Du malheureux Dominique Bouet, étouffé par son vomi dans un hôtel de Nouméa (Nouvelle-Calédonie) à la fin de la tournée australienne de 1990, à Mathieu Bastareaud, lâchement agressé par la table de nuit de sa chambre d'hôtel de Wellington après une nuit de beuverie au coeur de la tournée néo-zélandaise de 2009, le rugby français a déjà donné dans le sordide et le fait divers.
Mais jamais il n'avait subi autant d'affaires que durant cet été. On récapitule ? Dans la nuit du 6 au 7 juillet, à Mendoza (Argentine), juste après la victoire des Bleus face aux Pumas (28-13), c'est l'arrière toulonnais Melvyn Jaminet, passablement éméché, qui balance sur son compte Instagram une vidéo où il clame : « Le premier Arabe que je croise, je lui mets un coup de casque. » La même nuit dans la même ville, au Diplomatic Hôtel, ce sont le deuxième-ligne palois Hugo Auradou (21 ans) et le troisième-ligne rochelais Oscar Jegou (21 ans), également alcoolisés, qui ont des rapports sexuels avec une femme de 39 ans dans leur chambre d'hôtel, avant d'être arrêtés deux jours plus tard à Buenos Aires et d'être inculpés pour viol avec violences en réunion (leurs avocats ont déposé une demande de non-lieu mardi qui pourrait aboutir dans les prochains jours).
Le 7 août, enfin, c'est le jeune Medhi Narjissi (17 ans), demi de mêlée du Stade Toulousain alors en pleine compétition avec les U18 français, qui disparait dans les flots au large de la dangereuse plage de Dias Beach, au Cap (Afrique du Sud), alors qu'il participe avec ses partenaires à une séance de récupération en mer.
C'est dans ce contexte affreusement anxiogène que les principaux représentants du rugby français se réuniront ce jeudi matin à Marcoussis, dès 8 h 30, pour tenter d'apporter des solutions aux dérives et aux drames qui entachent la réputation de ce sport. Une trentaine de personnes de la FFR (Fédération française de rugby), de la LNR (Ligue nationale de rugby), des clubs pros et amateurs, des syndicats et des staffs des équipes de France travaillera par groupes de cinq pendant la matinée, avant de faire une synthèse de leur brainstorming.
« Chacun pourra exprimer ce qu'il a sur le coeur, il faut qu'on soit prêt pour la tournée d'automne », assure le patron de la Fédération Florian Grill, qui sait aussi, à un moment où son action est vivement contestée, et pas seulement par l'opposition, qu'il n'a surtout pas intérêt à rater ce virage-là à moins de deux mois de l'élection à la présidence de la FFR (19 octobre).
Les fameuses troisièmes mi-temps, si chères à ce sport, seront évidemment au coeur des discussions. Leur évolution, surtout. Ces soirées d'après-match, qui servaient autrefois à rassembler les équipes autour d'un verre (de plusieurs, même), semblent être devenues aujourd'hui des défouloirs ultimes où tous les excès sont permis pour évacuer la pression et les meurtrissures subies tout au long de la saison.
« On sait assister le joueur, lui laver ses chaussettes pour mieux qu'il se concentre sur la performance, mais à côté de ça, on le laisse faire ce qu'il veut lors des troisièmes mi-temps, s'étonne Aurélie Vauquelin-Leclercq, psychologue du travail, qui a travaillé avec le club de Massy (Nationale, Essonne). Pourtant, ce sont là aussi des moments à risque. Le joueur peut se blesser, finir dans une bagarre, se mettre minable. La troisième mi-temps est inhérente à ce sport, mais il faut se poser la question du cadre, de comment la maintenir tout en s'adaptant aux enjeux de l'époque. »
Le système qui prévalait jusqu'ici au sein des différentes équipes de France et dans la plupart des clubs pros, basé sur l'autonomie et la responsabilisation, semble avoir vécu. Le rugby actuel nécessite un environnement plus structuré, mieux dirigé. Certains clubs comme le Racing 92 n'ont d'ailleurs pas attendu les événements de ces dernières semaines pour renforcer leur règlement intérieur. « Nous savons que de la drogue et d'alcool peuvent circuler dans un effectif pour le côté festif, explique Laurent Travers, le président du club francilien, qui participera d'ailleurs à la réunion de ce jeudi matin. Nous avons donc décidé d'effectuer des tests par tirage au sort deux fois par mois sur quatre joueurs, centre de formation y compris. Des intervenants extérieurs viennent aussi régulièrement échanger avec l'effectif sur les risques encourus en cas de violence, de dopage, de prise de cocaïne, etc. Ça a plus d'impact sur eux que si ça vient de l'entraineur ou du président. »
D'autres pistes devraient être explorées ce matin. Comme celle de sanctions plus radicales à l'encontre de ceux qui nuisent gravement à l'image du rugby. Ou celle d'un renforcement de l'encadrement des équipes de France. Un membre élu de la Fédération, vrai chef de délégation, pourrait aussi accompagner systématiquement les différentes sélections lors des stages et des compétitions. Une autorité respectée qui serait capable de passer au-dessus du staff pour interdire une sortie nocturne, par exemple. Ou qui aurait le recul nécessaire pour empêcher un encadrant d'envoyer des joueurs mineurs sur une plage à la mer démontée, dans l'hiver sud-africain...