Sans l'explosion des radios libres au début des années 80, Jean Abeilhou n'aurait certainement pas pris le micro samedi après-midi (17h45) sur France 2 pour commenter la finale de Coupe des champions Leinster-La Rochelle au côté de Dimitri Yachvili. Le natif de Montauban plongerait peut-être encore ses mains dans des moteurs d'avion. « J'ai d'abord été militaire pendant cinq ans, comme mécanicien hélicoptère à la base de Dax, confie le journaliste de 65 ans. Puis j'ai rejoint Airbus comme metteur au point des réacteurs, notamment lors du développement du premier A320. » Tout en commençant à poser sa voix les week-ends sur les ondes de Bas Quercy Radio. « Une formidable école puisque j'y ai travaillé avec Jean Rességuié, voix légendaire de RMC. Le samedi, on commentait tous les deux les matches de foot de Montauban, en 3e division à l'époque. Et le dimanche, j'allais à Sapiac commenter le rugby... sans Jano. » Alors qu'il remplace temporairement Matthieu Lartot, en train de soigner une récidive de son cancer du genou, Jean Abeilhou raconte sa fidélité au service public.
« Vous allez commenter votre première finale européenne dans un contexte particulier puisque vous remplacez Matthieu Lartot, malade...
Matthieu est un excellent commentateur, c'est une vraie responsabilité de le remplacer. Je lui souhaite beaucoup de courage, mais je sais qu'il a un mental à toute épreuve. L'autre jour, j'ai commenté La Rochelle - Exeter (47-28 en demi-finales, le 30 avril) et, par moments, des supporters rochelais portaient des panneaux affichant des messages de soutien. En les voyant à l'antenne, j'en ai parlé et cela m'a ému, presque comme si c'était pour moi. Pendant le match, Matthieu m'a envoyé un petit "Enjoy !" et, comme on adore le golf, je lui ai dit qu'on se ferait un parcours dès son retour.
Un retour prévu pour la Coupe du monde de rugby (8 septembre-28 octobre) ?
On a dix matches à programmer sur France Télé, j'en ai déjà deux ou trois à commenter. Je souhaite vraiment qu'il soit présent avec nous début septembre pour assurer les commentaires des affiches. C'est son challenge, son but, c'est bien qu'il s'accroche à cela.
Comment aviez-vous rejoint le service public en 1991 ?
À l'époque, je travaillais pour Sud Radio mais France 3 Toulouse venait d'être chargée par Paris de produire une page rugby de dix minutes pour un magazine multisports national. Ils m'ont pris comme pigiste. J'ai participé au premier Rencontres à XV, en avril 1991. Le magazine multisport a rapidement disparu mais notre page rugby est restée pour devenir une émission à part entière de vingt-six minutes. Aujourd'hui, on en est pratiquement au 1250e numéro et je les ai tous faits.
Pour la jeune génération, vous êtes l'éternel second du commentaire, pourtant vous avez commenté les Bleus de 2005 à 2009...
Daniel Bilalian (directeur des sports à l'époque) avait décidé d'écarter Pierre Salviac. Je commentais déjà le deuxième match du Tournoi depuis trois ou quatre ans et des personnes comme Jean-Louis Calméjane et Patrick Chêne ont glissé mon nom.
« Je ne suis pas un commentateur polémique, dans le direct, je me contente de décrire le spectacle, en essayant de faire lever le téléspectateur de son fauteuil »
Salviac avait dit de vous : "Je ne veux pas parler de ce mec, c'est mon Judas, il m'a tué."
Franchement, j'avais appris ma promotion dans un écho de L'Équipe. Il y a eu toute une histoire avec Salviac mais je ne suis pas concerné. Je n'en ai jamais parlé avec lui parce qu'il est borné... Je l'ai croisé dix ans après, quand Pierre Albaladejo m'a invité pour l'inauguration de sa statue à Dax. Salviac n'a même pas voulu me serrer la main, je le laisse dans son coin. Je n'ai jamais milité pour le remplacer. Les coïncidences et mon travail ont fait qu'on m'a mis en place.
Votre accent du Sud-Ouest vous a-t-il aidé ?
C'est sûr, avec mon accent, je ne pourrais pas commenter du hockey sur glace ! Il est vraiment propre au rugby. Parfois, je suis dans un magasin et juste au son de ma voix, une personne se retourne et me dit : "Ah, c'est vous qui commentez le rugby à la télé". C'est ma marque de fabrique.
Vous êtes toujours resté dans votre région. Pourquoi n'avoir jamais rejoint Paris ?
J'y ai passé quelques années quand j'étais pigiste pour Sud Radio. Mais Toulouse, c'est important pour moi. Dans la région, j'ai mes amis et ma famille. Et Rencontres à XV se fabrique toujours ici. Quand j'ai commenté les Bleus, j'aurais peut-être dû passer le cap de m'installer à Paris pour conserver mon poste. Être présent au siège de France Télé m'aurait sûrement aidé...
Comment avez-vous vécu votre remplacement par Lartot au poste de numéro 1 ?
Très mal parce que je l'ai appris par téléphone au dernier moment, quinze jours avant le début du Tournoi 2009. Une semaine avant, j'étais monté à Paris, on avait discuté avec Bilalian, on s'était serré la main et il ne m'avait rien dit. Humainement, je n'ai pas trouvé ça très élégant. Après, personne n'est propriétaire de son poste, surtout dans ce milieu. Lartot, c'était son choix, comme je l'avais été pour remplacer Salviac, c'est la roue qui tourne. Mais moi, je n'ai aucune animosité envers Matthieu.
Vous avez ensuite accepté d'être le Poulidor du commentaire de rugby sur France Télé...
Quand tu bosses dans le rugby, il n'y a pas beaucoup d'options, c'est soit France Télé, soit Canal. Je me suis posé la question à ce moment-là. J'étais tellement déçu. C'est humain... Mais je suis surtout resté fidèle à Rencontres à XV, je ne pouvais pas le quitter. Puis très vite est arrivée l'opportunité d'accompagner d'autres matches, comme la Pro D2 ou l'équipe de France femmes.
Vous n'êtes pas du genre incisif au micro. Salviac vous comparait même à un attaché de presse.
Je base mon commentaire sur l'enthousiasme. Je présente un spectacle pour le téléspectateur... Si la France perd, tu ne peux pas dire qu'elle a gagné. Mais je ne suis pas un commentateur polémique, dans le direct, je me contente de décrire le spectacle, en essayant de faire lever le téléspectateur de son fauteuil.
On vous dit aussi très proche du milieu fédéral.
Rencontres à XV a existé et continue d'exister parce que la Fédération trouvait que notre créneau sur le rugby amateur, du terroir, était le bon... On a toujours été la seule émission à parler des petits clubs, des personnages qui font l'histoire du rugby masculin et féminin. J'ai toujours eu des échanges quotidiens avec Bernard Lapasset, Pierre Camou puis avec Bernard Laporte (les trois anciens présidents de la FFR)... Pour autant, la Fédération ne dicte pas la ligne éditoriale.
Est-ce par exemple difficile pour vous de parler des affaires Laporte à l'antenne ?
Je ne suis pas dans le secret des dieux, je ne sais pas tout ce qu'il a fait. Et quand je n'ai pas tous les éléments, j'ai du mal à en parler. »