou entre deux couloirs, avec plusieurs joueurs.
Son objectif ? Connaître les joueurs à l'origine de la fronde. Pour le staff, pas de doute : ces reproches ne concernent pas 90 % de l'effectif comme évoqué, mais seulement quatre ou cinq joueurs qui se sentent en danger et qui seront sans doute amenés à quitter le club en fin de saison.
Coïncidence ou pas, dès le lendemain, Karim Ghezal annonçait que Jeremy Ward serait capitaine en l'absence de Paul Gabrillagues pour la rencontre à venir à Bordeaux (demain à 15 heures). Alors que depuis le début de la saison, c'est Romain Briatte, pourtant titulaire, qui assumait l'intérim...
Karim Ghezal (42 ans) se doutait à son arrivée au club que la tâche ne serait pas aisée. Mais il espérait que sa « méthodologie » et sa « vision », deux mots qu'il répète souvent, infusent plus rapidement. Il doit aussi prendre la mesure de son nouveau rôle : celui d'entraîneur en chef. Une première à ce poste pour l'ex-deuxième-ligne, qui a fait ses armes sur un banc de touche dès la fin de sa carrière en 2016, au LOU, dans son secteur fétiche : la touche.
Les premières secousses ne datent pas de cette semaine. Fin novembre, un mois seulement après sa prise de fonction à plein temps au Stade Français, les premières fissures étaient apparues. Elles datent plus précisément de la défaite à Pau le 25 novembre (30-6), qui faisait suite au revers face au Racing 92 à domicile (9-13).
Et cela n'a rien à voir avec la sortie nocturne non autorisée de huit joueurs et deux membres du staff, pris par la patrouille, ayant conduit à la mise à l'écart du troisième-ligne Giovanni Habel-Küffner pour avoir frappé au visage un membre du staff palois lors de cette fameuse virée.
Tout a pris racine quelques heures plus tôt, dans l'intimité du vestiaire où Karim Ghezal venait de pousser une grosse soufflante à destination notamment de ses avants. « De toute ma carrière, je n'ai jamais pris de maul comme ça ! », s'est agacé l'entraîneur en chef selon plusieurs témoins. Ce que confirme Ghezal. Ses propos ont choqué. Sitôt la rencontre terminée et le savon passé, les textos ont fusé auprès des proches des joueurs stadistes : « Il parle mal aux mecs », « Il s'est mis pas mal de joueurs à dos », « Les gars sont blasés ».
Mais « l'affaire Habbel-Küffner » a sauvé Ghezal d'un premier déballage. Le succès face au Stade Toulousain le week-end suivant (27-12), début décembre, a ramené un peu de calme. En apparence. Car en interne, on a conscience du problème de communication de l'entraîneur en chef. Laurent Labit lui conseille de mesurer ses prises de parole, d'employer le « nous » plutôt que le « je ».
Deux mois ont passé et le Stade Français n'a gagné qu'un match face au Stade Rochelais (18-13), la veille de Noël. Éliminé de toutes les compétitions européennes, le club de la capitale retrouve le Top 14 samedi avec un déplacement à l'Union Bordeaux-Bègles (2e), qui marquera la fin de la phase aller (13e journée).
À mi-parcours, la troisième place du club au classement a tout du trompe-l'oeil. Après un début de saison canon (3 victoires en autant de matches), les résultats comme le contenu ne décollent pas depuis la reprise du Championnat post-Coupe du monde. « Quand je regarde le classement, ça me rassure, mais quand je regarde le contenu, je me dis qu'il y a du boulot », reconnaissait Ghezal après le nul face à Clermont (14-14) début janvier.
Selon plusieurs témoins, les réunions du début de semaine ont eu du bon. Mardi, les Stadistes ont bossé dur. Le temps de travail spécifique chez les arrières a été doublé avec une séance très axée sur les rucks. Conséquence : un peu de sang a coulé, sans gravité. Est-ce que ce sera suivi d'effet sur la pelouse de l'Union Bordeaux-Bègles, qui restait sur huit victoires de rang avant sa défaite aux Bulls le week-end dernier (46-40) ? Par la suite, le Stade Français devra encore se déplacer à Oyonnax (3 février). Deux déplacements qui pourraient avoir des répercussions sur la seconde partie de la saison.