Lors d'une conférence de presse le 28 août dernier, dévastés, les parents de Medhi Narjissi, Jalil et Valérie, s'en étaient pris à la Fédération française de rugby, pointant du doigt la légèreté de l'encadrement de l'équipe de France des moins de 18 ans après la disparition de leur fils, 17 ans, happé par des « rip currents », des courants d'arrachement, lors d'une séance de récupération à Dias Beach, près du cap de Bonne-Espérance, en Afrique du Sud, une plage connue pour sa dangerosité.
Mercredi, après la conclusion d'une enquête de plusieurs semaines menée par Jean-Marc Béderède, DTN adjoint de la FFR, au cours de laquelle il a interrogé les douze membres du staff ainsi qu'une partie des jeunes coéquipiers de Medhi Narjissi, la Fédération a publié les conclusions provisoires du rapport remis en premier lieu à la famille Narjissi ainsi qu'au ministère des Sports, alors « qu'en dépit de la mobilisation rapide des secours (bateaux et hélicoptères), le corps de Medhi Narjissi n'a pas été retrouvé à ce jour ».
Dans le rapport de douze pages d'enquête de la FFR que L'Équipe s'est procuré, il est fait état de ce qui serait des manquements à la sécurité. Selon ce rapport, la responsabilité du staff serait clairement engagée : « La décision d'organiser une séance de récupération dans l'eau sur la plage de Dias Beach a été prise sans prendre en compte la dangerosité du site, peut-on lire. Les panneaux d'avertissement n'auraient pas été pris en compte, ce qui apparaît particulièrement critiquable. »
Contactés mercredi, les membres du staff cités dans le rapport n'ont pas répondu à nos sollicitations, tout comme le président de la Fédération française de rugby, Florian Grill, ou le vice-président Jean-Marc Lhermet.
C'est l'une des questions essentielles de l'enquête interne de la FFR : qui a pris la décision d'organiser cette séance de récupération à Dias Beach, où jamais une équipe de France ne s'était baignée, plutôt qu'à l'hôtel comme le laissait présumer le planning ? Selon les premières informations récoltées auprès de l'encadrement, « la décision aurait été évoquée en réunion collégiale, le 6 août », indique le rapport. Dans son entretien, le préparateur physique Robin Ladauge parle d'une décision « prise la veille pendant la réunion staff par l'ensemble des personnes présentes ». Il dit aussi avoir été chargé de mettre en oeuvre cette séance de récupération après avoir vérifié le jour J sur place sa faisabilité.
Une version qui ne colle pas à celle racontée par Stéphane Cambos. Le manager de l'équipe de France des moins de 18 ans déclare, lui, que l'idée a été proposée par Ladauge. Cambos aurait jugé cette sortie trop risquée et l'aurait fait savoir. Il aurait exprimé des « réticences à l'ensemble du staff » lors de la réunion du 6 août 2024 « mais aussi à plusieurs reprises dans la journée du 7 août », durant le trajet en bus, puis en arrivant à Cape Point et enfin, une fois dans l'eau, où « il aurait encore exprimé sa désapprobation à Robin Ladauge, ce qui aurait précipité la fin de la séance ». Plusieurs déclarations ne vont pourtant pas en ce sens dans le rapport : « D'autres témoignages recueillis au sein du staff tendent à corroborer le fait que Robin Ladauge aurait effectivement été à l'origine de la proposition d'effectuer la séance de bain froid à Cape Point, mais aucun ne fait état, en revanche, de réserves manifestées par Stéphane Cambos. »
Pour mieux mesurer la dangerosité du site, l'encadrement aurait pu (dû) se tourner vers le prestataire accompagnant « de longue date » les équipes de France dans cette région. Mais celui-ci n'a pas participé à la réunion préparatoire. Plus étonnant encore, il n'a pas « été questionné sur les habitudes des équipes de France à Dias Beach, dont il ressort clairement qu'elles ne comprenaient pas de mise à l'eau ».
Le 7 août, alors que le groupe est en visite au phare de Cape Point, Robin Ladauge descend sur la plage s'assurer des conditions de réalisation de la séance. Comme les autres membres du staff, il dira n'avoir vu aucun des panneaux signalant la dangerosité du lieu, à l'entrée et à la sortie du chemin qu'ils ont emprunté. Après avoir repéré une barre, située à plusieurs dizaines de mètres de la plage où des vagues d'environ deux mètres viennent se casser, il décide que la séance peut se faire dans une zone qu'il délimite, loin des rochers, où il y a peu de courant et de l'eau à hauteur de taille maximum. Deux joueurs, qui ont tous souhaité témoigner de façon anonyme, parleront plutôt de vagues de « trois ou quatre mètres », tandis que le service météorologique évoque « des vagues pouvant aller jusqu'à près de quatre mètres. »
Vingt-cinq joueurs et sept membres du staff participent à la séance. Robin Ladauge transmet les consignes de mise à l'eau « en descendant l'escalier, sur la plage et pendant la session ». Il envoie aussi avant la séance un message WhatsApp qui n'arrivera pas faute de réseau : « Les vagues sont un peu solides, on va rester dans la mousse. » Deux joueurs au moins ont déclaré n'avoir pas entendu les consignes ; un autre a dit que « l'eau montait parfois jusqu'aux aisselles. » Au début de la séance, Robin Ladauge, en tenue de plongée et équipé d'une bouée « Rescue » munie d'un filin de 20 m, est le seul membre de l'encadrement dans l'eau. Plus tard, l'analyste vidéo Axel Dupont sera positionné à hauteur de Ladauge « de façon que les joueurs se trouvent toujours entre eux et la plage ».
Parmi ces derniers, certains disent n'avoir pas ressenti de danger, tandis que d'autres évoquent du « courant fort, qui nous tirait vers le large ». Censés rester dans une zone restreinte, certains joueurs se sont retrouvés isolés, à plusieurs dizaines de mètres du groupe principal ; « Ils rentraient et sortaient de l'eau à leur guise. » Le rapport indique que plusieurs éléments donnent « une impression globale d'improvisation », les membres du staff semblent ne pas avoir de consigne précise, à part Axel Dupont, et les joueurs ont mal compris celles qu'on leur donnait.
À la fin de la séance, rallongée de cinq minutes sur accord des membres du staff, les conditions se dégradent et les vagues ont forci. Un joueur indique avoir été « obligé de faire de petits sauts pour garder la tête hors de l'eau », un autre évoque le ressac « qui amenait vers le large. » Les joueurs regagnent la plage un par un quand Medhi Narjissi est aperçu par plusieurs membres du groupe « fortement déporté vers la droite et se rapprochant dangereusement de la zone des rochers ». Selon le rapport, il est déjà à une quarantaine de mètres sans que personne ne l'ait vu en train de se faire déporter, ni entendu. Son coéquipier Oscar Boutez et plusieurs membres du staff tentent de se rapprocher en lui criant de revenir. Boutez prend l'initiative de nager vers lui et le rejoint. D'autres membres du staff expliquent avoir renoncé ou être incité à renoncer car les conditions étaient trop dangereuses. Medhi Narjissi semble s'accrocher au dos d'Oscar Boutez mais lâche prise après le passage de deux vagues. Tandis que son coéquipier profite d'une vague pour revenir, Medhi est resté au niveau de la barre et lutte contre les vagues avant d'être perdu de vue.
Une partie des joueurs et Robin Ladauge se précipitent vers les rochers pour recueillir Oscar Boutez. D'autres membres du staff se postent à divers endroits pour scruter l'océan tandis que certains remontent les escaliers pour trouver du réseau et alerter les secours. Un ranger a déclenché les secours par talkie-walkie. Un couple de touristes prête une paire de jumelles à un membre du staff. Mais Medhi Narjissi reste invisible.