Le rendez-vous était matinal : 9 heures, ce mercredi, dans le cadre cosy de l'hôtel Botaniste du XVIe arrondissement de Paris. Un peu précipité aussi. C'est que la vie de Virimi Vakatawa s'est accélérée ces derniers jours, prenant un tour inattendu pour à peu près tout le monde sauf pour lui.
31 ans
Ancien trois-quarts centre des Bleus (32 sélections).
Septembre 2022 : Il est contraint de mettre un terme à sa carrière de joueur professionnel en raison d'un problème cardiaque.
Palmarès : Finaliste de la Coupe d'Europe en 2018 et 2020 avec le Racing 92.
Mis à la retraite forcée par une malformation cardiaque évolutive en début de saison dernière, l'ancien centre international du Racing 92 n'a jamais cru à sa fin de carrière. Poussé par une conviction intime, sa foi et le soutien de sa famille, « Viri », si timide et pudique derrière le sourire enfantin qui barre continuellement son visage, a accepté d'évoquer son manque devenu insoutenable, la confiance qu'il a dans ce corps qu'il connaît par coeur et un destin tracé par quelque chose qui le dépasse.
« Le 6 septembre 2022, vous annonciez mettre un terme à votre carrière en raison d'une anomalie cardiaque. La semaine dernière, à la surprise générale, le média britannique "Rugbypass" évoquait la possibilité que vous rejouiez avec les Barbarians britanniques la semaine prochaine contre les Samoa (la liste devrait être annoncée ces prochains jours). Qu'en est-il exactement ?
Tout d'abord, il y a un an, ç'avait été très dur de faire cette annonce parce qu'au fond de moi je n'étais pas du tout inquiet (pour sa santé). Il n'y avait pas de panique. C'était juste le fait d'annoncer que j'arrêtais qui me rendait triste. Derrière, j'ai dit que c'était fini, mais, au fond de moi, je savais que le rugby, pour moi, ça n'était pas fini.
Avez-vous fait cette annonce malgré vous ?
Oui. Il fallait le faire, donc je l'ai fait. Mais je savais que ce n'était pas la fin.
Ce problème cardiaque avait été détecté en 2019 avant la Coupe du monde au Japon, et le médecin du Racing, Yann Blanchard, a évoqué l'an passé une pathologie évolutive. Aviez-vous conscience que le corps médical pouvait vous dire stop à tout moment ?
Comme je l'ai dit à l'époque, lors de ma conférence de presse au Racing, je ne ressentais rien du tout. On était l'été dernier au Japon avec l'équipe de France, il faisait très chaud (il se marre). J'étais rentré ensuite de la tournée, j'avais fait la prépa avec le club, je ne ressentais toujours rien et d'un coup... Mais le médecin a fait son job. Il n'y a pas de problème avec ça. Après, comme je l'ai dit, dans ma tête, ce n'était pas fini. Je savais qu'on trouverait une solution. Pas en France, ça c'est sûr, puisque c'est la règle. Mais j'étais sûr qu'on trouverait quelque chose d'autre, ailleurs, pour que je continue à jouer.
« J'ai encore beaucoup à faire dans le rugby en tant que joueur »
La difficulté avec votre pathologie est que vous ne ressentez aucun symptôme ?
Je sens mon coeur. S'il dit : "non, arrête", je ne suis pas con non plus. Je savais que je pouvais continuer, même au Racing, mais ils ont pris une décision que je respecte totalement.
Vous vous sentez bien ?
Oui.
Comment avez-vous traversé cette année entre votre conviction que vous pouviez encore jouer au rugby et l'interdiction qui vous était faite ?
Après l'annonce, je suis resté au club, avec Yannick (Nyanga) qui m'a proposé d'animer avec lui et Joe Rokocoko les entraînements des Espoirs jusqu'à la fin de saison. Cela m'a aidé aussi par rapport à la décision que j'ai prise. L'idée de rejouer était toujours là. J'ai même fait des entraînements avec les jeunes. Quand il n'y avait pas assez de joueurs, Joe et moi faisions le nombre. Des membres du staff me disaient : "Fais attention avec ton truc." Mais moi, je ne sentais rien. Puis je suis rentré aux Fidji (d'où il est originaire) et le fait de revoir ma famille m'a motivé encore plus.
« Toutes les personnes que je croisais me disaient : tu vas rejouer, ne t'inquiète pas. Tout le monde est convaincu de ça. Et je le sais aussi »
Dans quel sens ?
Cela m'a donné de la force. Toutes les personnes que je croisais me disaient : tu vas rejouer, ne t'inquiète pas. Tout le monde est convaincu de ça. Et je le sais aussi. En rentrant, j'ai envoyé un message à Laurent (Quaglia, son agent), je lui ai dit qu'il fallait qu'il me trouve un truc.
Avez-vous rejoué lors de votre séjour aux Fidji ?
Non. Il y avait des tournois et puis je préférais rester au village avec ma famille.
Avez-vous repris l'entraînement de manière assidue ?
Je ne me suis pas entraîné aux Fidji, mais j'avais pas mal de travail physique à faire à la ferme. En plus, j'ai construit une maison. Avec la rénovation, il fallait porter des cailloux (il se marre). Quand je suis rentré, j'avais perdu pas mal de poids.
Et depuis ?
En rentrant en France, j'ai commencé direct l'entraînement à la maison. J'ai un vélo d'appartement, je fais de la musculation en salle à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) pour 9 euros, ça va (rires). À côté, il y a aussi un stade de rugby, porte d'Auteuil.
« Je me sens bien, mais c'est juste de la prépa physique. Je n'ai pas touché un ballon de rugby depuis... pfff... un an ! »
Quel genre de séances faites-vous ?
Tout seul. Parfois, quand je m'entraînais, il y avait des jeunes du Stade Français. Je crois qu'une fois, l'un d'entre eux m'a reconnu. J'ai entendu : "Vakatawa, Vakatawa", mais j'ai fait semblant de ne pas comprendre avec les écouteurs et je me suis cassé (rires).
Comment vous sentez-vous après avoir commencé à vous réentraîner ?
Je me sens bien, mais c'est juste de la prépa physique. Je n'ai pas touché un ballon de rugby depuis... pfff... un an ! Une semaine d'entraînement avec les "Babaas" avant le match, ça va m'aider pour le rugby.
D'où vient votre détermination à rejouer malgré la crainte que l'on peut ressentir pour vous ?
J'ai dit à Laurent (Quaglia) que je ne me sentais pas seul. Je crois en Dieu. Je sais qu'il y en a un dans ce monde. C'est lui qui m'a donné ce talent. Au fond de moi, j'ai encore beaucoup à faire dans le rugby en tant que joueur. Peut-être que je serai un jour entraîneur, mais pas maintenant. Je préfère encore jouer et montrer mon talent sur le terrain avant de passer à autre chose. C'est mon idée. Je ne veux pas regretter d'avoir arrêté maintenant alors que je sais au fond de moi depuis le départ que je peux continuer, montrer des choses sur un terrain.
Vous vous sentez guidé par quelque chose de spirituel ?
Oui.
« Peut-être qu'ils me diront que je suis fou, que je risque ma vie, mais pas du tout »
Qui se matérialise comment ?
Dans les prières de ma famille, les miennes. Et l'opportunité est finalement tombée, avec les Babaas. Cela veut dire que Dieu a écouté tout ce qu'on demandait. J'ai gardé cette confiance en moi, je n'ai pas baissé la tête, même après l'annonce, j'ai continué à m'entraîner et jusqu'à maintenant je ne perçois pas de signes qui pourraient me dire que j'ai un problème.
C'est vrai que lors de votre conférence de presse en 2022 vous n'aviez pas paru abattu comme les joueurs peuvent l'être quand ils arrêtent...
J'ai dit ces mots parce que je devais le faire mais, au fond, ce n'était pas fini. Pas ce jour-là, ni aujourd'hui. Peut-être qu'ils me diront que je suis fou, que je risque ma vie, mais pas du tout.
Malgré les risques, vous n'avez pas d'appréhension ?
Non, je n'ai pas peur.
Les démarches sont lancées pour votre reprise dimanche lors du rassemblement des Barbarians britanniques à Brive. Comment vous sentez-vous ?
Je suis excité, content. J'ai eu Pat Lam (le manager des Babaas et de Bristol) au téléphone hier (mardi). J'ai commencé à fouiller dans mes affaires pour retrouver un protège-dents (rires). J'ai juste hâte.
« C'est dur de ne pas participer à la Coupe du monde. Mais c'est comme ça. Je vais les suivre, je leur souhaite le meilleur »
Qu'est-ce qui vous manque le plus dans le rugby ?
Tout. La préparation, être avec les autres joueurs... Tout me manque.
Entraîner les jeunes n'a pas compensé ?
Ce n'est pas pareil. Même quand j'étais entraîneur, j'avais envie de montrer aux jeunes, cela voulait dire que j'avais envie de jouer. C'est bien de passer un message mais je préfère montrer comment faire. C'était trop tôt pour moi.
Avez-vous appelé des coéquipiers ou avez-vous reçu des messages depuis que votre retour a été annoncé ?
Non, pas beaucoup. Brice Dulin (La Rochelle) m'a envoyé un message, Maxime Machenaud (Bayonne) aussi. Au Racing, je n'ai pas parlé avec des joueurs depuis un moment. Mais il n'y a aucun souci avec le Racing ni avec personne.
Vous dites ne pas avoir touché un ballon depuis un an, mais vous n'avez pas non plus plaqué et vous allez sûrement reprendre votre carrière face aux Samoa le 18 août...
Vous pouvez faire toutes les prépas physiques que vous voulez, le rugby, ce n'est pas pareil. Juste le fait de partir puis rester avec des joueurs une semaine, je pense que ça va me faire du bien. Et après, le rugby, dès que tu es dedans, avec de l'envie... Ça va le faire.
L'équipe de France prépare actuellement sa Coupe du monde, qui était l'un de vos objectifs. Comment allez-vous suivre l'événement ?
Je n'ai pas de contact avec eux. Nous avions été invités en novembre avec Bernard Le Roux (arrêté plusieurs mois pour une commotion cérébrale). C'était cool d'être avec eux, de remettre les maillots. Pour la Coupe du monde, je n'ai pas de nouvelles. Après, c'est dur de ne pas y participer. Je me sens un peu triste. Mais c'est comme ça. Je vais les suivre, je leur souhaite le meilleur et, bien sûr, un titre de champion du monde. Ça va être énorme. »