Est-ce quune âme charitable pourrait nous mettre larticle du Midol sur Bakkies Botha ?
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Vous avez mis fin à votre carrière de rugbyman il y a désormais huit ans. Que faites-vous, désormais ?
La vie est douce. Je suis toujours dans ma ferme, au milieu du bush. Je travaille avec des compagnies qui organisent des ventes aux enchères sur du bétail lourd, comme des taureaux, des vaches ou des bufs Jai aussi investi dans des mines situées près de Johannesburg : on soccupe des forages, des constructions, du matériel de base. En fait, je produis dénormes pompes qui permettent dextraire la pierre, le diamant, le nickel Entre la mine, le bétail et les vaches, je suis assez occupé.
À quelle heure vous levez-vous, le matin ?
Ça dépend 4 heures, parfois 5 Mais je suis en pleine forme, ma famille aussi et jai du boulot : cest tout ce qui compte.
Chassez-vous encore ?
Bien sûr ! La chasse, cest ma façon à moi de méchapper. Je passe quelques jours dans le bush, avec mes chiens et mon fusil. On chasse lantilope et le koudou. Dans le bush, il ny a que moi, des animaux sauvages et, aux alentours, les chacals qui rôdent la nuit. Le bush, cest un endroit incroyable. Lors des Oscars Midol, jai dailleurs dit à John Eales et Kieran Read de passer me voir. Jaimerais leur faire découvrir la brousse.
Quelle fut votre plus grosse prise, à la chasse ?
En Afrique du Sud, il est interdit de chasser ce que jappelle le " big five ", les éléphants, les lions, les girafes, les tigres et les rhinocéros. On se doit de protéger ces beautés. En revanche, jai un jour profité dun voyage en Nouvelle-Zélande pour chasser un Red Stag, un de ces énormes cerfs de 250 kg qui ont envahi lîle. Les bois de cet animal étaient gigantesques ! Javais lair dun nain, à côté de lui ! Un jour, jirai chasser lélan au Canada Cest lun de mes rêves
Quel âge ont vos enfants, désormais ?
Le plus vieux a 18 ans et termine ses études. Les deux derniers sont encore adolescents. Ils ont 14 et 16 ans. Mes deux garçons adorent jouer au rugby et tous leurs potes leur parlent de mes vidéos, sur You Tube. Mais ils sen foutent et cest mieux ainsi. Mes garçons doivent vivre leur vie, pas celle de leur père. Et quoi quils fassent de leur futur, je les supporterai.
Le rugby ne vous manque-t-il pas ?
Ma carrière fut une bénédiction. Jai remporté toutes les compétitions auxquelles jai participé : le Top 14, la Champions Cup, la Currie Cup et la Coupe du monde. Cela naurait pas pu être plus beau. [] John Eales me demandait récemment si je ne voulais pas entraîner. Jai répondu que non : le rugby était une partie de ma vie, pas toute ma vie.
Les matchs internationaux sont aujourdhui rythmés par les cartons rouges pour plaquage haut, déblayage dangereux Le rugby devient-il fade, trop doux ?
Je ne dirais pas ça Je comprends la problématique de World Rugby et des arbitres du circuit international. Ils se doivent de protéger les joueurs. Mais notre jeu devient frustrant, haché, inconsistant
Comment ça ?
Dun match à lautre, linterprétation des arbitres varie. En tribunes ou devant leur télé, les gens ny comprennent plus rien Et puis
Quoi ?
Jai limpression quil y avait sur le terrain plus de personnalités à mon époque. Aujourdhui, les joueurs se ressemblent tous, finalement. [] Moi, on mappelait lexécuteur et jaimais ça. Je trouvais que ça donnait du piment au grand show. Parce que cest aussi ça le sport pro, nest-ce pas ? [] Lévolution des règles a fait disparaître "les exécuteurs" dans mon genre : tu ne peux plus faire du grabuge comme je le faisais dans les rucks. Le rugby daujourdhui ne me conviendrait pas, je crois.
À ce point ?
Jai rejoint la France en 2011 parce que le rugby international ne me correspondait plus : il était devenu trop stratégique, trop réfléchi Il ne laissait plus les joueurs exprimer leur flair, leur vraie nature Jai alors découvert en Top 14 le championnat qui me convenait : brutal mais dans les règles. Jadorais ça. Jaimais aller à Agen, à Brive, à Grenoble et combattre sur des terrains gras. [] La plus grosse blessure de ma carrière, je lai dailleurs vécue en Top 14. À Brive, on mavait cassé le bras (un avant du CAB fut alors suspecté de lavoir fait de façon délibérée, N.D.L.R.). [] Le Top 14, cétait plus lent que le Super Rugby mais cétait aussi beaucoup plus physique. [] Si tu nes pas prêt, le Top 14 te mâche, te casse, téjecte. Un jour à Agen, jai plaqué un mec. Il na pas apprécié et en se relevant, il ma mis sa godasse en pleine tête. Jai quitté le terrain avec quinze points de suture.
Vous avez croisé John Eales, lors de la cérémonie des Oscars Midol. Auriez-vous pu buter, vous aussi ?
Mais je butais, au début de ma carrière ! Regardez mes stats ! Quand javais 21 ans, je jouais pour le club des Falcons et il marrivait de taper les pénalités. (il éclate de rire) Je nétais pas si mal, dailleurs. Vous voyez, vous avez une très mauvaise image de moi !
Pensez-vous que les Springboks sont capables de conserver leur titre mondial, cet automne ?
Évidemment. Je nai aucun doute sur mes Springboks. Mais cette Coupe du monde sera aussi la plus ouverte de lhistoire : il y a six ou sept équipes capables de remporter la compétition. Les Français, sils parviennent à absorber la pression de lévènement quils accueillent, seront dangereux. Les All Blacks, les Anglais, les Ecossais et les Irlandais peuvent eux aussi renverser nimporte qui. Quant aux Fidjiens ou aux Tonguiens, ils nont jamais été aussi armés. Ça va cogner
Pourquoi parlez-vous de la capacité à " absorber lévènement " ?
Parce que je sais à quel point la pression populaire, en France, est puissante. Je lai vécue en club et avec les Springboks. Et pour la Coupe du monde, cette passion sera décuplée.
Combien de fois avez-vous joué en France avec les Springboks ?
Un certain nombre de fois Mais le match mayant le plus marqué, cest celui de lautomne 2002, à Marseille (30-10). Ce jour-là, javais pris un carton jaune pour avoir donné un coup de genou au pilier français (Jean-Jacques Crenca). Au Vélodrome, je navais pas su gérer mes émotions : lélectricité et le bruit dans le stade mavaient fait tourner la tête
A-t-on souvent cherché à vous faire disjoncter, sur un terrain de rugby ?
Des dizaines de fois À mes débuts en Currie Cup, mes adversaires me provoquaient déjà sans arrêt. Un jour, AJ Venter (ancien deuxième ligne des Sharks, N.D.L.R.) a cherché à me faire sortir de mon match. Alors, avant chaque mêlée, Craig Joubert (arbitre sud-africain, N.D.L.R.) me disait : "Reste avec moi, Bakkies. Il ne tarrivera rien". Cétait plutôt drôle.
Dans vos projections pour le Mondial, vous navez pas parlé de lAustralie
Non et jaurais dû, pourtant. Eddie Jones est un caractère. Son personnage a de lépaisseur et me plaît. Il va sappuyer sur le paquet davants des Brumbies pour densifier son équipe. Eddie veut couper avec le jeu flashy qui a desservi les Wallabies ces quatre dernières années. Il sait quel est le chemin. Avant de se rendre au Loftus de Pretoria pour affronter les Springboks, il a même annoncé que ses joueurs allaient renverser lAfrique du Sud en mêlée fermée Jaime ce genre de déclaration
Parce que cest violent ?
Non ! Je naime pas associer violence et rugby. Pour moi, violence rime avec couteaux et revolvers, pas avec plaquage et déblayage. [] Certains me prenaient pour un dingue à lépoque où je jouais mais il y a des choses que je ne me suis jamais permis de faire sur un terrain. Les gens pensent que je mords ma femme et que je donne des coups de pied à mes enfants. Mais je suis quelquun de très doux, dans la vie.
Les Springboks actuels sont lourds, très lourds : le sont-ils plus encore que vous ne létiez en 2007 ?
Vous êtes fou ! Si vous regardez le paquet davants des Springboks en 2007, vous constaterez que le mec le plus léger de la maison sud-africaine était John Smit (talonneur) et quil pesait 122 kg ! (il éclate de rire) Les mecs sont athlétiques aujourdhui. Plus que nous ne létions, probablement. Mais nous étions plus lourds, plus brutaux. Juan Smith avait beau jouer troisième ligne, il faisait presque 2 mètres et pesait 118 kg. Mais cette évolution est normale, après tout : les Springboks daujourdhui doivent coller à un plan de jeu différent du nôtre.
Puisque lon parle des anciens Springboks, avez-vous des nouvelles de Danie Rossouw, qui fut longtemps votre coéquipier au RCT et en équipe nationale ?
Bien sûr. Danie est rentré au pays, soccupe de sa petite famille, chasse un peu et il est heureux. Avec Danie, on joue ensemble depuis quon a 7 ans. Il est comme un frère, pour moi.
Votre association avec Victor Matfield fut longtemps la plus dominante de la planète, au poste de deuxième ligne. Vous ressembliez-vous, tous les deux ?
Pas du tout. (il se marre) Vic est un mec de la ville : il aime les beaux vêtements, les grandes soirées, le bling-bling Il est flashy et je lui ai toujours dit.
Et pas vous ?
Je suis un gars de la campagne. Jaime la terre, le silence et les animaux. Mais cest notre différence qui a fait que nous étions si forts, ensemble. Avec Victor, nous étions le yin et le yang : notre association nen était que plus forte. Il aimait sauter en touche et disséquer le plan de jeu adverse. Je préférais faire le sale boulot dans les regroupements.
Lors de la Coupe du monde 2007, le quart de finale entre les Springboks et les Fidjiens avait été merveilleux, tant sur le plan du jeu que sur celui de la dramaturgie. Que vous en reste-t-il, au juste ?
Je men souviens comme si cétait hier. On pensait avoir la main sur la rencontre et soudainement, les Fidjiens sétaient réveillés et avaient mis le feu au terrain. Il faisait très chaud à Marseille ce jour-là et nous avions souffert jusquau bout pour lemporter. In fine, ce quart de finale avait forgé notre caractère. Après avoir gagné ce match (37-20), nous savions que personne ne pourrait plus nous arrêter
Quelle opinion avez-vous de Paul Willemse, le deuxième ligne du XV de France dorigine sud-africaine ?
Cest un super joueur. Paul frappe à la porte des très grands joueurs de deuxième ligne actuels. Mais attention : le staff des Bleus doit garder un il sur lui parce quil a tendance à prendre du poids Il faut le surveiller comme le lait sur le feu Avec quelques kilos de moins, il deviendrait un monstre.
Et vous, faites-vous encore du sport ?
À ce sujet, je fais souvent cette blague : il est très difficile daller courir ou transpirer tous les jours en salle de musculation quand tu nes plus payé pour le faire ! (rires) Récemment, je me suis mis un peu au "cross fit" mais pas autant que je le souhaiterais. Et puis, la première salle de sport est à 80 kilomètres de lendroit où je vis
Pourquoi personne ne vous appelle John Phillip, votre véritable prénom ?
Bakkies est mon surnom, depuis mes sept ans. Quand jétais petit, mes genoux se touchaient. À la ferme, je ne pouvais pas attraper les cochons. Ils filaient entre mes jambes et on se moquait de moi ! En Afrikaan, Bak signifie citerne.
Nous pensions quun Bakkie était un pick-up
Oui, aussi. Mais on mappelle Bakkies pour mes genoux rapprochés, pas pour ma peau dure. On mappelle Bakkies pour les mauvaises raisons ! (rires)
Avez-vous un regret ?
Oui. Jaurais dû arriver à Toulon quatre ans plus tôt. Juste après la Coupe du monde 2007. Javais alors préféré disputer la tournée des Lions britanniques en 2009 et cest mon grand regret Les Lions, cétait génial. Mais ce ne fut pas aussi merveilleux que ce que jai vécu un peu plus tard, au RCT.
Cest un bel hommage
Huit ans après mon départ, mon amour pour Toulon est toujours intact. [] Moi, jétais arrivé là-bas blessé au tendon dAchille. Je ne pouvais même pas marcher. Mais en attendant dêtre remis sur pied, je ne suis pas resté inactif. Jai dit à Mourad Boudjellal : " Jai 80 sélections avec les Springboks, je suis champion du monde mais je repars avec toi sur un nouveau chapitre de ma carrière. Laisse-moi huit semaines et je ferai de toi un champion dEurope ". Je ne lui avais pas menti.
Quelle est la chose la plus dingue que vous ayez vue sur un terrain de rugby ?
Un jour où, avec les Bulls de Pretoria, nous affrontions les Blues à Auckland. Mon compère de la deuxième ligne, Geo Cronje (2m et 125 kg), a voulu nous insuffler un peu dénergie. Il est entré sur le terrain, nous a regroupés avant une mêlée et a hurlé : "On va les défoncer ! Ces mecs sont moins forts que nous ! Allez les gars, aidez-moi à leur marcher dessus !" Mais en face de nous, il y avait un certain Kees Meuws, le plus gros pilier que je naie jamais vu
Et alors ?
Kees a renversé le côté gauche de notre mêlée et derrière, Carlos Spencer a aplati un essai facile. Sous les poteaux, Carlos nous a alors regardés et lancé : "Allez, les filles ! Venez faire une mêlée sous vos poteaux, maintenant !" Je nen croyais pas mes yeux
Parliez-vous beaucoup, sur le terrain ?
Ça marrivait, oui Avant daffronter les Lions britanniques, en 2009, nous avions eu pas mal déchanges par presse interposée. Le jour du premier Test, un de leurs joueurs de deuxième ligne ma dit : "Bakkies, tu vas sortir Jai discuté avec ton coach, il dit que tes cuit"
Quavez-vous répondu ?
Je lui ai fait un clin dil et lui ai dit : "Tu vas encore mavoir sur le dos, mon frère Contre les petites équipes, je fais toujours 80minutes"