La fin d'après-midi pointe son nez quand le bus de la délégation portugaise se gare devant le petit stade de Saint-Laurent-du-Var en ce jeudi 14 septembre. À deux jours de leur entrée en lice dans la deuxième Coupe du monde de leur histoire, les Portugais font penser, dans l'attitude relax et leur bonhomie, à une formation de Fédérale 2 débarquant pour une phase finale.
Ça rigole gentiment en rejoignant le terrain, où le matériel se résume à peu de choses, avec l'esprit léger. Une atmosphère qui se propage jusqu'aux consignes appliquées aux médias, où les traditionnelles quinze minutes offertes habituellement presque par charité pour voir trois passes et une accélération, se transforment en une séance complète, où le sélectionneur Patrice Lagisquet en réveillera certains avec une petite gueulante de fin d'opposition, devant des joueurs qu'ils trouvaient peu concernés. « Patrice nous sort de notre confort », nous avouera quelques minutes plus tard Rodrigo Marta.
L'ailier de 23 ans, déjà recordman d'essais de son pays avec 27 unités, fait partie des attractions de cette équipe qui s'est déjà avérée très joueuse et agréable à suivre durant ce Mondial. Arrivé sur la pointe des pieds à Dax (National) la saison dernière, sur les conseils et dans les valises de Hervé Durquety (ex-membre du staff portugais), Marta a du feu dans les jambes et le fait savoir à la troisième division nationale avec ses 15 essais en 20 matches, l'obtention d'une montée en Pro D2 pour la ville landaise et le trophée de meilleur joueur de l'année.
Une éclosion au grand jour pour celui qui a découvert le rugby via son père dans un pays où le ballon rond est roi. « Ma famille a toujours été plus intéressée par le rugby, explique-t-il. Avec mon frère (Manel, un an plus âgé), on a fait le choix d'y aller. Mais au Portugal, on est dans un rugby amateur. À un moment, il faut se décider entre arrêter et faire un vrai métier ou tenter sa chance dans le rugby professionnel. La plupart des joueurs au Portugal qui ne sont pas en sélection font le choix d'arrêter et de travailler. »
« Je ne veux pas dire d'une forme arrogante que je vise le Top 14 mais c'est vraiment un objectif, c'est pour ça que je suis venu en France »
Rodrigo Marta
Lui avait d'autres aspirations et Dax est sa porte de sortie après une formation au club de Belenenses à Lisbonne. « C'était une belle opportunité pour entrer dans le rugby français, lâche-t-il. C'est la meilleure décision que j'ai prise car ç'a changé le cours de ma vie. Les premiers mois, ç'a été un peu compliqué de sortir de mon confort. J'ai eu la chance d'avoir ma copine qui est venue avec moi et il y avait aussi un joueur portugais qui jouait à Dax. C'est ce qui a fait que je me suis toujours senti un peu chez moi à Dax aussi. »
Parler couramment le français lui a été aussi d'une bonne aide, lui qui a passé sa scolarité dans des établissements français de Lisbonne pour suivre la tradition familiale depuis une arrière-grand-mère belge qui avait mis sa propre fille (donc la grand-mère de Rodrigo) dans un lycée francophone.
Et ses essais ont fait le reste, lui offrant les projecteurs qu'il n'avait jamais vraiment eus. « Rodrigo, au départ, comme il n'était pas JIFF (jeune issu de formation française), les clubs n'étaient pas très intéressés, se rappelle Patrice Lagisquet, le sélectionneur du Portugal. Il est passé par Dax parce qu'Hervé Durquety l'a amené, l'a chapeauté. Là-bas, on s'est rendu compte que c'était une perle. »
En fin de saison, son téléphone a un peu plus sonné et c'est Colomiers (Pro D2), et sa faculté à envoyer régulièrement des joueurs en Top 14, qui a remporté le lot. « Je sais que j'ai fait le meilleur choix », glisse-t-il au lendemain d'une victoire de Dax face à son nouveau club en Pro D2 (25-6), un match qu'il n'a pas su de quel côté regarder, comme il l'avouera avec un sourire gêné.
Car même s'il est encore tout jeune dans le rugby professionnel, Marta sait où il veut aller. « J'ai bien aimé cette première année pro, j'ai compris que c'était ça que je voulais faire les dix prochaines années, glisse-t-il. Je ne veux pas dire d'une forme arrogante que je vise le Top 14 mais c'est vraiment un objectif, c'est pour ça que je suis venu en France. Je ne vais pas arrêter ma carrière sans me donner toutes les chances pour monter à l'échelon supérieur. »
« Il a un potentiel assez exceptionnel, prolonge Lagisquet. Il a des côtés qui me rappellent un peu Philippe Sella (centre aux 111 sélections avec les Bleus). Il n'est pas monstrueux mais il est très explosif, il va vite. Et plus le niveau de jeu s'élève, plus il est capable de répondre. Ça va être intéressant de voir comment il s'exprime dans cette Coupe du monde. »
Pour l'heure, après avoir joué l'intégralité des rencontres contre le pays de Galles (défaite 28-8), la Géorgie (18-18) et l'Australie (défaite 34-14), l'ailier a déjà avalé 190 m balle en main, effectué 4 franchissements et battu 12 défenseurs. Mais il lui manque l'essentiel : l'essai. « Je sens la ligne d'essais, j'ai ça depuis que je suis petit, sourit-il. J'ai toujours voulu chercher cette ligne à chaque match. »
Il lui reste une chance ce dimanche face aux Fidji (21 heures à Toulouse) pour rejoindre le cercle fermé des marqueurs d'essais portugais au Mondial. Ensuite, il sera temps d'apprivoiser la Pro D2.