L’immense bonheur qui a enveloppé la basse Corrèze hier soir au coup de sifflet final du dernier acte annuel de notre passion ovale a rapidement laissé place à un sentiment étrange. Les sarcasmes habituels de l’ironie coujou n’étaient pas si tranchants, les brèves de comptoir convenues, l’euphorie de la 3e mi-temps moins pétillante. Comme si cette défaite là, dans l’écho de la précédente en coupe d’Europe, faisait planer une sourde menace, une profonde gravité sur les voisins honnis du Nocif Central. Une forme de retenue coupable semblait peu à peu gagner la faconde destructrice que le seuil méridional du pays vert entretient avec un zèle maladif à l’endroit des vilains d’Auvergne. C’est une banalité de le redire, un tel acharnement à perdre force le respect et l’admiration depuis de nombreuses années dans le bassin de Brive, mais cette fois une dimension supérieure paraissait être franchie, une dimension métaphysique, plus grande que la misère de l’ASM, plus grande que notre capacité à en rire que l’on croyait insondable. Ce moment particulier nous transcende, cette mutation nous oblige. Elle nous oblige à repenser la chronique d’un monde jaune et bleu appelé à se dépouiller de tous ses oripeaux terrestres pour accéder enfin à la félicité divine.
C’est peu dire que l’ASM qui vient de perdre sa 11ème finale du championnat de France de rugby est entrée dans l’histoire de ce sport. Il faut néanmoins le rappeler pour la génération qui vient. En repoussant toujours plus loin, tous les ans, les limites de la malédiction arverne, les héritiers successifs de la fabrique Michelin sont en passe d’accéder à une voie supérieure qui devraient les porter dans les siècles à venir vers un statut divin. Ce sens inouï de la défaite, cette capacité unique à s’effondrer à une secousse du climax, ces trahisons perpétuelles du fol espoir sans cesse entrevu par un peuple vacillant sous les coups aveugles du destin façonnent implacablement une mythologie de l’infortune. Le jaune n’aura jamais aussi bien tenu la part négative de sa couleur au mat de misère des arènes des Bibendum : celle de la trahison et de l’infamie qui enveloppent aujourd’hui toute une ville et une région.
A tel point, qu’à leur corps défendant, ces perdants pathétiques sont entrain de forger une véritable esthétique de la débâcle qui, le temps faisant son œuvre, pourrait les réhabiliter magnifiquement aux yeux de l’humanité.
En inversant totalement les valeurs cardinales de la compétition sportive contemporaine consubstantielle au capitalisme prédateur de ce tournant de siècle où la dictature de la victoire étrangle toutes nos humanités, l’ASM fait quasiment figure de héros de la résistance alter mondialiste en culbutant tous les codes de la réussite avec une plasticité de génie des volcans. François Michelin en lâchant son dernier souffle à quelques jours de la première manche de ce doublé historique avait voulu s’épargner cet affront et prendre un peu d’avance vers l’éternité.
Cette immense épopée qui refleurit tous les ans à l’équinoxe de mars sous le regard éteint du Puy de Dôme compose un nouveau rite païen qui rapproche ses protagonistes de la vision sacrale d’Igor Stravinski . Un Massacre du Printemps, où les vieux sages du Sacre originel observent non plus la danse à la mort de la jeune fille qu’ils sacrifient au dieu du printemps, mais celle de la Victoire qu’ils assassinent pour la donner en offrande au Dieu Brennus. En l’implorant de leur ménager pour des siècles et des siècles ce parcours de la peine, cet ascenseur du chagrin vers le sommet de l’Olympe, la Yelloose Army finira par faire siéger au firmament le nouveau Dieu Fouchtra, drapé de sa blouse bleue et auréolé du pouvoir indépassable de grand rédempteur de l’échec sportif.
La Corrèze admirative et compatissante.
Allez Brive !!!
Cyberkoujou