Il fait comme il peut pour soulager la douleur. À l'aide d'une poche de glace, Saïd Hirèche refroidit la plaie qui rougit son cuir chevelu. Victime d'un coup de coude involontaire à l'entraînement, le capitaine briviste a malgré tout gardé les idées claires, fin mars, pour se retourner quelques instants sur sa carrière, qui se rapproche inévitablement de la fin, mais qu'il a décidé de prolonger encore d'une année.
« Je me sentais plutôt bien physiquement et mentalement, et j'en avais envie, justifie-t-il. On en a discuté avec le staff et les dirigeants, ç'a été rapide et ça s'est fait naturellement. » Hirèche (36 ans) s'est lui-même chargé d'annoncer la nouvelle aux supporters corréziens à travers une vidéo diffusée sur l'écran géant du Stadium en amont du derby face à Clermont le 12 février (27-20). « Je n'avais pas envie d'avoir des regrets, de me dire après quelques semaines de retraite que j'aurais dû continuer, poursuit-il. Ce n'est pas du foot, tu ne peux pas faire comme Zizou et t'arrêter puis finalement revenir (sourire). »
L'an dernier, le CA Brive avait déjà dévoilé la prolongation du flanker jusqu'en 2022 à travers une vidéo « fan-service » dans laquelle d'anciennes gloires du club - Alain Penaud, Jean-Claude Roques, Jérôme Bonvoisin et Arnaud Méla - rendaient hommage à leur successeur, comme pour établir une filiation à travers les âges. C'est que Saïd Hirèche est devenu le porte-étendard du CAB, son visage le plus connu. Arrivé au club en 2012, il s'apprête à fêter une décennie en noir et blanc.
S'imaginait-il en héros de la cité gaillarde quand, gamin à Mantes-la-Jolie (Yvelines), il débutait l'aviron dans le sillage de sa grande soeur Samia, athlète olympique pour l'Algérie aux Jeux d'Atlanta (1996) et de Sydney (2000) ? Ses premiers pas ovales ne le dirigent pas vers l'anonyme et lointaine Corrèze mais dans la lumière d'un Stade Français dirigé par Fabien Galthié. Puis c'est au Stade Aurillacois qu'il atterrit ensuite afin de fourbir ses armes en Pro D2, d'affûter son armure et son style. Avant de traverser la frontière cantalienne pour débarquer à Brive en 2012, alors que le club vient d'être relégué.
« Brive, on n'a pas le choix, on ne peut pas être à 90%. Il faut que l'on soit à 110-120% pour remporter nos matches »
Saïd Hirèche
Depuis, Hirèche a connu la gloire des montées (2013 et 2019), la tristesse d'une descente (2018) et le soulagement libérateur du maintien. Autant d'épopées, de tempêtes et de grands bleus, qui ont fait du troisième-ligne, fidèle capitaine à la barre depuis 2017, la figure de proue du CAB. Sa bobine s'affiche ainsi sur quelques panneaux disséminés en ville, tel un totem. « Un totem ! s'esclaffe Hirèche. Non ! On n'est pas dans Koh-Lanta (rire). »
D'un caractère réservé, le Mantais n'aime pas beaucoup se mettre en avant, préfère parler de l'équipe. C'est justement cette posture qu'adore le public corrézien, qui se reconnaît dans son attitude de dur au mal taiseux, humble et besogneux. Comme si sa discrétion nourrissait paradoxalement sa renommée. Pour autant, Hirèche a bien conscience de la cote d'amour local dont il jouit. Il n'a qu'à passer le palier de sa porte pour la constater, dans une région qui n'agrippe de rares coups de projecteurs que pour son équipe de rugby, sa Foire du Livre, sa moutarde violette et, éventuellement, ses productions musicales folkloriques. « Ici, tu peux facilement savoir si tu as bien fait ton travail, sourit-il. Personnellement, je préfère avoir mes moments à moi, seul à la maison, pour déconnecter de tout ça. Même si le rugby occupe tout le temps notre esprit. »
Alors que le CAB a lancé son sprint final dans la lutte pour le maintien, les pensées du capitaine sont bien occupées. Ne serait-ce que pour trouver les mots justes quand arrivent les rendez-vous décisifs du printemps. « Il faut bien réfléchir, tout le temps, confie-t-il. Mais je ne suis pas seul. Il y a des mecs dans le groupe qui prennent le relais de temps en temps, justement pour que le discours ne soit pas redondant. Il m'arrive parfois de ne pas sortir un mot de la semaine jusqu'au jour du match. » À force de jouer sa survie dans l'élite chaque année, Hirèche et ses camarades ont une certaine expertise de la chose, mais ils y ont aussi laissé quelques points de vie : « C'est dur pour les nerfs, souffle le Corrézien. Mais si on en est là, c'est qu'on s'est loupés à certains moments. À Brive, on n'a pas le choix, on ne peut pas être à 90 %. Il faut que l'on soit à 110-120 % pour remporter nos matches. »
Pour fêter ses 37 balais fin mai, le Briviste apprécierait le cadeau du maintien, même s'il l'a déjà eu régulièrement à son anniversaire. Pour qu'au-delà des murs de la ville, son visage s'imprime une dernière année dans les yeux des spectateurs du Top 14.