Vous avez déjà joué au rugby ? Vous savez comment ça marche. Tu joues en première pour ton club, t’as un bon groupe, une bonne équipe, et sur un déplacement, les entraineurs décident de faire tourner et alignent 5 ou 6 réservistes prometteurs dans le 15. Inconsciemment, tu sais que ton équipe est plus faible. Inconsciemment, tu te dis que si l’entraineur tente ce genre d’expérience, c’est qu’il ne compte pas forcément sur une victoire. Du coup, inconsciemment tu te dépouilles moins que d’habitude, parce que tu te dis que de toute façon, avec cette équipe on gagnera pas.
Et peut-être que les jaunards en sont là avec toutes ces blessures, tous ces coups du sort. Les cadres sentent qu’avec les jeunes, les seconds couteaux, ça sera plus difficile, et à force de le penser, ils le croient et se mettent malheureusement au niveau. Ça, plus les blessures plus ou moins graves de presque tous, qui doivent aussi donner un sentiment de : la prochaine fois, c’est mon tour », et tu te retrouves dans une putain de spirale négative avec tout ce qui en découle : tu tentes plus rien, t’as moins envie de te faire mal, tu cogites et tu peux aussi mettre toutes ces histoires sur la faute de tes coéquipiers, tes entraineurs, ta cellule de recrutement, ton président, ta pelouse, tes supporters, le calendrier, les départs de la saison d’avant, les recrues décevantes, l’arbitre. Le résultat donne une sinistrose inévitable. Tu fais n’importe quoi, t’enchaines les erreurs idiotes, les fautes d’anti-jeu, les fautes d’inattention. T’as plus le mental. Surtout quand, depuis des années, t’es habitué à gagner, à faire peur à tout le monde et à accueillir des équipes qui, une fois sur deux, viennent chez toi en victime. Tu sais plus gagner, mais tu sais pas encore perdre. T’as jamais été dans cette situation ou tu joues ta saison sur chaque match. T’as beau te dire que tout ça finira bien par s’arrêter, à chaque nouvelle rencontre ça continue pourtant. Chaque nouvelle blessure d’un copain est un nouveau coup dur. Sans compter qu’on peut toujours reparler des blessures de ceux qui gagnent et des blessures de ceux qui perdent. On a toujours plus mal quand on perd, on supporte moins la douleur, c’est humain.