Camille Lopez était plutôt réticent à l'idée de donner une leçon de drop. Il ne se sentait pas légitime dans cet exercice si particulier, malgré un total de 39 drops depuis le début de sa carrière professionnelle. Finalement, le demi d'ouverture (33 ans, 28 sélections) a reçu « L'Équipe » au centre d'entraînement de l'Aviron Bayonnais mi-janvier. Avec six drops au compteur depuis le début de saison, nous souhaitions écouter ses conseils avisés. Affable, Camille Lopez, accompagné de son demi de mêlée Guillaume Rouet, s'est prêté au jeu avec beaucoup de précision.
« Je décide au feeling, à l'instinct. En fonction d'une physionomie, d'une situation de match, je m'adapte. Si je vois qu'on n'avance plus, qu'il faut scorer, ou qu'il faut passer à +8 pour se mettre à l'abri d'un essai transformé, je peux choisir de tenter un drop. La météo entre en compte également. Face à Lyon par exemple (19-7, 12e journée), il tombait des trombes d'eau. Il était compliqué de tenir le ballon, donc le drop était une bonne solution pour prendre des points.
Le risque, une fois la commande faite à mon numéro 9, c'est qu'un avant circule autour du ruck et ralentisse la sortie du ballon, ce qui permet à la défense de monter. C'est ma responsabilité. Dans ce cas, je ne peux pas annuler ma commande, la passe est déjà armée. Quand je reçois le ballon, je ne tente pas le drop. Je m'adapte, je fais une passe. Si je sens que je ne suis pas bien positionné, idem, je peux décider de ne pas taper. »
« Elle est naturelle. Il n'y a pas d'annonce particulière. Dans certains clubs, c'est le cas, mais je déteste ça. Je déteste quand le drop est trop préparé. Je préfère être le seul décideur. Quand personne ne s'y attend, je suis plus relâché. Pour que mon demi de mêlée déclenche la passe, je dis souvent « axe ». Il y a le regard également. À Clermont, avec Morgan Parra, on a joué tellement de matches ensemble qu'il le sentait, le savait. Il me connaissait par coeur. Ici à Bayonne, avec Guillaume (Rouet) ou Maxime (Machenaud), on a forcément moins d'automatismes. »
« J'utilise souvent le drop entre les 22 et les 30 mètres légèrement à droite des poteaux comme face à Lyon et Bordeaux. J'en ai mis deux comme ça aussi en demi-finales de Coupe d'Europe avec Clermont (victoire 27-22 face au Leinster en 2017). Je n'ai pas de zone de prédilection. Je suis gaucher, donc je suis plus à l'aise côté droit. De plus, les défenseurs sont forcément plus loin puisque le ruck est face à moi.
Concernant la marge de recul, je ne calcule pas. Il ne faut pas se positionner trop loin. Vous aurez plus de sécurité pour taper, mais la passe du demi de mêlée sera plus longue et sans doute moins précise. Il faudra aussi taper plus fort, forcer. Le drop reste une question d'opportunité. Ma responsabilité est surtout d'aller le plus vite possible dans l'enchaînement des gestes. »
« Avant de recevoir le ballon, je me positionne face à mon demi de mêlée. Les épaules dans le même axe que lui afin de recevoir au mieux le ballon. J'ai les mains le long du corps pour ne pas donner d'indice aux défenseurs. Je prépare mes mains dès que la passe est enclenchée, sur le temps de vol du ballon. Une fois que je l'ai attrapé, je me décale vers la gauche pour armer le drop de mon pied gauche.
Mes épaules, mon torse et mon bassin orientés en direction des poteaux. Avec la vitesse, l'équilibre de votre corps est difficile à maîtriser. Pour y parvenir, j'essaie de ne pas forcer ma frappe, d'être le plus décontracté et donc le plus équilibré possible. Il faut être naturel, sinon, tout votre corps bouge et c'est la catastrophe ! »
« Recevoir le ballon n'est pas un souci, peu importe la passe. Le plus difficile est de positionner ses mains. J'essaie d'abord de le prendre à deux mains. Puis, idéalement, je bascule sur une main. Je positionne le ballon sur ma main gauche, assez haut. Puis je l'accompagne vers le bas pour le maîtriser le plus possible avant de le lâcher. Si je le lâche trop haut, il bouge dans tous les sens. Il m'arrive de me baisser un peu pour l'accompagner presque jusqu'au bout, toujours bras tendu pour qu'il arrive au niveau de mon pied gauche le plus bas et le plus droit possible. Ma main gauche m'aide à maîtrise au mieux le ballon et le rebond. C'est un lâché de ballon, je ne donne pas d'impulsion. »
« En accompagnant mon ballon le plus près possible du sol, puis en l'inclinant vers moi, cela me permet de maîtriser le rebond, sans flottement. Lorsque je le tape, il monte bien et rapidement, ce qui empêche les défenseurs de pouvoir me contrer, même s'ils arrivent très vite sur moi. Si je tape en catastrophe et que je n'ai pas le temps d'accompagner le ballon, l'objectif est de réorienter le ballon avec ma frappe. Je regarde toujours le ballon jusqu'à la frappe. »
« La frappe doit être la plus naturelle possible. Vous n'avez pas besoin de mettre trop de force. Plus vous forcez, plus vous avez des chances de raté. Le ballon, je le tape sur le flanc, juste en dessous d'où était positionnée ma main avant de le lâcher. Je le tape avec mon coup de pied, comme tous les jeux au pied. C'est la zone la plus forte. Une fois la frappe effectuée, je ne suis pas le ballon avec mon corps. J'ai une frappe sèche. Parfois le geste n'est pas très académique, mais l'important est que le ballon passe entre les barres. »
Comment travaillez-vous le drop ?
Au début de ma carrière, comme pour tous les jeux au pied, à savoir les tirs au but, les drops, les jeux au pied de déplacement, les renvois, je m'entraînais beaucoup. J'avais besoin de me rassurer. Avec l'âge et plus ma carrière avance, j'ai trouvé ma routine. Il peut m'arriver de ne pas taper de la semaine. J'ai trouvé mon geste et la confiance qui va avec.
En quoi consiste une séance d'entraînement aux drops ?
Quand je travaille le drop, j'aime bien être seul, posé, calme. Je n'ai pas forcément besoin d'un demi de mêlée qui me fait une passe. Je m'entraîne surtout à bien tenir mon ballon, à bien l'accompagner, à bien le lâcher et enfin à le frapper le plus naturellement possible. J'ai zéro pression et je prends le temps de bien réaliser mon geste. Cette répétition doit me permettre d'être naturel en match.
Ce qui est marrant, c'est qu'une bonne séance d'entraînement n'est pas synonyme de réussite le week-end et inversement. La semaine du match face à Lyon, je m'étais exercé. Une vraie catastrophe ! Le préparateur physique, Arnaud Barratchart, était venu me voir et m'avait dit : « Tu as besoin d'être sous pression ! » Il a donc fait semblant de monter deux-trois fois sur moi et j'ai passé le drop à chaque fois ! Puis j'en ai mis deux le jour du match !
Comment vous est venue cette appétence pour le drop ?
Ce n'est pas un geste que tu réalises souvent en équipe de jeunes. Je pense que c'est plus venu au moment de mes débuts dans le monde professionnel en 2009 avec Bordeaux-Bègles (il en a inscrit 3 lors de sa première saison en Pro D2).
Nous avons la sensation que vous avez remis le drop au goût du jour cette saison...
(il sourit) J'en ai mis 6, mais je le répète, c'est la physionomie des matches qui dicte ce choix pour récompenser le travail de l'équipe. C'est vraiment très instinctif.
Travaillez-vous le drop à la vidéo ?
Oui, je regarde surtout ceux que j'ai loupés ! J'analyse ce qui n'a pas fonctionné. Est-ce la position de ma main, le rebond, la vitesse, mon coup de pied ? Je regarde un peu aussi ceux que j'ai réussis, pour m'imprégner du bon geste.
Qu'est-ce qui est le plus difficile dans un drop ?
L'enchaînement de la tâche dans un temps très court, deux ou trois secondes. C'est tellement rapide de taper un drop ! Le geste est une accumulation de petits détails qu'il faut, chacun, maîtriser à la perfection.
Avec le pied droit, ça vous arrive parfois ?
C'est la roue de secours ! S'il n'y a rien d'autre à faire. Mais c'est très rare.
Avez-vous une référence dans le domaine ?
Jonny Wilkinson ! Je l'ai beaucoup observé. Pied droit ou pied gauche, il était chirurgical. C'était la perfection. Son geste était très carré, chaque détail très minutieux. Il se baissait sans doute encore plus que moi pour accompagner son ballon. J'ai également lu son livre (« Mémoire d'un perfectionniste »). Je voulais m'inspirer des meilleurs. C'était un bourreau de travail. L'important est de trouver le bon compromis entre la vitesse et le relâchement.
La responsabilité est-elle similaire à une pénalité ou une transformation ?
Avec le drop, il n'y a aucune source de stress. La pénalité, vous avez le temps de cogiter. Le drop, vous prenez votre décision et c'est parti. Il y a quand même une forme de responsabilité car ce geste peut vous permettre de gagner un match. Il faut l'assumer. J'ai raté un drop sur la dernière action d'un France - Australie avec l'équipe de France (défaite 23-25 en novembre 2016). J'aurais pu me cacher et ne jamais tenter le drop. Je ne suis pas comme ça. M. Ra.