Il y a quelques jours, les arbitres qui oeuvreront lors du prochain Tournoi des Six Nations ont été désignés. Trois Français figurent dans la liste établie par World Rugby : Mathieu Raynal, Pierre Brousset et Tual Trainini. Si le premier se servira de son sifflet, les deux autres se contenteront de leur drapeau le long de la ligne de touche. Raynal dirigera pays de Galles - Irlande, le 25 février à Cardiff. Ça ne fait pas beaucoup pour un pays de l'importance de la France.
En novembre, déjà, pour les tests internationaux, Raynal avait été l'unique spécialiste français à officier, profitant toutefois de deux incroyables concours de circonstances. Il avait tout d'abord bénéficié du forfait du Sud-Africain Jaco Peyper, blessé, pour se retrouver le 12 novembre dernier au centre du terrain pour Irlande - Fidji à Dublin (35-17).
Quelques jours plus tard, il avait remplacé l'Australien Nic Berry (contraint de renoncer pour des raisons personnelles) à Twickenham pour le bouillant et spectaculaire Angleterre - Nouvelle-Zélande (25-25, 19 novembre). Mais à ce sujet, il est important de rappeler une vérité qui replace l'arbitrage français dans le contexte international : initialement, ce jour-là, Raynal devait se retrouver sur le très modeste Roumanie - Samoa (0-22).
« D'autres nations prennent notre place. Il y a des pays émergents, je pense à la Géorgie ou encore à l'Italie, qui placent des arbitres sur des matches importants. Notre objectif, maintenant, c'est clairement 2027 »
Un arbitre du Top 14
Un terrible camouflet pour le numéro 1 tricolore qui payait là la polémique née de sa décision prise lors du match Australie - Nouvelle-Zélande à Melbourne le 15 septembre dernier. Alors que les Wallabies menaient 37-32, Raynal, à quelques secondes de la fin, accordait aux Australiens une pénalité. Mais Bernard Foley, leur ouvreur, prenait à ses yeux trop de temps pour l'exécuter et l'arbitre français choisissait d'annuler la pénalité et d'accorder une mêlée aux All Blacks qui, sur le fil, s'imposaient (37-39).
Relégué, sans l'être officiellement par World Rugby, l'arbitre français, qui a été très bon à Twickenham, a retrouvé du crédit, et son rang. À neuf mois du début de la Coupe du monde en France, Raynal semble aujourd'hui le seul représentant tricolore à posséder les compétences requises pour diriger de grandes affiches planétaires.
On est donc très loin de l'objectif fixé par la direction technique de l'arbitrage. Sur le site Internet de la Fédération française de rugby, on lit qu'elle souhaite « conforter le leadership international après la participation de cinq arbitres à la Coupe du monde 2019 et la finale de Jérôme Garcès ».
Franck Maciello, le grand patron de l'arbitrage français, ne partage évidemment pas ce constat de déclassement. Même s'il ne sait pas encore combien de ses hommes seront invités à la fête mondiale, en 2023, il affirme que l'arbitrage français se porte même plutôt bien : « Sur les Coupes européennes, la France est le pays le plus représenté avec huit arbitres centraux (Trainini, Raynal, Brousset, Ramos, Nuchy et Cayre en Coupe des champions, Marbot et Praderie en Challenge). C'est la première fois que ça arrive. C'est un signe très positif et ce chiffre prouve que l'arbitrage français est en bonne santé. Et si on vient les chercher, c'est qu'ils ont des qualités reconnues. Mais comme je ne m'occupe pas uniquement du sommet de la pyramide, je peux vous dire qu'il y a d'autres éléments qui confirment cette bonne santé. Par exemple, depuis le début de saison, on comptabilise 670 nouveaux candidats-arbitres... »
Le chiffre est encourageant mais il faudra attendre longtemps avant de voir un de ces bizuths se hisser au niveau international. « Il y a des jeunes talentueux qui poussent, assure un arbitre de Top 14, qui préfère que son identité ne soit pas dévoilée. Oui, parce que c'est un milieu de non-dits. » Des non-dits sur un sujet sensible. Et cela s'est vu lors de la préparation de cet article.
« Ces jeunes prometteurs ne seront pas prêts pour 2023, poursuit notre source anonyme. Et d'autres nations prennent notre place. Il y a des pays émergents, je pense à la Géorgie, ou encore à l'Italie, qui placent des arbitres sur des matches importants. Notre objectif, maintenant, c'est clairement 2027. Il y a donc un trou générationnel. »
Les meilleurs sont partis et n'ont pas encore été remplacés. Jérôme Garcès et Romain Poite ont atteint la limite d'âge fixée à 45 ans. Tout comme Laurent Cardona. Alexandre Ruiz (35 ans), qui aurait pu continuer, a choisi de rejoindre Montpellier où il s'occupe notamment de la défense. Très expérimentés, Garcès et Poite ont décidé de quitter le monde de l'arbitrage où leur savoir-faire aurait été bien utile. Ils ont choisi de se reconvertir ailleurs, où l'argent n'est pas un problème. Le premier travaille avec les Bleus de Fabien Galthié, le deuxième à Toulon, dans l'encadrement de Franck Azéma et Pierre Mignoni. Ils auraient pu aider, transmettre leur savoir-faire. Ils ne l'ont pas fait et ne peuvent pas vraiment le faire. Leur reconversion est chronophage.
Cette situation inquiète beaucoup les clubs du Top 14 et de Pro D2. Le sujet revient régulièrement lors des assemblées générales de la Ligue nationale de rugby. « On ne parle pas tant que ça du niveau des arbitres, mais de leur statut, raconte ce directeur général d'un club de l'élite. Aujourd'hui, la plupart préparent un match de Top 14 comme s'ils préparaient un match de Fédérale 3. Ce n'est pas possible. »
La France ne compte que deux arbitres professionnels (Raynal, Brousset) et trois semi-professionnels. Les autres travaillent, et le week-end, ils se détendent sur les terrains, à l'image de Thomas Charabas, médecin urgentiste.
« Pour tout vous dire, on mène un gros chantier avec la LNR et la FFR sur la haute performance de l'arbitrage, dévoile Maciello. Les travaux sont encore en cours, mais pour la saison 2023-2024, de très bonnes nouvelles seront annoncées. » Une communication devrait être faite au mois de mars.
« On n'a pas la volonté d'augmenter le nombre des professionnels, mais d'améliorer les conditions de l'arbitrage et de mettre les arbitres dans des conditions de performance optimales »
Franck Maciello, patron de l'arbitrage français
Plus d'argent ? Plus de professionnels ? Plus de temps pour préparer les rencontres ? « On n'a pas la volonté d'augmenter le nombre des professionnels, poursuit le patron de l'arbitrage français, mais d'améliorer les conditions de l'arbitrage et de mettre les arbitres dans des conditions de performance optimales... »
Leur statut pourrait changer. Ceux qui ne sont pas professionnels ou semi-professionnels pourraient devenir auto-entrepreneurs, et facturer un certain nombre de prestations à la FFR, ou à la Ligue, avec les matches du week-end, des journées de formation, et de préparation physique mais aussi du temps passé dans les clubs, en début de semaine, car ces derniers sont très demandeurs et n'ont pas tous les moyens de rémunérer un arbitre à temps complet. Si l'idée plaît, elle pose aussi plusieurs problèmes. Comment un arbitre qui passe régulièrement du temps dans un club pourra l'arbitrer normalement le samedi suivant ? Et lui sera-t-il possible de faire accepter son nouvel emploi du temps à son employeur privé ou public ?
Leurs indemnités devraient être aussi revues à la hausse. Aujourd'hui, un arbitre central de Top 14 perçoit 550 euros par match, un arbitre de touche 180 euros, et un arbitre vidéo 130 euros. Pour la Pro D2, c'est 350 euros, 130 euros et 75 euros. On est à des années-lumière des tarifs pratiqués dans le football avec, malgré un statut bancal, un salaire (pour les arbitres principaux) moyen supérieur à 6 000 euros brut par mois, et des primes de match de plus de 3 000 euros. Une nuit d'hôtel leur est payée par match, mais il arrive, quand les déplacements sont longs ou les rencontres tardives avec l'impossibilité de rentrer, de devoir dormir une deuxième nuit, à leur frais.
C'est un chantier capital pour la LNR et la FFR, même si pour cette dernière, la priorité semble ailleurs. Lors de notre conversation, Maciello a répété à plusieurs reprises que le plus important, en 2023, était de voir les Français devenir champions du monde. Mais les deux institutions se sont engagées à financer ce fameux plan de performance, à hauteur de deux millions d'euros chacun. Une somme qui viendra s'ajouter aux budgets déjà alloués au fonctionnement de ce secteur. Un bel effet d'annonce. Mais sera-t-il suivi de faits ?
On a retrouvé une communication qui date de 2018 sur le site Internet de la FFR... « À travers la convention générale, la FFR et la LNR affichent leur volonté d'engager des travaux conjoints autour de dix axes de développement structurants... Parmi ces dix axes stratégiques, l'arbitrage figure en bonne place. » On y parlait déjà de professionnalisation et de formation...