De fait, la Zone de Convergence Inter Tropicale (ZCIT), dénommée Pot-au-Noir par les navigateurs, est un lieu météorologique extrêmement variable tant dans son extension Est-Ouest que dans sa largeur Nord-Sud. Cette « bande » située en général entre le 8° et le 1° Nord, se caractérise par son alternance de calmes et de grains violents, par sa couverture nuageuse et son fort taux d’humidité, particulièrement du côté de l’Afrique.
Certains disent que cette zone a hérité son nom de la jarre (le pot au noir) qui, dans les maisons capverdiennes, servait à recevoir les détritus de toute nature. D’autres laissent entendre que les négriers passaient par-dessus bord les esclaves malades pour éviter la propagation dans des espaces extrêmement confinés. Car dans les temps anciens, les navires n’avaient pas le potentiel des voiliers actuels et avaient bien des difficultés à manœuvrer rapidement et surtout à remonter contre le vent. Ils pouvaient passer des semaines entières, englués dans cette zone au point qu’ils devaient parfois se débarrasser des animaux du bord qui devenaient fous…
D’ailleurs les Britanniques dénomment les régions tropicales « Horse Latitude » semble-t-il parce que les capitaines des navires bloqués par les calmes pendant de longues journées sous un soleil de plomb, se débarrassaient des chevaux qui consommaient beaucoup trop d’eau douce. Souvent dans le Pot-au-Noir, le scorbut commençait à décimer les équipages : manque de vivres frais, déficit en vitamines C, cette maladie a ainsi emporté les deux tiers des hommes de Vasco de Gama pendant son voyage vers les Indes en 1497-1498. Et pour les marins anglo-saxons, les « doldrums » (littéralement « dépression », « mélancolie ») étaient synonymes de fatigue extrême car pour se dégager de ces calmes prolongés, les équipages devaient tirer avec leurs chaloupes (à la rame !) les imposants bâtiments de Sa Majesté…
Des pots de tout format !
Des pots, il y en a de toutes sortes : des grands, des maigres, des ballonnés, en cône, en poire, en tâche, en méduse tentaculaire, en ruban… Bref, sans vouloir tourner autour du pot, disons que cette bande nuageuse possède l’art de changer de forme et de fond. En fait, ce phénomène météorologique n’est que la conséquence d’un affrontement entre les alizés de l’hémisphère Nord et les alizés de l’hémisphère Sud, les premiers soufflant du Nord-Est en lien avec l’anticyclone des Açores, les seconds du Sud-Est en raison de l’anticyclone de Sainte-Hélène.
En sus, la proximité de l’équateur fait monter les températures de l’eau (27° à 29° C) et de l’air (35° à 40° C), générant une très forte évaporation et donc un taux d’humidité proche de 100%. Et qui dit vapeur d’eau, dit nuage… L’air chaud monte et plus il est haut, plus il se refroidit et les gouttelettes se transforment en pluie. Et le Pot est couvert !
L’improbable pot cible…
Et comme en plus, les anticyclones du Nord et du Sud « respirent » et que les nuages cumuliformes se déplacent et se régénèrent en permanence, ça bouge beaucoup dans le Landerneau équatorial ! Le Pot-au-Noir se métamorphose continuellement : difficile donc pour les navigateurs de prévoir quelle est son extension et sa densité avant de l’aborder. Mais quelques principes simples indiquent qu’il est toujours plus étroit vers l’Ouest après le 30° Ouest et plus long à traverser du côté du 20° Ouest et le long des côtes africaines.
Il faut donc cibler son entrée dans le Pot pour concilier veine de vent favorable et trajectoire pas trop décalée dans l’Ouest, car après la ZCIT en remontant du Sud, ce sont des brises de secteur Nord-Est, donc au vent de travers (80°-90°) voire au débridé (60°), qui tendent à déporter les bateaux vers les côtes antillaises. Ainsi le meilleur « tunnel » pour traverser ce relief météorologique accidenté semble se situer entre le 29° et le 34° Ouest en remontant du cap Horn.
Le Pot-au-Noir est en fait plus actif lorsque les alizés (du Nord et du Sud) sont forts, et plus étendu lorsque la température de l’eau est élevée : elle atteint parfois au large de la Guinée-Bissau, 28° à 30° Celsius ! Cette chaleur de la mer provoque une très forte évaporation, donc la création de cumulonimbus qui peuvent s’étendre en altitude jusqu’à plus de 12 000 mètres…
Sous ces nuages, la turbulence est très forte et les courants verticaux peuvent atteindre 15 à 30 m/s avec de fortes décharges électriques ; la visibilité est réduite, les pluies sont diluviennes, les rafales de vents violentes. Il peut même y avoir des trombes (colonne nuageuse se prolongeant jusqu’à la surface de la mer qui accompagne un tourbillon formé en dessous d’un cumulonimbus), des éclairs et du tonnerre, des feux de Saint-Elme (décharge électrique plus ou moins continue d’intensité modérée). Le Pot-au-Noir est aussi la zone de genèse des dépressions tropicales qui peuvent se transformer, en se déplaçant vers l’Ouest, en cyclones…
Pot à terre, pot d’enfer !
Dans le ciel, le Pot n’est pas toujours joli à voir, surtout dans le noir : des éclairs, du tonnerre, des pluies qui crépitent sur le pont, un horizon plombé, des variations de température importantes sous les grains (on passe de 40° à 25° sous les averses), des nuages blancs, gris, anthracites, noirs, parfois roses avec un rayon vert lorsque le soleil tombe dans les bras de Morphée… Les vents n’en font souvent qu’à leur tête, particulièrement des côtes africaines au 30° Ouest, variant constamment en force et direction, passant de 0 à 35 nœuds en quelques secondes au passage d’un grain.
Le Pot-au-Noir s’aperçoit de très loin : à 100 milles (180 km), les marins voient déjà de grosses masses nuageuses au-dessus de l’horizon… Il se positionne en général entre le 8°N et le 1°N partant de la côte africaine jusque parfois au 35° Ouest en se rétrécissant. Mais le pire avec le Pot-au-Noir, c’est qu’il reste imprévisible. Il s'étire, s'allonge, se rétracte ou grossit sans crier gare : le marin sait quand il commence à y entrer mais plus difficilement quand il va en sortir. Il peut durer quelques heures ou quelques jours !
Pour ce deuxième passage lors de ce neuvième Vendée Globe, cette fois du Sud vers le Nord, les solitaires vont devoir aborder un Pot-au-Noir relativement peu actif et peu étendu après le 30° Ouest. D’après les images satellitaires, il commencerait à se faire sentir autour du 1° Nord avec un alizé mollissant à une dizaine de nœuds, et il serait déjà dans le tableau arrière dès le 3° 30’ Nord : les leaders devraient donc n’y ralentir qu’une demi-journée à une journée… Si tout se passe bien !