Réquisitionné par les JO dès le mois de décembre prochain pour une campagne de travaux, le « SDF » ne pourra pas accueillir le quinze de France pour le Tournoi des Six Nations 2024, une année paire où les Bleus reçoivent trois fois (Italie, Irlande, Angleterre). Interrogé par L'Équipe sur ce sujet sensible la semaine dernière, le président intérimaire de la FFR Alexandre Martinez avait convenu qu'entre le différentiel de jauges (environ 20 000 places de moins au Vélodrome ou au Groupama Stadium de Lyon) et les pertes commerciales du programme hospitalités, le manque à gagner s'élevait autour de 2,5 millions d'euros par match, donc entre 7 et 8 millions au total.
« Pour une fédé dont les comptes sont dans le vert uniquement grâce à la vente du Tournoi au fonds d'investissement CVC, ce n'est pas une paille du tout, alertait le leader de l'opposition Florian Grill. Ce qui m'inquiète, c'est qu'on a aucune information, si ce n'est que cette gouvernance espère une compensation. À quelle hauteur ? » Et auprès de qui ?
Le président par intérim Alexandre Martinez nous assurait « qu'il est bien évident que nous comptons négocier au bénéfice de la FFR auprès des différents acteurs concernés. La FFR avait la volonté (et l'obligation contractuelle) d'organiser ces événements au Stade de France, elle est donc contrainte à cette situation et estime devoir être entendue. »
Mercredi matin, M. Martinez était auditionné, en compagnie de son homologue de la FFF Philippe Diallo, par la Commission de l'Éducation et de la Communication du Sénat, dans le cadre d'une table-ronde sur la gouvernance des fédérations sportives. Questionné par un sénateur sur la problématique de l'indisponibilité du Stade de France, M. Martinez a tenu le même discours : « On doit poser la question de l'indemnisation. Si ce manque à gagner se confirme, il pèsera énormément sur le budget de la FFR », ajoutant, selon l'AFP, qu'une compensation est en cours de discussion « avec le consortium (aux mains des groupes Bouygues et Vinci, il gère l'exploitation du Stade de France), le ministère des Sports et le comité d'organisation des JO (COJO). On a rencontré deux des trois parties prenantes pour le moment. »
Par deux fois en moins d'une semaine, Alexandre Martinez a été interrogé sur ce sujet. Et par deux fois il a omis un élément de première importance. L'information des lecteurs de L'Équipe et des sénateurs aurait été plus complète si la direction actuelle de la FFR avait précisé que, dans le contrat de mise à disposition du Stade de France, signé en juillet 2018 par Bernard Laporte, alors président de la fédération et Pierre Coppey, PDG du consortium, le cas de figure d'une réquisition du « SDF » pour les Jeux Olympiques (ou pour la durée nécessaire à des travaux en vue des JO, notamment la réfection de la piste d'athlétisme) a été prévu par les parties.

« Aucune indemnité de quelque nature que ce soit ne sera due de part et d'autre en raison de cette suspension »
Dans le contrat de la mise à disposition du Stade de France à la FFR
Pages 4 et 5 de ce contrat que L'Équipe a pu consulter, il est écrit : « En raison des Jeux de Paris 2024, il est convenu entre les parties que le Stade de France peut être indisponible sur une période, non définie au jour de la signature de ce contrat, au cours de l'année 2024, ce que la FFR reconnaît et accepte [...] Si, malgré les efforts du consortium pour obtenir une dérogation (auprès du comité d'organisation des JO afin que les matches puissent être maintenus au SDF), la FFR n'est pas en mesure d'organiser au Stade de France un ou plusieurs matches identifiés au présent contrat, le consortium ne pourra en être tenu pour responsable. Dans une telle hypothèse, le nombre minimum de 36 matches que la FFR s'engage à organiser au Stade de France entre le 1er juillet 2018 et le 30 juin 2025 serait diminué du nombre de matches n'ayant pu être organisés en raison de l'indisponibilité liée à la tenue des JO, et ce sans indemnités de part et d'autre. »
En cas de travaux liés soit à la Coupe du monde de rugby 2023 soit aux Jeux, « le présent contrat pourra être suspendu temporairement pendant toute la durée desdits travaux [...] La suspension étant en lien avec la Coupe du monde 2023 ou les Jeux, les parties conviennent qu'aucune indemnité de quelque nature que ce soit ne sera due de part et d'autre en raison de cette suspension. »
« Vous me faites douter là. Je vais le relire (le contrat) »
Laurent Gabbanini, directeur général de la FFR
Pourquoi Alexandre Martinez, trésorier de la FFR au moment de la signature de ce contrat, n'a pas jugé utile d'en faire part ? Il ne peut pas ne pas connaître les dispositions de ce contrat qui semble régler la question des compensations. Quoi que... « Écoutez, non, il n'est pas écrit dans le contrat qu'aucune indemnité ne sera demandée en cas de travaux pour les Jeux, nous assure Laurent Gabbanini, directeur général de la FFR. Ce contrat, nous l'avions un peu signé sous la pression de l'État à un moment où nous négociions avec lui une garantie pour la Coupe du monde. On a récemment échangé avec le consortium et effectivement, pour le moment, on n'a pas de solution. Chacun se déporte. Il faut qu'on trouve une solution avant juin parce qu'on ne sait pas comment compenser ces pertes. Mais vous me faites douter là. Je vais le relire. Si on n'avait pas vu cela dans le contrat, ce serait une grosse erreur de notre part. »
Le contrat existe bel et bien, ces dispositions aussi. Le consortium a été plus prévoyant ou plus clairvoyant que la FFR. Désormais, on se demande bien à qui et au nom de quoi la FFR compte négocier des indemnités. Dans son rapport au Stade de France, le seul interlocuteur de la FFR étant le consortium, on ne voit pas pourquoi le COJO ou l'État accéderait à une demande de la FFR. Le consortium, lui, s'est déjà tourné vers l'État (la FFR aussi) et les discussions sont aujourd'hui au point mort.
Pour mémoire, le Conseil d'État avait rejeté la demande du consortium Stade de France, qui réclamait à l'État plus de 7 millions d'euros pour compenser les pertes d'exploitation durant l'Euro 2016. En première instance, comme en appel, les juges avaient estimé que le contrat de concession, liant l'État à l'exploitant, spécifiait que le stade doit accueillir en priorité les manifestations sportives exceptionnelles, tel que l'Euro 2016. En sera-t-il de même pour la période de travaux précédant les Jeux 2024 ?