Déjà, pourquoi ce départ après seulement trois ans de mandat ?
Quand ça tanguait en milieu de saison, mon objectif était de stabiliser le navire et de donner une perspective. La mission accomplie, on va rentrer dans une seconde phase. J’ai vécu trois ans qui en valent peut-être six, même neuf. Ma question a été : quelle est l’énergie que je peux apporter dans la nouvelle approche et est-ce que je serai en mesure de le faire ? Cela a occupé un certain nombre de mes nuits. Et je ne suis pas arrivé à 100 % de convictions. Donc, j’ai une responsabilité vis-à-vis du club, des partenaires, des supporters et j’ai une décision à prendre en tenant compte de ma situation et du contexte familial.
Ce départ est donc uniquement votre décision ?
Oui. Dans les moments difficiles, j’ai toujours été plus soucieux de mon environnement que de moi-même. Au moment de décider d’en prendre pour trois ans de plus, j’ai pesé les choses et je me suis dit qu’il y avait des gens qui avaient les crocs pour poursuivre la mission, laissons-les faire. La fonction de président de l’ASM, ce n’est pas un sacerdoce, c’est un don de Dieu.
Et ce don de Dieu vous est tombé dessus un peu au mauvais moment, non ?
Il y a trois ans, je suis entré directement dans l’arène et les lions étaient déjà là. Le milieu du rugby n’est pas simple. Il y a des codes que je ne connaissais pas, il y a des chapelles aussi qu’il faut apprendre à connaître. Parfois, dans ce monde, j’ai eu l’impression de jouer les Don Quichotte face à une armée de moulins. Mais j’ai mené les combats avec beaucoup de passion et d’authenticité. Dès le départ, je me suis retrouvé dans une position qui n’était pas celle d’un président. Je me suis retrouvé face à tout. Et être en première ligne, ça use pas mal.
Que retenez-vous de ces trois ans ?
Je suis arrivé dans des circonstances douloureuses (ndlr : au décès d'Éric de Cromières) et compliquées à la fois. Il y a eu le Covid, les contacts avec le public et les partenaires ont été mis entre parenthèses, c’est donc pour moi frustrant. Le second point, c’est le salary cap. On peut parler du niveau de l’équipe, du manque de résultats, mais la vérité est que pendant deux ans, on n’a pas pu recruter comme on le voulait. Aujourd’hui, on commence à sortir la tête de l’eau.
Vous avez parlé d’énergie, est-ce la lassitude qui explique aussi votre départ ?
On ne peut pas dire ça. Dès le départ, je me suis retrouvé dans une position qui n’était pas celle d’un président. Je me suis retrouvé face à tout. Et être en première ligne, ça use pas mal. Il fallait que je m’impose également à l’extérieur, vis-à-vis des instances (Ligue, syndicat des clubs...), j’ai pris large. Aujourd’hui, j’estime que l’on est organisé pour que le président préside et ne soit pas là pour rattraper toutes les balles.
Ce monde extérieur au club, le milieu du rugby, l’avez-vous finalement bien appréhendé ?
Je me suis beaucoup investi dans le réseau. J’ai le sentiment d’avoir appris vite, je maîtrise plus les codes. Attention, je ne suis pas en train de partir en me disant que je n’ai pas réussi. Dans ce milieu-là, si on veut réussir, il faut développer l’influence de l’ASM sur l’écosystème du rugby. Ce sera faisable avec l’organisation qui se met en place. Et on revient à la question : ai-je l’énergie pour travailler sur le développement de cette influence ?
Ce boulot de président était-il plus prenant que votre ancien chez Michelin ?
C’est un boulot très prenant, plus dur par rapport au monde de l’entreprise. Chaque semaine est une remise en question. Sur le plan personnel, oui, le job est plus difficile, c’est ce que je disais d’ailleurs à Florent Menegaux (président du groupe Michelin) mais je ne suis pas sûr qu’il en soit convaincu (rires).
Sur les six derniers mois, vous avez recruté un nouveau coach, mis en place un chargé de mission qui fait office de directeur général...
J’ai constitué une équipe en effet, mais dès leur arrivée, j’ai été clair avec eux. Je ne les ai pas trahis. Avec Christophe Urios, j’ai été franc avec lui sur les étapes me concernant. Pareil avec Benoît Vaz qui est toujours conseiller du président et qui, je l’espère, va prendre d’autres fonctions. On peut parler aussi de Didier Retière, d’Aurélien Rougerie. Alors oui, on est amené à dire qu'on n'a pas eu les résultats. Moi je dis d'un autre côté que ce qu'on a fait sur les derniers mois il faut qu'on en soit fier parce que les fondations sont là. On avait un problème d'organisation avec une structure qui mettait le président de l'ASM toujours en première ligne. Je l'ai été, j'ai pris des coups, j'ai fait des erreurs de marquage. Aujourd'hui, on a un président qui va enfin pouvoir présider parce qu'il aura le recul nécessaire. On a une structure qui doit nous permettre d'avancer. On a les ingrédients pour repartir sur un nouveau cycle. Plus qu'on ne les avait il y a trois ans.
N’est-ce pas frustrant pour vous de partir en imaginant l’ASM pouvoir rebondir rapidement ?
Déjà, on est tous de passage et je n’ai pas le sentiment d’avoir un égo surdimensionné. Ma réflexion n’est pas par rapport à moi, mais par rapport au club. L’ASM a besoin d’une nouvelle énergie, d’un regard nouveau. Et si on fait la saison prochaine qu’on peut imaginer, je n’aurai pas besoin d’être président pour être heureux. J’ai passé mon temps à déconstruire, d’autres seront là pour construire. C’est toujours une frustration quand vous êtes un gagnant, mais il y a d’autres paramètres, plus personnels. Mon environnement proche a vécu des situations difficiles.
Cela a-t-il influencé votre décision ?
Dans les moments compliqués, mes enfants me disaient parfois, papa, tu vas bien ? Je leur rappelais que j'étais dans une position qui correspondait à une passion, à une envie. Même si je suis viré, que je dois partir la tête basse, je serais plus riche. C’est ma philosophie. Après, comment ma famille a réagi à l’exposition, notamment sur les réseaux ? Mes enfants ne m’en ont jamais parlé. Mais, dans les moments très difficiles, quand votre fille ou votre fils vous dit, papa on t’aime... Il y a un truc. Je ne lis pas les réseaux, cette exposition, les vagues que j’ai prises, elles ne m’ont pas empêché de dormir. Mais quand vos proches sont marqués, oui, ça peut avoir un impact.
Avez-vous eu l'occasion d'échanger à ce sujet avec votre successeur, Jean-Claude Pats ?
J'ai eu l'occasion de lui en parler très régulièrement. C'est mon successeur ici à l'ASM, mais c'était déjà mon successeur chez Michelin. On a eu certaine complicité, on se comprend sans se parler. Il a un avantage par rapport à moi, c'est qu'il a été abonné plus longtemps que moi (rires). La principale différence, c'est qu'il a baigné dans la culture rugby depuis le début. Il a des fils qui ont joué au rugby à l'ASM et ailleurs. Dans cet environnement, on débat de l'équipe à la maison tous les week-ends. En tant que membre du conseil d'administration, il a été amené à travailler et à rentrer un peu plus dans notre mode de fonctionnement. Il a pris part aux discussions concernant les évolutions futures. On a un mois pour que les derniers réglages soient faits avant son démarrage complet, le 1er juin. Cela aurait pu être à la fin de la saison mais pour moi, il fallait qu'il soit en poste assez rapidement pour préparer le prochain exercice.
Avez-vous des regrets, estimez-vous avoir commis des erreurs pendant ces trois ans ?
On se pose toujours la question, mais je ne vais pas faire l’inventaire. Ce n’est pas simple. Un seul exemple ; quand Franck Azéma s’en va, et les gens ont la mémoire courte, qu’est-ce qu’il y a sur le marché ? On fait parfois des paris. Il y en a qui marchent, et d’autres pas. Aurélien Rougerie, team manager, ça fonctionne. Jono Gibbes, ça a moins fonctionné. Est-ce une erreur du président ? C’est compliqué à dire, mais j’assume mes décisions.
Pour finir, quelle est la situation financière de l’ASM après vos trois ans de présidence ?
Elle est difficile, il faut le reconnaître. Tous les clubs ont été marqués par la période Covid malgré les aides de l’État. La question pour nous est de savoir comment rebondir plus fort sur ce plan-là ? La différence entre l’ASM et les autres clubs est que l’on démarre sur un budget avec moins 4 millions d’euros chaque année. C’est lié à notre stade qui nous appartient dont il faut assumer le fonctionnement et les remboursements des investissements effectués. En face, les autres ont en moyenne 300.000 euros de location par an. À cela, vous rajoutez 2.500 spectateurs en moins par rapport à l’avant Covid, le coût du départ des entraîneurs, on a une situation économique plus compliquée que prévu. Mais il est trop tôt pour définir le déficit.
Propos recueillis par Christophe Buron et Frédéric Verna