La Coupe du monde est passée. Elle était jusqu'ici une digue sur laquelle se crashaient les projections sur l'avenir. « Si les Bleus gagnent, s'ils perdent, on verra après... » Une mise entre parenthèses d'un microcosme en attente de l'élan espéré. La vie domestique a repris son cours sans passer par la case Élysée, parade sur les Champs, avec en ligne de mire, la politique et les élections à la tête des institutions. La première d'entre elles, le 22 janvier prochain, est prévue à Provale, le syndicat des joueurs, et ses enjeux majeurs autour de la santé, du rythme des saisons, mais surtout de son impact sur son territoire comme à l'international.
Après huit années d'une présidence pas toujours tranquille, Robins Tchale-Watchou devra céder sa place. En attendant que des candidats se déclarent, Mathieu Giudicelli, directeur général de l'institution, évoque l'avenir d'une structure qui doit encore muscler son influence en fédérant toujours plus de joueurs et de joueuses, alors que les premiers sujets de préoccupations émergent avec des intérêts souvent divergents de ceux de la LNR et la FFR.
« Il faut créer un lien de confiance et mettre les joueurs au coeur du projet. C'est le préalable à tout. Ils doivent avoir la possibilité de participer à toute prise de décision après une consultation préalable. Typiquement un sujet hyper important : la réforme des indemnités protectrices et des indemnités de formation avec de jeunes joueurs pris en otage. On a des sommes astronomiques mises en face de ces indemnités protectrices qui bloquent complètement le joueur.
Son niveau de rémunération doit être en phase avec sa valeur sportive, or ça n'est actuellement pas respecté. Par exemple, un club recruteur va proposer 15 000 € mensuels à un joueur pour évoluer sous ses couleurs mais le club formateur va le bloquer à hauteur de 400 000 € d'indemnités de formation, selon la situation, en lui proposant le salaire minimum (1 916 € brut en Pro D2) par mois pendant trois ans pour pouvoir prétendre à récupérer les indemnités. C'est une aberration et c'est injuste pour ces jeunes. »
« À la sortie de la Coupe du monde, les joueurs vont enchaîner quinze dates d'affilée. Aujourd'hui, ce n'est plus possible. Nous sommes en train de porter une mesure auprès de World Rugby, au travers de l'International Rugby Players (syndicat international des joueurs), pour encadrer cette dimension. C'est en cours de finalisation mais dans les grandes lignes, ce serait un week-end off tous les six matches. Nous avons travaillé avec les autres institutions sur le sujet et chacun a considéré que nous étions sur le bon chemin. Même constat au niveau de l'intersaison, nous avons aujourd'hui 4 semaines de coupure pour le Top 14 et la Pro D2. Les remontées du terrain nous disent que ce n'est pas suffisant. Pourquoi ne pas la prolonger d'une semaine ?
Les joueurs ont une préparation physique individualisée et monitorée, le fait de couper et d'être en famille une semaine de plus serait optimal et je pense que ce devrait être un objectif du syndicat pour avoir une approche vertueuse vis-à-vis de la santé. Les internationaux sont quant à eux les plus sollicités. Nous ne pouvons pas continuer à prendre des risques pour leur santé. Nous l'avons vu très récemment avec de graves blessures comme celle de Romain Ntamack (rupture du ligament croisé antérieur du genou gauche). Nous pensons qu'après un enchaînement de 3 rencontres internationales, le joueur doit couper au moins une semaine. La santé des joueurs ne peut pas être la seule variable d'ajustement. La période de Noël est le sujet à polémique chaque année. Il faut sanctuariser les 24 et 25 décembre sans compétition ni entraînement. Je suis convaincu que nous pouvons arriver à un terrain d'entente. Sur les temps de repos plus global, il est nécessaire d'encadrer l'enchaînement des rencontres. »
« Provale est en avance sur le sujet. Nous avons fait un benchmark (une étude comparative des performances) des autres institutions françaises ou même internationales. Ce niveau de service n'existe nulle part ailleurs. Il faut continuer de le développer. Aujourd'hui, nous proposons des formations 100 % adaptées à de grandes écoles. Nous allons développer avec les universités. Nous proposons avec nos partenaires en reconversion des métiers dans plusieurs secteurs d'activité. L'enjeu pour Provale est d'aller plus loin, mais aussi de développer les formations qu'il diffuse en interne. On a mis en place un bilan de compétence au sein de notre organisme de formation et c'est une très bonne chose. »
« Ce serait une bonne chose de constituer un accord collectif indépendant pour lancer et structurer le rugby professionnel féminin. C'est un projet qui prendra quelques années mais permettra aux joueuses d'évoluer dans un environnement viable, avec un régime qui les protégera. Il y a des enjeux forts sur l'accompagnement de la joueuse enceinte, la reconversion, les examens médicaux de début de saison, etc. Un gros travail est fait avec la Fédération mais il faut aller plus loin. L'institution a toujours amorcé le progrès. La professionnalisation du rugby féminin doit être une mission essentielle de la prochaine gouvernance qui devra compter des joueuses en son sein. Nous avons Marjorie Mayans (ex-internationale française de rugby à sept et à quinze) dans nos rangs qui connaît la réalité du terrain. Elle est un atout important pour Provale. »
« Toutes les négociations se passent dans les instances. Avec mes quatre années d'expérience, je sais que les équilibres sont fragiles. Nous entrons dans une période de forts enjeux institutionnels qui permettront à la structure de se pérenniser ou de péricliter. Les acteurs autour de la table sont redoutables. C'est pourquoi il est vital que le futur président soit dédié à 100 % à Provale. La fonction est énergivore avec sa centaine de réunions un peu partout dans le monde, un travail de représentation vital, et la présence au siège chaque semaine pour la gestion.
Et puis, Provale doit être le référent de tous les joueurs, notamment les internationaux. Nous avons négocié des accords avec la Fédération comprenant des avancées financières conséquentes, il faut continuer dans ce sens. Mais quand on voit que la FFR a un déficit structurel de 20 M€ par an avec des prévisions sur plusieurs années, on peut se dire que les négociations à venir vont être très sensibles et c'est à l'institution de s'exposer, pas aux joueurs.
Il est aussi essentiel que la future gouvernance s'installe au niveau international pour que la voix des joueurs soit entendue auprès de World Rugby. Je siège au sein du board de International rugby players (le syndicat mondial des joueurs) et je pense que Provale joue un rôle majeur sur les discussions internationales. Les décisions de World Rugby doivent être prises en considérant nos intérêts et je suis ravi de voir l'importance que nous avons eu lors des dernières discussions par rapport aux enchaînements de match, l'intersaison et les repos des internationaux. »