Clermont : Samuel Ezeala, toute aile déployée
Publié le
vendredi 31 août 2018 à 00:15
| Mis à jour le
31/08/2018 à 00:49
Le jeune ailier de Clermont doit vivre avec les images de son K.-O. au Racing en janvier qui ont choqué. Huit mois après, même s'il ne sera pas du déplacement à la U Arena dimanche, il exprime enfin son potentiel.
C'est une question qu'il aurait certainement préféré ne pas avoir à se poser, mais Franck Azéma a vite tranché. Dans son groupe de joueurs qui va décoller demain pour Paris avant d'affronter dimanche le Racing 92 à Nanterre, fallait-il inclure Samuel Ezeala ? Le jeune ailier de Clermont a brillé le week-end dernier pour l'ouverture de la saison et sa première au stade Marcel-Michelin. Contre Agen, on l'a vu partout, apportant son écot au festival offensif des Auvergnats (67-23), il a même marqué deux essais et donné toutes les raisons à son entraîneur de le convoquer à nouveau dans le groupe pro. Mais le manager de l'ASM a vu autre chose dans la balance. Pour cet espoir de dix-huit ans, ce deuxième rendez-vous était synonyme d'un retour à l'Arena des Franciliens, près de huit mois après un épisode traumatisant, un K.-O. dû à une charge de Virimi Vakatawa lors de ses débuts en pro.
« Je ne l'amène pas avec nous, a finalement décidé Azéma, parce qu'il y a trop de bruit autour ! Pour lui, c'est usant. Chaque fois qu'il y a une commotion sur un terrain, il est mentionné dans les médias, sur les réseaux sociaux. Alors que lui, il y a longtemps qu'il a oublié ! Donc je savais que je n'allais pas l'exposer pour ce match. Il faut le protéger. J'en ai parlé avec lui en début de semaine, c'est un soulagement aussi pour lui, il était d'accord avec moi. Parce qu'au-delà du match, il aurait eu cette pression supplémentaire. Il a de la maturité, mais je ne veux pas le brûler ! »
«C'est sûr que, dans mon entourage, quand je croise quelqu'un, il me glisse presque toujours : "Et au fait, Sam, comment il va ?"» - Philippe Gauran, entraîneur des trois-quarts Espoirs clermontois
C'est qu'à son corps défendant, Ezeala est devenu une icône, au sens premier du terme. Sa mésaventure est venue incarner la commotion cérébrale et a cristallisé l'attention dans une période où le monde du rugby est hypersensible sur les questions concernant la santé des joueurs. Le 7 janvier , un protocole qu'on voyait pour la première fois dans le cadre du Top 14 a été mis en place pour l'évacuer, après de longs soins dispensés derrière un drap blanc, dressé là pour protéger son intimité, mais augmentant du coup l'inquiétude concernant la gravité de la blessure. Un grand sentiment d'effroi s'est alors diffusé dans les travées de la salle du Racing 92.
Au club, on a voulu lui éviter de subir en plus le poids de ce symbole. Tout en reconnaissant la force de l'image et la difficulté de lutter contre. Xavier Sadourny, qui s'occupe des jeunes dans le staff de Franck Azéma, regardait le match à la télé ce soir-là. Bien que rôdé aux risques de son sport, il reconnaît avoir été « choqué » en découvrant cette scène sur son écran. « Samuel nous a parlé de ce battage médiatique quand il est revenu, note Philippe Gauran, qui entraîne la ligne des trois-quarts des Espoirs jaune et bleu, dont faisait partie Ezeala la saison dernière. On lui a dit de ne pas se focaliser là-dessus et on a calmé le jeu par rapport aux demandes médiatiques. Mais c'est sûr que, dans mon entourage, quand je croise quelqu'un, il me glisse presque toujours : "Et au fait, Sam, comment il va ?" »
Lui-même doit vivre pour l'instant avec ce perpétuel rappel. Il s'en accommode comme il peut. Au début du mois, la mort de Louis Fajfrowski, le jeune joueur d'Aurillac décédé à vingt et un ans après un match contre Rodez après avoir subi un plaquage, a fait rejaillir son nom dans le débat sur la violence toujours plus grande de sa discipline. « Je souhaiterais que l'on arrête de me rappeler le K.-O. que j'ai subi en janvier dernier en m'identifiant sur les réseaux sociaux. Pour moi c'est du passé et j'aimerais ne plus y revenir ! Je suis désolé pour ce qui s'est passé ce week-end, toutes mes pensées vont à sa famille », avait-il d'abord twitté, irrité. Avant de reconnaître : « Même si je comprends que l'on parle de mon cas ! »
«Avec ce qu'il montre à l'entraînement depuis le début de la préparation et ses prestations en match amical, ce n'est pas comme si on ne le connaissait pas !» - Franck Azéma, manager de Clermont
Il comprend, mais il préférerait qu'on parle du joueur qu'il est, plus que du « cas » ! Clermont sait que cette transition se fera à travers ses performances sur le terrain, et celle montrée samedi dernier aura déjà commencé à changer les perceptions. Le Michelin l'a chaleureusement applaudi à son remplacement, après l'heure de jeu. « Il était aux anges, avec son sourire coquin ! » se marre Sadourny. « J'étais content pour lui, sourit Azéma. Mais pas surpris ! Avec ce qu'il montre à l'entraînement depuis le début de la préparation et ses prestations en match amical, ce n'est pas comme si on ne le connaissait pas ! »
2 Deux essais marqués lors de cette première journée au stade Michelin (67-23) par Samuel Ezeala contre Agen.
Ça fait un moment qu'à l'ASM, on sait qu'Ezeala est une promesse particulière. Depuis qu'on a reçu sa vidéo. Car le jeune espagnol d'origine nigériane, a démarché Clermont en n'hésitant pas à envoyer une compilation de ses meilleures actions sous le maillot du BUC, le Barcelona Universitari Club, où il a fait ses débuts tout gamin. Il y suivait son père adoptif, Carles, qui était éducateur dans cette institution bientôt centenaire. Celui-ci aurait dû être dans les tribunes, la semaine dernière, mais la veille, la mère de « Samu », comme on l'appelle au pays, s'était cassé le bras... Il a fallu se contenter de suivre ça à la télé, en famille, quand, en janvier dernier, ils étaient tous à l'Arena. Un moment difficile, puisque le service de sécurité avait un temps refusé de les laisser aller près de leur fils, jusqu'à l'intervention du staff de l'ASM. « Là on a été très contents de son match, nous a fait savoir Carles, et fiers de notre enfant ! »
Il aura donc fallu moins de trois ans à Ezeala (1,86m ; 93 kg) pour se frayer un chemin jusqu'à l'équipe première. « Samuel est un joueur qui va vite et qui possède un bon bagage technique, décrypte Philippe Gauran. Il a la passe des deux côtés, il est bon dans les airs. Et il est toujours à l'écoute. Il n'est jamais avare de questions, il t'en pose toujours une, si ce n'est dix, sur des situations de jeu. Il passe du temps en salle de vidéo, il étudie les adversaires, il va voir ses données GPS. Pas pour se gargariser, mais pour faire un état des lieux et progresser ! » Son agent, Emmanuel Billot a débriefé en début de semaine son match contre Agen au téléphone : « Il était content de son match, mais il sait que sa mission, en ce moment, c'est de montrer qu'il a le niveau, et que s'il est mis à nouveau sur la touche, à son âge, c'est normal. »
Le 12 mai, lors de la finale de Championnat de France Espoirs contre Pau, Samuel Ezeala a inscrit un essai. (BRUNEL RICHARD/LA MONTAGNE/MAXPPP)
Son parcours a tout de même suscité l'intérêt de l'équipe de France des moins de 20 ans, et, plus concrètement, de l'équipe de France à 7. Lui qui est éligible pour les Bleus, a entrepris des démarches pour avoir un passeport français, pourrait intégrer le collectif de Christophe Reigt. Azéma verrait cette formation d'un bon oeil, puisqu'elle permettrait à Ezeala d'élargir sa palette. En fin de saison dernière, les Espoirs avaient aussi utilisé ses services au centre, à son retour à la compétition, dans l'anonymat et la tranquillité, le 25 mars. L'ailier « véloce, robuste, très bon sur les duels, qui joue sur l'évitement, finisseur mais avec une mentalité altruiste », selon les mots de Sadourny, avait été capital pour mener ses coéquipiers au titre de champion de France de leur catégorie d'âge, en mai.
C'était quelques semaines avant de se replonger dans ses études. Lui qui est arrivé à Clermont sans parler un mot de français passait dans la foulée ses premières épreuves du bac, en juin dernier. « Il a huit points d'avance, il a eu de bonnes notes au dossier et sur le TPE », le félicite Bertrand Rioux, qui dirige le centre de formation. Ezeala va bientôt faire sa rentrée en terminale ES au lycée Massillon et s'il rêve d'une carrière pro de rugbyman, il garde la curiosité des études. « J'étais à une soirée où les jeunes célébraient leur titre, et il est venu me voir pour me poser des questions sur les formations qu'on propose ! » s'étonne encore Anne Pats, la responsable pédagogique de l'école supérieure de commerce de Clermont, qui a mis en place une filière Passion Sport. Ezeala s'y verrait bien, peut-être l'an prochain, bac en poche. Mais aujourd'hui, c'est surtout le terrain qui l'obsède. Et Clermont ne devrait pas tarder à lui offrir d'autres possibilités de s'y exprimer.