Coupe du monde : au coeur du pèlerinage à Lourdes des joueurs îliens évoluant en France En mai, des joueurs îliens évoluant en France se sont rassemblés à Lourdes pour un pèlerinage à leur manière. Ils ont évoqué leur foi chrétienne omniprésente dans la vie quotidienne de ces îles du Pacifique.
Leurs hautes silhouettes se détachent du flot de pèlerins qui, comme chaque soir, se pressent vers le sanctuaire de Lourdes, éclairés par la fragile lumière des flambeaux qu'ils tiennent en hauteur, comme pour montrer le chemin. Les joueurs de rugby sont silencieux. Il y a des Fidjiens, des Samoans et des Tongiens, évoluant en France pour la plupart en deuxième division ou en fédérale ; ils défilent, les uns après les autres, pour poser la main ou le front sur la paroi humide de la grotte où, en 1858, la jeune Bernadette Soubirous aurait vu la Vierge Marie apparaître à plusieurs reprises.
Ils sont venus à l'initiative de Dan Leo, ex- capitaine des Samoa, 39 sélections et deux Coupes du monde (en 2007 et 2011), avant d'être exclu pour avoir pris la parole contre ses dirigeants, une attitude très mal perçue dans les îles où les jeunes gens sont éduqués pour baisser les yeux devant leurs aînés et leurs supérieurs. Depuis, en 2016, il a créé une association, PRPW (Pacific Rugby Players Welfare), et organise plusieurs rassemblements par an pour aider les joueurs des Fidji, des Tonga et des Samoa à affronter les nombreux obstacles auxquels ils sont confrontés lorsqu'ils s'exilent en Europe (solitude, salaires trop bas, dépendance, problèmes d'alcool,...). « Nous n'avons pas les moyens de visiter tout le monde, explique Leo, alors nous regroupons les joueurs. D'habitude, nous faisons cela dans un club, sur une journée, mais cette année, dans le contexte difficile de l'affaire Folau (*), nous avons voulu affirmer notre foi, la montrer aux autres. Nous n'avons pas à avoir honte d'être chrétiens. Notre spiritualité fait partie de nous. »
Depuis l'arrivée des missionnaires dans les îles du Pacifique, à la fin du XVIIIesiècle, et la conversion, petit à petit, au christianisme, Fidji, Tonga et Samoa ont adopté des devises religieuses : « Craindre Dieu et honorer la reine » (Fidji),« Dieu et Tonga sont mon héritage », « Puisse Dieu être l'assise des Samoa ». Tous les enfants, et donc tous les joueurs de rugby, issus de ces communautés sont éduqués dans la foi chrétienne : « Nos parents nous forcent à aller à l'Église, on ne peut pas dire non, raconte Setefano Nau, joueur tongien de rugby à 7, qui évolue en Fédérale 3, à l'US Bazas, près de Bordeaux. La foi vient plus tard. »
«Notre religion, le lien à Dieu, est aussi ce qui nous permet de rester droits à l'intérieur» Mike Umaga, entraîneur en Angleterre
Mike Umaga, le frère de Tana, entraîneur en Angleterre, essaie d'aller plus loin : « Sur nos îles, il faut comprendre que c'est l'Église qui te dit comment et quoi penser. Souvent, l'enseignement est très conservateur et pourrait dans certains cas s'apparenter à un lavage de cerveau. Mais notre religion, le lien à Dieu, est aussi ce qui nous permet de rester droits à l'intérieur. »
Dans leur quotidien, la prière est omniprésente : elle ouvre les réunions et les repas, rythme les soirées et unit les membres du groupe. « Quand nous chantons, lors des cérémonies, avant les matches ou après, explique le troisième-ligne samoan Puila Fa'asalele, champion de France en juin dernier avec Toulouse, ce sont toujours des chants religieux. Les "umu "- les repas du dimanche après la messe, où des cochons de lait farcis aux herbes cuisent pendant des heures sous la terre, recouverts de pierres brûlantes - sont un symbole du partage : celui de la nourriture, de l'amour, de l'amitié. »
Tous participent. Apporter le bois, les feuilles de bananiers, entretenir les braises, retourner les pierres ou cuisiner le taro, une racine tropicale. Ils sont ensemble, solidaires quoi qu'il arrive. Alors, pas un ne lâchera ouvertement Israel Folau et ils feront tout ce qu'ils peuvent pour l'aider à retrouver une équipe (il vient d'être autorisé à jouer pour les Tonga, en rugby à XIII). Pour eux, c'est un frère, quoi qu'il fasse, et ils donneront tout pour lui, de la même manière qu'ils envoient tous les mois une grosse partie de leur salaire - souvent plus de la moitié - à leur famille. Lauren, l'épouse de d'Ilikena Bolakoro, joueur fidjien de Nevers, témoigne : « Sur un salaire de 8 000 euros par mois, "Bola"a longtemps envoyé la moitié à ses parents et 1000 à l'église. »
«C'est peut-être difficile à entendre mais 90 % des joueurs des îles ne pensent pas que Folau ait fait quelque chose de mal» Dan Leo, ex capitaine des Samoa
Pendant les quatre jours de pèlerinage, le sujet Folau, extrêmement délicat, n'a pas été abordé de front. « Cela peut diviser, même dans notre communauté, pense Dan Leo. À mon avis, la crise n'a pas été gérée de la bonne manière par les autorités. Rugby Australia (la Fédération australienne) a réagi en portant un jugement sur une autre culture au lieu d'essayer de rassembler et de comprendre les racines du problème. C'est peut-être difficile à entendre mais 90 % des joueurs des îles ne pensent pas que Folau ait fait quelque chose de mal. »
Ils veulent bien admettre le côté choquant du message délivré par la star. « Nous avons grandi en écoutant toutes les semaines la lecture des Évangiles, dit Mike Umaga, mais je n'ai pas le souvenir qu'on y trouve ce genre de paroles. »Le Fidjien Joe Rokocoko, ancien All Black et membre actif de PRPW, ajoute : « La façon dont il a parlé des homosexuels est très violente. Il se place dans une position de jugement qui, selon moi, n'est absolument pas compatible avec l'amour de l'autre que prône le christianisme. Mais j'estime aussi qu'il a le droit d'exprimer ses convictions sans risquer de perdre son boulot. »
Il y a cinq mois, la Fédération australienne (ARU) a rompu le juteux contrat de Folau qui n'a plus le droit de jouer au rugby à quinze dans son pays. Le numéro huit de l'équipe d'Angleterre, Billy Vunipola, lui aussi originaire des Tonga, avait posté un tweet de soutien à Folau avant de se voir rappeler à l'ordre par la Fédération anglaise. Difficile à avaler pour la communauté d'îliens, qui se sent stigmatisée. Ben Pegna, ancien joueur anglais, fondateur de PRPW avec Leo et aujourd'hui entraîneur, n'est pas originaire des îles du Pacifique et essaie de prendre un peu de recul sur la question : « Partout dans le monde, il y a plusieurs points de vue sur le christianisme, de nombreuses branches et pratiques différentes. Certaines personnes, au sein de l'Église, délivrent régulièrement des messages choquants, d'un conservatisme extrême. Elles ne perdent pas leur travail pour autant. Personne n'est obligé d'adhérer au discours de Folau. Les autorités du rugby ont surréagi en excluant ce joueur. »
Membre de l'église « La vérité de Jésus- Christ », fondée par son père Eni en 2013, Israel Folau continue d'ailleurs ses prêches où, tous les dimanches, il promet l'enfer à une majorité d'êtres humains : homosexuels, alcooliques, fornicateurs, adultères, athées. Récemment, la mère d'un joueur de rugby est allée assister à une messe, pour se rendre compte. Son témoignage, anonyme, est édifiant : « Je ne veux plus que mon fils aille là-bas, les sermons sont un ramassis de contre-vérités, bien éloignés du christianisme. Pour moi, cette assemblée religieuse est un groupe de haine. » « J'aurais tant aimé que la Fédération australienne travaille en profondeur sur ce sujet avec les joueurs, regrette Dan Leo. Sur les messages qu'on délivre, sur comment ils sont reçus. Il n'y a que par le dialogue que l'on peut faire évoluer les mentalités et aller vers plus de tolérance. Au XIXe siècle, nos ancêtres ont dû se convertir au christianisme, parfois sous la torture, et aujourd'hui, deux cents ans après, alors que 99 % de la population des îles est chrétienne, on bannit un de ses membres pour avoir publiquement affiché ses convictions religieuses. Elles ont beau être contestables, c'est un peu dur à avaler... »
Il parle d'évolution, de tolérance et raconte la culture de ces pays minuscules (à peine plus d'un million d'habitants à eux trois) où des garçons habillés en jupe et en talons aiguilles se baladent sans problème dans les rues. Il s'agit des fa'afafine aux Samoa ou des fakaleiti aux Tonga, des individus élevés dans l'idée d'un troisième genre, non binaire, et qui sont totalement intégrés dans la communauté. « C'est assez typique, chez nous, ce paradoxe, décrit Leo. Le gouvernement va interdire la diffusion des films sur Elton John ou Freddie Mercury et n'a aucun problème avec les "fa'afa", qui sont très souvent homosexuels. Il n'y a pas d'explication à ça. Le seul moyen de comprendre est d'aller là-bas, de le voir. Les valeurs morales sont édictées par une poignée de dirigeants et la majorité des gens s'y soumettent. Il y a encore du travail. »
Reste l'essentiel, le lien authentique de ces joueurs avec une spiritualité qui les nourrit. Joe Rokocoko, encore : « On ne va pas tout le temps à l'église, parfois on passe plusieurs mois sans y mettre les pieds. Le choc, c'est quand je suis aux Fidji et que j'y retourne en famille. Tout d'un coup, il y a cette communion, ces chants et, par-dessus tout, cette reconnexion à moi-même, à l'enfant que j'étais, à son innocence. Dans ces moments, je sais que Dieu est là. »
(*) Israel Folau, arrière de l'équipe d'Australie, d'origine tongienne, a posté ces derniers mois, sur les réseaux sociaux, des messages choquants où, en se positionnant en messager de Dieu, il affirmait que « les alcooliques, les adultères et les homosexuels » étaient destinés à l'Enfer.