Emmanuel Meafou (26 ans, 8 sélections) a mis un genou à terre. C’était il y a quelques semaines. Titulaire lors des deux premiers matchs du Six-Nations, face au pays de Galles et l’Angleterre, le deuxième ligne international du Stade Toulousain a été « séché » par une sérieuse infection pulmonaire. Le colosse des Bleus, qui a grandi en Australie après être né en Nouvelle-Zélande de parents samoans, est pourtant du genre solide. Mais ça l’a suffisamment ébranlé pour le contraindre au forfait face à l’Italie. En son absence, le jeune Mickaël Guillard a brillé à Rome et à Dublin. Appelé à entrer en jeu en deuxième période face à l’Italie, Emmanuel Meafou a tout de même eu le temps d’étaler sur la pelouse toutes les qualités qui font de lui une des attractions du Top 14. Cette puissance à nulle autre pareille. Ces plaquages cinglants. Et cette gestuelle soyeuse qui détonne chez un joueur de ce gabarit. Avant le coup d’envoi de ce Six-Nations, il avait accepté de se raconter. Entretien.
« Il ne faut pas être seulement costaud, il faut aussi faire preuve d’intelligence »
En parlant de vous, Fabien Galthié estimait en novembre dernier que vous étiez encore un potentiel en développement au niveau international. Êtes-vous d’accord avec lui ?
Bien sûr. Je dois encore réussir à bien basculer entre le Top 14 et les matchs en sélection. Ça n’a rien à voir. Je n’ai joué que cinq matchs en équipe de France. Ce n’est pas grand-chose en vérité. Avec plus de rencontres, avec plus de temps de jeu, je pense être capable de changer beaucoup de choses dans mon jeu pour devenir meilleur. Le joueur que je suis aujourd’hui n’aura rien à voir avec celui que je serai dans deux ou trois ans.
Qu’est-ce que vous pourriez changer dans votre jeu ?
Je pense à ma capacité de déplacement. À ma vision aussi. Ça signifie voir les choses avant qu’elles ne se produisent, être bien positionné plus tôt, utiliser des crochets intérieurs ou extérieurs pour éviter des collisions. Je sais que je suis capable d’aller tout droit. Mais il ne faut pas être que costaud, il faut aussi faire preuve d’intelligence. Un des joueurs que j’adore, qui est un des meilleurs deuxième ligne du monde, c’est Thibaud Flament. Il n’a pas le même gabarit que moi, mais il avance à chaque fois. Il est très mobile, toujours en avance : c’est quelque chose que je peux travailler.
Comment y parvenir ?
Ça commence par mon physique. Je dois être assez léger, mais pas trop pour ne pas perdre ma force. Je dois trouver le bon équilibre entre la puissance et la capacité de jouer pendant 80 minutes. Je dois aussi travailler les angles de mes courses, mais j’ai aussi beaucoup de choses à faire dans l’analyse de l’adversaire.
Vous êtes aux alentours de 140 kilos actuellement. Quel est votre poids idéal à vos yeux ?
Pour le niveau international, je pense que 140, c’est bien. Lors du dernier match de la tournée de novembre (contre l’Argentine), j’étais à 143 kg. Je me sens très bien quand je suis comme ça. Je suis capable de multiplier les temps de jeu et de récupérer plus vite. Quand je suis trop lourd, après avoir porté le ballon deux fois, je le ressens dans mes jambes : je ne peux plus courir. Il me faut deux ou trois minutes pour récupérer avant l’action suivante. À l’inverse, quand je me sens bien, je me sens capable de taper dans les rucks, recharger les actions, plaquer encore et encore. Quand je suis bien, je n’ai besoin que de trois secondes pour récupérer. Un des points forts de mon jeu, c’est la force. Je ne peux pas le perdre, mais il faut être assez « fit » pour enchaîner les efforts.
Uini Atonio raconte qu’il s’est senti mieux le jour où on a arrêté de lui parler de son poids. Quel est votre rapport à cela ?
Non. Je n’ai aucun problème avec ça. Oui, les médias m’en parlent. Mais en vrai, je m’en fous. Je sais quand je me sens bien ou non : je me connais, je sais ce dont j’ai besoin. Un mec à 100 kilos n’est pas forcément en forme. Je peux être mauvais à 140 et faire un très bon match à 150 kg. Le poids ne fait pas toujours la différence. Le poids est un facteur de performance. Mais tu as aussi besoin d’un bon cerveau.
« J’ai deux grandes sœurs et deux petits frères : on était tout le temps en train de jouer avec un ballon »
Vous parlez beaucoup de votre puissance, de votre gabarit. La qualité technique est pourtant aussi l’une de vos forces. Comment l’avez-vous développée ?
J’ai deux grandes sœurs et deux petits frères : on était tout le temps en train de jouer avec un ballon. Au volley, au basket… En Australie, mes sœurs ont fait du netball (un dérivé du basket). J’avais toujours un ballon entre mes mains. Le rugby, je l’ai commencé à XIII comme je l’ai dit. Et dans cette discipline, les avants touchent beaucoup de ballons aussi : ils font des passes de 10 ou 20 mètres. Le rugby à XV a changé. Mais avant, j’avais l’impression que devant, à part les troisième ligne, on ne touchait jamais le ballon ou on ne faisait jamais de passes. Désormais, tout le monde est impliqué.
Quand vous dites que vous voulez faire évoluer votre jeu, c’est parce que vous avez l’impression de trop vous reposer sur votre puissance désormais ?
Non. Mais je ne peux pas jouer uniquement avec ça. Je peux prendre l’exemple d’Ardie Savea. Il est très puissant, mais il a aussi une très bonne technique : c’est l’un des meilleurs joueurs du monde. Aller tout droit et passer par le sol, ça ne suffit pas. Je veux être un joueur complet : avoir de la puissance, des skills pour faire des offloads, c’est ça qui change tout. J’ai envie d’être le meilleur deuxième ligne du monde. Et si j’arrive à progresser, je sais que je peux le devenir.
Avez-vous un modèle ou une source d’inspiration au poste ?
Quand j’étais plus jeune, c’était Brodie Retallick, le deuxième ligne de la Nouvelle-Zélande. J’adore ce mec. On n’a pas du tout le même physique, mais je le trouve énorme. Physiquement, il se donnait à fond. Il avait d’excellentes mains. Il marquait des essais. Et il a gagné le titre de meilleur joueur du monde ! Pour le devenir, tu dois être bien au-dessus des autres que lorsque tu joues en numéro 9 ou 10, à des postes où tu touches beaucoup de ballons.
Vous aimez désormais intimider l’adversaire, lui faire mal à l’impact ?
Dans le jeu, oui. C’est le but. Le combat, c’est de « taper » contre les mecs, gagner les duels. Bien sûr que j’aime faire un gros plaquage, une grosse percussion.
Emmanuel Meafou, tout en puissance face aux Gallois.
Fabien COTTEREAU
« Ma mère me disait que le joueur en face voulait me casser les bras et les jambes et que je devais faire pareil »
Vous parlez de votre goût pour les collisions. Avez-vous, même enfant, toujours aimé cette dimension de domination ?
Non. En fait, c’était l’inverse. Comme j’étais trop gros, je faisais gaffe à ne pas faire mal aux autres. J’étais trop timide, trop gentil dans le jeu (sourire). Les plus petits que moi étaient plus méchants : n’ayant pas de gabarits, ils s’envoyaient à 100 %. Ça a un peu gêné ma progression en grandissant. Finalement, c’est ici en France, que j’ai réussi à devenir plus agressif dans le jeu, à retrouver de l’intensité pour utiliser mon corps à 100 %.
On vous le reprochait ?
Oui, ma mère me le reprochait. Avant les matchs, elle essayait toujours de m’énerver pour que je sois plus méchant dans le jeu. Elle me disait que le joueur en face voulait me casser les bras et les jambes et que je devais faire pareil. Mais je suis un mec gentil. Je n’étais pas aussi bon quand j’étais plus jeune.
N’est-ce pas marrant d’imaginer une maman tenir un tel discours à son enfant ?
Bien sûr. Mais ma mère savait que j’étais capable de faire mieux. Même si j’étais réservé, elle était convaincue que je pouvais tout faire sur un terrain de rugby. Que je pouvais effectuer de grandes choses dans un match. Même à 12 ans, elle croyait que j’étais un homme capable de réaliser des grandes choses. Elle m’a poussé à être plus mariole. En plus, je lui avais dit que je voulais devenir rugbyman : elle savait que c’était mon rêve. Elle a fait en sorte que je le touche.
Avez-vous grandi dans un univers rugby ?
Non, pas du tout. Mon papa n’avait qu’un peu joué, lorsqu’il était au collège. Mais en Australie, le sport numéro un est le rugby à XIII. On a commencé à le regarder à la maison, et mes potes au collège y jouaient aussi. C’est comme ça que j’ai commencé le rugby.
Quel rôle ont joué vos parents dans votre carrière ?
Tout ! Ma mère et mon père ont tout fait pour mes frères, mes sœurs et moi. On est cinq, on pratiquait tous un sport. Et mes parents étaient toujours là, chaque week-end, à chaque entraînement ou chaque match. Quand je n’étais pas trop bien, jeune, ils m’ont encouragé à continuer à bosser en me disant que ça allait venir. Je n’étais jamais choisi dans les grosses équipes, je n’ai jamais joué avec les moins de 20 ou les moins de 18 en Australie. Mais ils ont toujours été mes premiers soutiens.
Emmanuel Meafou lors de la victoire à Cardiff dans le Tournoi 2024.
AFP
La 5e dimension
Emmanuel Meafou ne sera donc que remplaçant face à l’Écosse. Brillant lors des deux derniers matchs, Mickaël Guillard conserve logiquement sa place. Le deuxième ligne du Stade Toulousain aura toutefois un rôle primordial lors de son entrée en jeu. Une mission renforcée par l’option du 7-1 sur le banc qui demande aux avants de finir de remporter le bras de fer face aux adversaires. Contre l’Irlande, il a montré en seulement 30 minutes à quel point il était important. Il a touché 11 ballons. Sur ce total, il a très nettement remporté son duel à six reprises. Et il a réussi cinq offloads sur ses autres possessions. Une autre dimension.