C'est au coeur des Pyrénées, à Saint-Lary-Soulan, où il était en stage avec sa nouvelle équipe de l'UBB, que Christophe Urios nous a parlé de son livre. Un bouquin rédigé à quatre mains avec le consultant en management et gérant d'entreprises Frédéric Rey-Millet, qui avait déjà écrit un ouvrage du même type avec l'entraîneur de foot Pascal Dupraz. « Au départ, je n'étais pas très chaud, et je le lui ai dit, confie le néo-manager bordelais. Et puis, après réflexion, j'ai pensé que ça pouvait avoir du sens. J'ai toujours adoré lire des biographies de techniciens, des bouquins sur les méthodes de management. J'ai donc fini par accepter. »
Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Ce livre, enrichi par de multiples et courts entretiens entre les deux auteurs, décrypte la manière de fonctionner d'Urios en s'appuyant sur quelques-uns des matches les plus révélateurs de la saison passée. Son titre ? Être meilleur ne s'arrête jamais. « J'ai lu cette phrase dans un livre sur les All Blacks, dit l'entraîneur. C'est une expression qui m'habite tous les jours, quelque chose que j'essaie de transmettre en permanence à mon staff et à mes joueurs. »
« Ce livre révèle quelques séquences de vie restées secrètes jusqu'à aujourd'hui. Comme ce moment, avant Castres-Toulon (16-25), lors de la dernière journée de la saison régulière, où vous fondez en larmes devant vos joueurs pendant le discours d'avant match...
Ouais... Plus on se rapprochait de la causerie, plus je sentais que ça montait. J'étais un peu tendu, je ne sais pas pourquoi... Était-ce parce que je sentais la fin approcher ? Pourtant, j'étais vraiment braqué sur ce match. Je n'étais ni dans l'après ni dans l'avant. C'est quand j'ai lancé le discours que ça m'a pris. Je me suis arrêté de parler, j'ai essayé de me calmer, mais... je n'y arrivais pas, c'était dur. Mais c'est la vie, les émotions ne se maîtrisent et ne s'expliquent pas toujours. Peut-être ai-je montré un mauvais visage à mes joueurs à ce moment-là. Mais moi, je ne triche pas. Je suis comme ça, authentique. Je n'arrive pas à faire semblant. En tout cas, je ne regrette rien. J'avais beaucoup d'affection pour ces joueurs et j'en ai toujours, même s'ils m'ont énormément déçu. Je n'ai pas changé d'avis, moi. On a réalisé un très beau parcours et fait grandir le club ensemble.
Votre relation plutôt distante avec le président Pierre-Yves Revol revient à plusieurs endroits du livre. La regrettez-vous ?
J'ai effectivement eu cette expérience avec le président Revol. J'y ai ma part de responsabilité, je ne suis pas très bon avec ma hiérarchie. Aujourd'hui, je souhaite que cette expérience me serve de leçon. C'est pour ça qu'ici, à l'UBB, le président Laurent Marti et moi avons décidé d'instaurer une relation régulière. On se verra au moins une fois par semaine pour partager. C'est nécessaire pour faire évoluer le club et le sportif. Après, franchement, ma relation avec Pierre-Yves Revol n'est en rien responsable de notre mauvaise fin de saison avec le CO.
Quel était le problème, alors ?
Le manque d'humilité. On pensait tous qu'on jouerait les barrages. Faut dire qu'il y avait tellement peu de probabilités qu'on n'y soit pas... Je trouvais que les mecs avaient un peu changé depuis la victoire à Bordeaux-Bègles(12-16, 22e j.), le 13 avril. Je leur disais : "Les gars ! On va finir septièmes si on continue comme ça !" Je m'en veux de n'avoir pas réussi à les remettre sur les rails. J'ai sûrement manqué de vigilance.
« Quand le calendrier est sorti, je n'ai même pas regardé à quelle date tombait le match à Castres »
Leur avez-vous fait trop confiance ?
Mais bien sûr ! On avait tellement vécu de choses ensemble. Et c'est un tel groupe de compétiteurs, si bon lors des échéances décisives... Tu te dis que les mecs finiront par réagir, comme ils l'ont toujours fait. Et puis non. Le match contre Toulon est catastrophique. Ce jour-là, on a fait pleurer toute une ville. Pourtant, on avait fait un boulot tellement énorme jusque-là. On avait gagné huit fois à l'extérieur. C'est aussi l'année où on a entrepris le plus de choses avec les joueurs sur le plan du management. On a échangé en permanence, on a fait des voyages, on les a laissés construire des semaines d'entraînement, etc. Tout ça pour ça ?
Certains joueurs ont critiqué votre absence lors du barbecue présidentiel qui clôturait la saison...
Ils m'en veulent parce que je ne leur ai pas dit au revoir, oui. Mais sans déconner, c'est quoi ça à côté de l'erreur qu'on a commise ? J'ai franchement donné ma chemise pour eux. Quand tu sais combien c'est dur de gagner un bouclier de Brennus, j'ai le sentiment qu'on l'a abandonné sans combattre. C'est ce qui me fait le plus mal, qui me rend malade. Mais pourquoi on a fait ça ? Même aujourd'hui, c'est très vif. Alors, c'est vrai que ne pas être allé à cette fameuse grillade est sûrement un brin égoïste, mais franchement, je n'avais pas envie de les voir. De toute façon, ils le savaient. Je le leur avais dit dans le vestiaire juste après le match. Salut les gars, c'est fini, ciao ! Certains sont venus à la maison ou ont essayé de m'appeler pour me faire changer d'avis, mais je n'ai même pas répondu. Je n'avais pas envie de ça. Il fallait que je tourne la page. Tenez, quand le calendrier est sorti, je n'ai même pas regardé à quelle date tombait le match à Castres...
Votre choix de titulariser Yannick Caballero contre le RCT pour lui offrir une dernière sortie à domicile avant sa retraite a pu laisser croire aussi que vous n'aligniez pas votre meilleure équipe...
(Il coupe.) J'ai lu effectivement qu'un joueur disait que j'avais aussi manqué d'humilité. C'est faux. J'ai l'impression que celui ou ceux qui disent ça n'étaient pas avec nous dans le vestiaire. Ils ont bien vu quand même les problèmes qu'on rencontrait à certains postes, les blessures des uns, la méforme des autres... Moi, j'ai juste constaté que depuis le match à l'UBB, certains ne s'entraînaient pas comme il fallait. Après, j'ai sûrement manqué de vigilance, comme d'autres. Mais aujourd'hui, si c'était à refaire, je referais pareil. Yannick Caballero serait sur la feuille de match. Je ne vois pas ce que j'aurais pu changer. Ah si ! j'aurais dû annuler le stage à Saint-Lary, juste après la défaite à domicile contre Montpellier(9-12, 24e j.). J'aurais dû dire aux gars O.K., cassez-vous, retrouvez votre famille, prenez soin de vous et on se retrouve lundi pour préparer le match à Agen. Au lieu de ça, on est arrivés là-bas après deux défaites à la maison et je n'y ai pas senti le retour d'une bonne dynamique, même si on a gagné à Agen(10-17, 25e j.). Si je pouvais revenir en arrière, j'annulerais ce stage.
Ce livre dévoile aussi les trois clés de votre management. La première étant de "se rebeller"... Rebelle, vous ?
(Il sourit.) C'est vrai que lorsque Fred (Rey-Millet) m'a dit que j'étais un véritable rebelle, j'ai été surpris. Au premier abord, je n'ai perçu que la connotation négative du mot. Pour moi, un rebelle était le mec qui ne supporte pas les règles, qui se révolte contre tout, etc. Fred m'a répondu que non, que ce n'était pas que ça. Le rebelle est aussi un curieux qui va chercher des informations un peu partout, qui s'intéresse à la nouveauté, qui refuse un monde figé, qui fait tout pour progresser... Finalement, c'est un profil qui me correspond parfaitement.
« Ce n'est pas parce que je travaille quinze heures par jour que je suis plus fort que les autres »
La deuxième clé, c'est de "rêver"...
Oui. Parce que pour avancer, il faut rêver fort, rêver dur. Un rêve, ce n'est pas quelque chose que tu vas confier à la presse. C'est interne, c'est dire entre quatre murs, avec tes joueurs et ton staff : "Notre rêve absolu, c'est ça, voilà ce qu'on veut." Mais si tu as un rêve et que tu ne mets pas un plan d'action derrière pour tenter de le réaliser, ça devient un cauchemar, ça ne sert à rien. Exécuter, c'est la troisième clé de mon management. L'exécution se fait en accord avec les joueurs. C'est ce que j'appelle la raison d'être, l'objectif, les valeurs, le projet commun qui nous pousse à avancer ensemble.
Quel était votre rêve la saison dernière à Castres ?
Ce n'était pas d'être champion de France, puisqu'on venait de le devenir. C'était de marquer l'histoire du club, c'est-à-dire de gagner un deuxième titre d'affilée, ce que le club n'avait jamais réussi à faire. C'était notre rêve. Et quand ce rêve est là, tout près d'être réalisé, tu n'as pas le droit de ne pas le prendre. Mais qu'est-ce qu'on a foutu ?
Ce livre vous décrit aussi comme un technicien obsessionnel. D'accord ?
Ouais. Je suis un vrai obsédé (rires) ! Je suis engagé à fond dans mon job, mais ce n'est pas parce que je travaille quinze heures par jour que je suis plus fort que les autres. Il y a des gens qui n'ont jamais rien branlé de leur vie et qui ont une reconnaissance forte. Et d'autres qui ont besoin de marner pour exister. Moi, j'ai besoin de travailler. Je suis un mec laborieux, un mec qui s'est construit comme ça, par étapes. J'aime quand je maîtrise et contrôle le plus de choses possible. L'aléatoire, j'essaie de le supprimer complètement. Ça rend mes journées longues, je passe d'un truc à l'autre, mais ça me plaît. Je suis passionné par ce que je fais.
Quelle est la partie de votre métier que vous affectionnez le plus ?
Aujourd'hui, je suis plus attiré par le management et l'accompagnement des hommes que par le jeu. Mais je suis avant tout un technicien. Je sais que vous, les médias, avez l'habitude de cataloguer les entraîneurs, de dire qu'untel est un meneur d'hommes, qu'untel est paternaliste, qu'untel est un fin tacticien, etc. Mais c'est de la connerie, tout ça ! Aujourd'hui, si tu es respecté en Top 14, c'est parce que tu es un technicien. Si tu fais rêver tes joueurs en leur faisant miroiter je ne sais quoi et que derrière il ne se passe rien, ça ne va pas durer longtemps. Moi, j'aime quand mes joueurs jouent et se battent ensemble, quel que soit le rugby pratiqué. À Castres, j'avais un rugby différent de celui d'Oyonnax, et ici, à l'UBB, j'aurai un rugby différent de celui du CO, parce que je m'appuie sur le potentiel de mon groupe et sur la culture du club et du territoire. Ce qui me motive le plus, c'est de rendre les joueurs heureux autour d'un projet. Mais il ne s'agit pas juste de faire ami-ami avec eux. Je n'encourage pas les mecs à boire des bières ou à aller faire la fête. Ce n'est pas mon job et ils n'ont pas besoin de moi pour ça.
Vous dormez très peu, environ quatre ou cinq heures par nuit. Comment faites-vous pour tenir le coup ?
Quand j'ai un coup de pompe, j'ai un remède terrible : je me couche très tôt, environ à 20h30. Je prends un bouquin, je m'endors, et le lendemain, c'est reparti. Mais ça ne m'arrive pas souvent quand même. Mon rythme, c'est de me coucher à 23 heures et de me lever à 4 ou 5 heures. Le matin, à la maison, c'est calme, il n'y a personne autour, c'est là que je peux le mieux avancer sur les parties qui demandent le plus de réflexion. Parce qu'après, quand t'arrives au centre d'entraînement, ça ne s'arrête jamais. Et le soir, après le dîner, je traite tous les mails, toutes les choses que je n'ai pas pu régler dans la journée. J'ai toujours été comme ça. J'ai lu l'interview d'un entraîneur (Vincent Etcheto, dans Midi Olympique) qui disait que quand il avait une réunion à 8 heures, il arrivait deux minutes avant. Moi, j'en suis incapable, je n'ai pas ce talent-là. Il a de la chance, parce que moi, pour une réunion à 8 heures, il me faut arriver à 6 heures...
Un de vos rêves serait de donner des cours de management...
Oui, ç'a été un rêve et c'est devenu un projet. Ça pourrait me servir de transition vers mes vieux jours, parce que je ne suis pas quelqu'un qui ne fera que dalle une fois à la retraite. Ça me plairait de partager cette expérience. Pour ça, j'aimerais trouver un domaine dans le Minervois, d'où je viens, dans lequel on pourrait investir en famille. On en a déjà visité plusieurs. Mais ma priorité, aujourd'hui, c'est l'UBB. »