De retour sur le terrain avec l’Union Bordeaux-Bègles le week-end dernier face au Stade Français (46-26), l’international français Sipili Falatea (27 ans, 14 sélections) est sorti d’un long tunnel de huit mois d’absence en raison d’une rupture des ligaments croisés du genou. Le pilier droit devrait être titulaire à Lyon, ce samedi (21 h 05). D’un naturel si discret, il s’offre une vraie bouffée d’oxygène après cette période douloureuse sur le plan sportif, qu’il a dû mener de front avec de graves problèmes personnels dont il n’a jamais parlé.
Huit mois après votre blessure, vous avez rejoué avec l’UBB face au Stade Français. Comment avez-vous vécu ce retour ?
Je l’ai vécu avec beaucoup d’excitation. Je voulais tout bien faire, revenir au niveau que j’avais avant la blessure, apporter tout ce que je n’ai pas pu donner à l’équipe la saison dernière. C’était une très grande joie de refouler le terrain, surtout dans un stade Chaban-Delmas rempli. Et quand je me sens bien sur le terrain, ça fait du bien à ma famille. J’ai envie d’apporter ce bonheur à mes proches à travers le sport. Nous étions très contents lorsque nous nous sommes retrouvés après le match.
« À un moment, je me suis trop renfermé sur moi-même. Lorsque je rentrais à la maison, je ne voulais pas renvoyer l’image de quelqu’un de faible »
Les derniers mois ont aussi été très difficiles sur un plan personnel…
Oui, lorsque ma femme a accouché l’an dernier, les choses ne se sont pas bien passées, elle a subi de graves complications. Depuis que ma fille est née, on fait souvent des allers-retours à l’hôpital. La petite, elle, va très bien.
Sipili Falatea sur la pelouse du Stade Pierre-Mauroy de Lille après le match du XV de France contre l’Uruguay lors de la Coupe du monde 2023.
FRANCK FIFE / AFP
Pensez-vous que le fait de vous être blessé à ce moment-là n’est pas anodin ?
Non, évidemment. J’ai commencé à voir une psy à cette période. Je me suis rendu compte qu’à un moment, je me suis trop renfermé sur moi-même. Lorsque je rentrais à la maison, je ne voulais pas renvoyer l’image de quelqu’un de faible. Je devais apporter du réconfort à ma femme. Ce n’était pas facile tout le temps.
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Dans ces moments-là, le rugby devient-il secondaire ?
Oui mais ça reste quand même très important pour m’aider à moi. Quand je rejoins l’UBB, ça me permet de me défouler, d’enlever ce poids que je porte tous les jours. Alors revenir sur le terrain le week-end dernier m’a fait beaucoup de bien dans ce sens. Car quand je rentre à la maison, je dois être en forme pour tout prendre.
Pourquoi acceptez-vous d’en parler ?
Je ne suis pas du genre à porter attention à ce qui se dit sur moi. Il y a beaucoup de personnes à qui je ne me confie pas forcément. Parfois, certains portent un jugement… Je ne dirais pas sévère mais ils posent des questions qui me gênent un peu. Le plus important pour moi, c’est de m’occuper au mieux de ma famille, tout en me donnant à fond dans le rugby. Alors si je devais gérer ça en plus… C’est le monde du rugby, ça parle beaucoup. Mais quand ça vient de gens pour qui tu as de la considération, c’est différent.
Sur le plan sportif, comment avez-vous vécu ces huit derniers mois de convalescence ?
Cela a été long. Il a fallu travailler l’aspect mental, apprendre à être patient pour ne pas faire de faux pas. En fin de saison dernière, les coachs m’ont demandé si je pouvais revenir pour les phases finales. La question s’est vraiment posée avant la demie. J’ai répondu que je pouvais aider s’il y avait besoin. Blessé ou pas, avec l’envie, sur ce genre d’événement, le « oui » est facile, sans prendre forcément en compte certains paramètres avec le risque de gâcher des mois de travail. Mais on est restés prudents. Le staff médical a su calmer mon excitation de vite revenir.
Sipili Falatea à l’entraînement au Ceva Campus de Bègles.
Laurent Theillet / SUD OUEST
Comment avez-vous vécu ces phases finales ?
En tant que simple spectateur, comme tout le monde. J’étais à fond derrière l’équipe. Mais j’avais beaucoup travaillé l’acceptation de cette blessure sur le plan psychologique, dans le cas où l’équipe irait en finale. Ça me faisait mal mais ça allait.
On sent que sur cette longue convalescence, l’aspect psychologique a été le plus important…
Ça a été très dur. Au moment de la blessure, j’étais sur une bonne lancée, je me sentais très bien, les coachs avaient confiance en moi. J’ai dû vite travailler sur l’aspect mental avec une psy et une préparatrice mentale. On a fait le point sur tout ce que je laissais et tout ce que j’allais gagner dans cette situation. Ça a été difficile car à certains moments de la saison, il y avait des besoins à mon poste. Mais je ne pouvais rien faire, je me sentais un peu coupable. J’ai ensuite appris à relativiser.
« Travailler le côté mental avec quelqu’un m’a appris qu’on pouvait retirer des choses positives de chaque situation »
Cette blessure est tombée alors que vous reveniez fort, après avoir rongé votre frustration pendant la Coupe du monde. Cela a été d’autant plus dur à vivre ?
Oui, je suis revenu frustré de la Coupe du monde. Je suis arrivé un peu en retard sur la prépa à cause d’une blessure au genou en demi-finale du Top 14 face à La Rochelle (juin 2023). Forcément, les places étaient déjà attribuées. J’ai beaucoup travaillé sur le mental à cette période également. Si j’avais porté toute mon attention sur le côté négatif, la compétition aurait été longue. J’ai préféré prendre le côté positif, pouvoir travailler fort pour le retour en club. À mon retour à l’UBB, on devait avoir des vacances et Yannick (Bru) m’a appelé pour me dire que le club avait besoin de moi. J’ai dit oui direct. Le travail que j’avais fait pendant la Coupe du monde m’a permis de bien me relancer en Top 14. Et tout s’est vite arrêté.
Sipili Falatea le 25 novembre 2023 lors du match UBB - Perpignan.
Laurent Theillet / Sud Ouest
Avez-vous toujours été d’un naturel optimiste ou est-ce le fait de travailler avec un psy qui vous a aidé ?
Ça ne m’arrivait pas souvent de prendre le côté positif des choses, même si dans mon côté naturel, je ne me plains jamais. Travailler le côté mental avec quelqu’un m’a appris qu’on pouvait retirer des choses positives de chaque situation. Ça, c’est quelque chose de nouveau chez moi. Ça m’a montré qu’on a souvent besoin d’un œil extérieur. Ce travail a été assez long mais il porte ses fruits aujourd’hui.
Comment vous sentez-vous physiquement ?
Il faut encore un peu de temps pour que je retrouve mon niveau. Quand on revient d’une rupture des ligaments croisés, on n’est jamais au top. Mais quand je suis entré en jeu face au Stade Français, à 100 % ou pas, j’ai donné le maximum. À trop se poser de questions, se demander si on est prêt ou pas, c’est ce qui risque de tout ramener à la blessure.
L’équipe de France reste dans un coin de la tête ?
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Oui, toujours. Mais la priorité du moment, ça reste le club. C’est ce qui me permettra de revenir en équipe de France, c’est là où je dois envoyer un message : « Je suis de retour, je suis prêt, je ne viens pas là juste pour la promenade » (rires). Quand tu as déjà porté ce maillot, tu as forcément envie de le remettre.
Sipili Falatea lors du match France - Uruguay lors de la Coupe du monde 2023.
Laurent Theillet / SUD OUEST