quand ça pue, Portejoie n'est jamais très loin ...
Loretta Denaro, la veuve de Christophe Dominici, assigne l'avocat Thierry Braillard en justice Loretta Denaro reproche à l'avocat Thierry Braillard, qui a géré le dossier de reprise de Béziers en 2020, d'avoir manqué de vigilance et de prudence. Elle lui réclame plus de 3 millions d'euros.
Au printemps 2022, lors de l'enquête que nous avions menée sur la reprise avortée de Béziers par Samir Ben Romdhane, ce soi-disant richissime homme d'affaires franco-tunisien patron de la société Sotaco, l'entourage de Christophe Dominici qui devait mener à bien le projet sportif avait laissé entendre qu'il saisirait un jour la justice pour tenter de comprendre ce qu'il s'était réellement passé avant la disparition tragique de l'ancien joueur, le 24 novembre 2020. Loretta Denaro, la veuve de Dominici, a tenu sa promesse.
En début d'année, elle a assigné Me Thierry Braillard, l'ancien secrétaire d'État chargé des Sports (2014-2017) qui a joué un rôle primordial durant la tentative de rachat du club biterrois. Pour quels motifs ? Sollicitée, elle explique les raisons qui l'ont poussée à agir de la sorte : « J'attaque l'avocat en charge du dossier car lorsqu'on va voir un avocat, c'est normalement pour être protégé, conseillé, et ce professionnel doit vérifier les actes, s'assurer de l'origine des fonds etc. Il s'agit d'une obligation des avocats et c'est pour cela qu'on se fait conseiller. Il n'y aurait pas eu de feuilleton biterrois et Christophe serait toujours parmi nous. »
Sur l'assignation que nous avons pu feuilleter, Loretta Denaro et son conseil, Me Gilles-Jean Portejoie, estiment que « Me Braillard a manqué à ses obligations de diligence, de prudence et de vigilance notamment au regard de l'importance du montant de l'opération de rachat envisagée... a commis plusieurs fautes de nature à engager sa responsabilité professionnelle. »
Depuis son départ du gouvernement, Thierry Braillard a participé à plusieurs projets de reprise de clubs professionnels. Il est intervenu par exemple lors de la vente des Girondins de Bordeaux par M6 en 2018, ou à Nantes, en 2019, avec des discussions entre Waldemar Kita et Benjamin Leigh Hunt, un Anglais adossé à un fonds d'investissement chinois. En 2022, Braillard a également travaillé sur la reprise du club de basket de Pau.
L'affaire qui nous intéresse commence au printemps 2020. Un peu par hasard, et par l'intermédiaire d'un de ses associés, Thierry Pons qui habite à proximité de Béziers, Christophe Dominici rencontre Samir Ben Romdhane, un personnage au passé flou qui se présente comme un homme d'affaires, très riche, et très proche de fortunes émirati. Il est emballé à l'idée de reprendre le mythique club de Pro D2 mais a besoin d'une caution sportive.
Ce sera Christophe Dominici. Très rapidement, l'ancien joueur de l'équipe de France (67 sél.) est convaincu de la nécessité de confier cette mission de reprise à un avocat de renom, respecté, et respectable. Pascal Forni, un agent très influent du rugby français, lui conseille alors de se tourner vers Thierry Braillard. Ce qu'il fait. Braillard rencontre Samir Ben Romdhane, et commence à travailler, à solliciter les dirigeants de Béziers, et sa municipalité, à compiler des pièces et des documents pour le dossier de rachat qui sera présenté devant la DNACG le 13 juillet 2020, et qui sera refusé.
« Je ne vois pas à quel titre Mme Denaro peut faire jouer ma responsabilité civile professionnelle au nom de feu Christophe Dominici alors que je n'ai jamais été son avocat »
Thierry Braillard
En 2017, alors qu'il était secrétaire d'état, il avait fait adopter une loi renforçant les prérogatives des gendarmes financiers des sports professionnels (DNACG entre autres) qui auront, expliquait-il à l'époque « le pouvoir d'apprécier l'arrivée d'investisseurs étrangers afin d'éviter des catastrophes et... de s'assurer de la fiabilité financière des investisseurs et surtout de l'origine des fonds. »
Loretta Denaro reproche à l'avocat de ne pas avoir suffisamment enquêté sur la provenance des fonds, et la solvabilité, ou la richesse de Samir Ben Romdhane, qui a, durant le processus de rachat, produit plusieurs documents dont une lettre de confort délivrée par la Bank Of China certifiant que Sotaco détenait sur un compte plus de 20 millions de dollars, ou cette copie d'un chèque de 6 millions d'euros provenant d'une banque allemande.
« Si Maître Braillard s'était conformé à ses obligations professionnelles de prudence et de vigilance, est stipulé dans l'assignation, il se serait aperçu que Monsieur Ben Romdhane et la société Sotaco International étaient coutumiers de ces pratiques et ces manoeuvres puisque la société Sotaco International n'a jamais réalisé de chiffres d'affaires, faute d'activité, et que Monsieur Ben Romdhane vivait grâce à des prêts octroyés en attente de la réalisation de promesses qui sont toujours demeurées vaines. » Pour les préjudices causés, Loretta Denaro réclame 3 556 730 euros.
Joint au téléphone, l'ancien secrétaire d'état s'est dit très affecté par cette procédure, expliquant qu'il n'avait jamais été l'avocat de Christophe Dominici : « J'ai contracté une convention d'honoraires, la société (Sotaco) pour laquelle j'ai réalisé tous les actes dans la procédure, la société à laquelle j'ai facturé mes prestations. Je ne vois donc pas à quel titre Mme Denaro peut faire jouer ma responsabilité civile professionnelle au nom de feu Christophe Dominici alors que je n'ai jamais été son avocat. Son avocat était à l'époque mon confrère Cédric Dubucq (ce dernier a d'ailleurs commis une attestation qui prouve qu'il était bien le conseil de l'ancien joueur). Mon avocat, Yves Hartemann, le futur bâtonnier de Lyon, plaidera ma mise hors de cause dans cette histoire. Cela nuit à mon image et à ma réputation. C'est la DNACG qui a refusé le plan de reprise, et je n'ai aucune responsabilité dans cette décision. »
Yves Hartemann, son conseil, nous a confirmé qu'à ses yeux, l'assignation « était parfaitement irrecevable et hors sujet car mon client n'était pas l'avocat de Christophe Dominici. Nous avons donc plaidé un incident de procédure et attendons que le juge de la mise en état fixe une audience et se prononce... » Elle pourrait avoir lieu, cet automne, à Clermont-Ferrand. « Cela fait six mois qu'on attend les conclusions de Me Braillard, c'est long pour au final nous dire qu'il n'est pas concerné par l'histoire », conclut Gilles-Jean Portejoie, l'avocat de Loretta Denaro.
