CLERMONT-FERRAND - On peut se dire que ce Clermont-là ne fait pas les choses à moitié. Au printemps 2017, les Auvergnats étaient de toutes les batailles finales, valeureux mais battus en Coupe d'Europe à Murrayfield par les Saracens (28-17), épuisés mais vainqueurs au Stade de France face à Toulon (22-16) pour un deuxième titre national. Moins d'un an plus tard, ils sont pratiquement les premiers à en avoir fini de leur saison, éliminés en quarts de la compétition continentale, dimanche par le Racing 92 (17-28), et trop loin en Top 14 pour espérer défendre leur titre dans les batailles éliminatoires du mois de mai.
Quelques heures après la défaite contre les Franciliens, le fantasque fidjien Peceli Yato ne cherchait pas à mentir, twittant sur la troisième mi-temps que l'effectif jaune et bleu était en train de partager et donnant rendez-vous «à l'année prochaine». Il répercutait là un sentiment assez humain, mais, à Clermont, on ne peut pas non plus balancer les quatre derniers matches de Championnat d'ici début mai. Ça ne déplairait pas au Stade Français et à Agen, deux clubs qui luttent pour le maintien et vont recevoir la bête blessée ce mois-ci. Mais Franck Azéma a insisté : ce n'est pas le genre de la maison et il faut au moins permettre une sortie réussie à Aurélien Rougerie.
Dimanche, le totem de l'ASM a apporté son aura à ses coéquipiers en tant que porteur d'eau, sur la pelouse du Michelin. Et les jours précédents, remis d'un accident domestique qui lui avait lacéré la main, c'est sur le terrain, à l'entraînement, qu'il a tenté de participer à l'opération «sauvons la saison» de son club de toujours. En vain.
Rougerie, symbole de la fin d'une époque
L'enfant du pays, trente-sept ans, 417 matches sous le maillot jaune et bleu depuis 1999, selon l'impressionnante bible de l'ASM cybervulcans.net, et premier capitaine du club à brandir le bouclier, ne s'en ira pas sur un nouveau titre. Il faudra lui dire au revoir et avec la manière, le 5 mai contre Toulouse. Ce soir-là, Clermont clora définitivement un exercice catastrophique. Certainement le pire depuis 2005-2006, bouclé à la huitième place du Championnat et terminé dès la phase de poules de Coupe d'Europe. Depuis, sous l'impulsion du président René Fontès et de l'entraîneur Vern Cotter, les Auvergnats étaient sur une série de 11 participations aux phases finales (dont deux titres et quatre finales perdues) et dix années dans la plus prestigieuse des Coupes d'Europe.
Une telle chute provoquerait un séisme dans la plupart des écuries françaises, mais au pays des volcans qui dorment, on s'est réveillé ce mardi matin sans besoin de tout révolutionner. Cela fait d'ailleurs plusieurs semaines qu'Éric de Cromières dédramatise. Mercredi, avant la réception du Racing, le président a résumé les conséquences économiques du fiasco : «En étant versé en Challenge Cup, ça va nous donner 700 000 €. Quand vous êtes qualifié en Coupe d'Europe, c'est un million. Si vous vous qualifiez pour un quart de Coupe d'Europe, vous n'avez rien. Si vous vous qualifiez pour un quart de Challenge, vous avez 300 000 ! Pour ce qui provient de la répartition des droits télévision, les conséquences seront assez faibles. Le rugby vit selon un mode socialisant. Il y a un minimum garanti pour chaque club à 3,2 millions d'euros et les clubs qui ont le maximum sont à 4,5 millions. C'est là où on est aujourd'hui et on va à peu près y rester parce qu'il y a une péréquation liée aux cinq années précédentes. Peut-être qu'on va passer à 4,1 millions. Mais je suis plus dubitatif et inquiet sur la manière dont les partenaires et le public réagiraient à cette situation.» Il va pouvoir vérifier ses craintes, notamment sur la fréquentation du Michelin à partir d'août prochain. Sans trembler pour ses sponsors : «Je viens de resigner plusieurs emplacements maillots avec des augmentations !»
De Cromières et la théorie de «l'accumoncellement»
Si le porte-monnaie va aussi être frappé par l'absence de phase finale de Top 14 cette saison, on estime avoir les reins suffisamment solides ici pour ne pas être ébranlé financièrement. Avant l'élimination, de Cromières se projetait : «On aura fait une très mauvaise saison, mais ça ne sera pas le vide ensuite ! Il y aura de la continuité.» Un mois plus tôt, alors qu'un espoir existait encore mais qu'il ne tenait déjà qu'à un fil, Franck Azéma était sur la même ligne : «Est-ce qu'on est fragiles à ce point-là ? On n'est pas un feu de paille ! On nous a longtemps reproché de ne pas avoir de titres, O.K. Mais on ne pouvait pas nous reprocher de ne pas savoir construire notre club petit à petit, sur des bases solides !»
Son président mise sur la même continuité et, officiellement, ne cherche pas de bouc émissaire. «On a des contrats, martelait-il mercredi. Pour moi, il est hors de question de faire une chasse aux sorcières et de les rompre.» Pour autant, on ne s'aveugle pas et on cherche à comprendre comment on en est arrivé là, si bas, à Clermont. Et là, on peut reprendre un terme du vocabulaire varié du dirigeant clermontois : «accumoncellement».
Un néologisme valise parlant qui traduit bien l'accumulation de la fatigue dans les organismes et les têtes auvergnates, éprouvés par plusieurs longues saisons et fragilisées par un amoncellement de blessures qui, depuis août, ont handicapé les Jaune et Bleu, de ruptures de ligaments en fractures diverses.
À l'ASM, on promet une «analyse plus nette» de tout ce qui a mené au bord de ce précipice. Pas dupe, de Cromières évoquait ces derniers jours ces trois matches de Championnat, contre La Rochelle (20-51), le Racing (6-58) et Toulon (0-49), où la défense des Jaunards avait totalement craqué. «Ça fait beaucoup sur la saison», prévenait-il. Et c'était avant ce nouveau revers contre les Ciel et Blanc. Dimanche, le score a été moins lourd. Mais à en croire les statistiques, c'est à nouveau 44 plaquages qui ont été manqués ! Le staff, s'il ne semble donc pas devoir être puni dans sa composition actuelle, pourrait-il être renforcé, notamment pour le travail sur la défense, pour s'éviter de tels trous d'air, ou sur la préparation physique ?
Ce n'est pas encore à l'ordre du jour. Ces dernières semaines, tout le monde était mobilisé pour préparer le match de dimanche. Préparateurs et kinés ont multiplié les séances supplémentaires, sur les jours de match, sur les périodes de vacances, pour faire gagner une demi-journée, vingt-quatre heures, voire une semaine, à certains blessés. Des Morgan Parra, Camille Lopez ou Wesley Fofana en ont bénéficié pour prendre place face au Racing. «Mais il n'y a pas de miracle, j'ai encore mal quand je joue», constatait le demi de mêlée avant le match.
Ces soldats vont enfin pouvoir reposer corps et âme à partir du mois de mai. C'est une première en Auvergne, presque, et on essaie d'en voir le côté positif : on va enfin pouvoir préparer correctement, sans précipitation, l'exercice suivant. Et, au cours de la saison, les semaines de Challenge européen useront moins que celles de Coupe d'Europe.
À la reprise, sans doute au plus tard début juillet, il y aura peu de nouveaux visages. Pour l'instant, seules deux recrues ont été officialisées, les trois-quarts Tim Nanai-Williams et George Moala. Qualitatif, entre le polyvalent international samoan et l'ailier aux quatre sélections avec les All Blacks. Mais quantitativement, c'est peu, si on compare aux nombreux départs, entre Nakaitaci, Strettle, Spedding, Rougerie, Chaume, voire Jarvis ou même Gérondeau. En février, Azéma ne s'interdisait pas un ou deux renforts si l'occasion se présentait. Et là, on peut penser que dans un effectif très dense et homogène, les postes de pilier gauche, talonneur et numéro 8 pourraient être prioritaires. Ils découvriraient alors un groupe revanchard, auprès duquel Parra, dès dimanche, dans l'intimité d'un vestiaire abattu, a insisté sur l'obligation de se ressaisir dès la rentrée pour, au minimum, retrouver la Coupe d'Europe en 2019. Et sans doute, régénéré, viser bien plus haut.
Un si mince espoir de se qualifier pour la phase finale du Top 14
Personne ne s'est avancé à rentrer dans ces hypothèses, dimanche, à Clermont, tant elles sont improbables, mais mathématiquement, l'ASM peut encore sauver sa saison. En Championnat, les Auvergnats ont 16 points de retard sur La Rochelle et Pau, les deux derniers clubs en position de se qualifier pour la phase finale, et il reste 20 points à prendre sur les quatre dernières journées...
Ce top 6 est un horizon utopique, mais il existe encore un cas où la septième place du Top 14 mènerait à la prochaine Coupe d'Europe, moyen parfait de sauver les apparences. Mais là, le nombre de «si» à empiler est tellement important qu'il vous ressusciterait tous les épisodes de la vie d'une impératrice d'Autriche. On vous résume... «Si» Clermont finit 7e, c'est la base : là, il y a déjà 12 points à rattraper sur Lyon en Top 14. «Si» le Racing remporte la Coupe d'Europe, en étant déjà qualifié pour la prochaine édition via le Championnat : pas impossible. «Si» (et là, on simplifie...) les quatre demi-finalistes de la Challenge Cup, Pau, Cardiff, Newcastle et Gloucester, sont eux aussi déjà directement qualifiés pour la plus prestigieuse des compétitions continentales via leur propre compétition nationale...
Ce mardi matin, c'est le cas des deux Anglais, 4e et 6e de Premiership, mais leur marge est faible. De la Section, aussi, accrochée au dernier strapontin du Top 14. Et des Gallois, quatrièmes de leur conférence du Pro 14 sur le classement, mais troisièmes pour l'EPCR, puisque les Sud-Africains des Cheetahs (oui, oui, Sud-Africains) ne sont pas éligibles à la Coupe d'Europe ! Ça, c'était pour la subtilité dans le «si», sans laquelle on ne serait pas certain d'être dans le monde du rugby ! Facile, non ?