Quelqu'un aurait l'interview d'Urios dans Rugbyman ? D'avance merci
Lhomme fort de lASM sest livré en longueur sur son évolution psychologique, depuis ses premiers pas en professionnel à Carcassonne, jusquà cette première partie de saison réussie à Clermont, léquipe quil tente de faire "remarcher sur la lune".
Êtes-vous un homme comblé ?
Je ne le serai jamais ! Même si on avait gagné au Leinster (rires). Le club navance pas aussi vite que je voudrais, même si cest mieux aujourdhui quil y a quelques mois (entretien réalisé mi-décembre). Je voudrais quon soit plus fort, quon joue plus vite mais japprécie ce que fait le staff, les leaders et linstitution en général.
Quel serait votre plus beau cadeau pour ce début dannée ?
Que léquipe soit toujours en relation avec ce quelle a préparé la semaine. Jaurai toujours de la fierté et de lamour pour mes joueurs quand on applique ce quon a préparé, peu importe le résultat. Même si on fait des erreurs, je suis indulgent. Par contre, je déteste par-dessus tout quon soit légers. Je tolère quon ne soit pas bons, à condition quon ait tout donné. On veut que Clermont remarche sur la lune, et cela me comblerait quen fin de saison, on ait tout fait pour y retourner, quoi quil arrive.
Cela va faire deux ans que vous avez posé vos valises à Clermont. Psychologiquement, avez-vous changé depuis votre arrivée en Auvergne, en janvier 2023 ?
Je le répète encore, mais mon étonnement était alarmant par rapport à ce que jimaginais de lASM. Il ny avait pas de fil conducteur dans le jeu, le travail et ce nétait pas fait comme jaime. Alors que Clermont a justement été construit dessus ! Entre les paroles et les actes, il y avait un monde décart. Il a fallu que je marme de patience, que je ne sois pas naturel à certains moments. Jai avalé des couleuvres pour tenir le cap.
Cest-à-dire ?
Je nai pas bien soldé mon départ de Bordeaux-Bègles, en novembre 2022. Cétait violent à encaisser, plus que je ne le pensais. Et cet impact ma fait perdre confiance en moi, alors que ce nest pas mon fonctionnement. Jai refusé des projets dans dautres clubs pour finalement signer à lASM. Et dans les moments de tension, la saison dernière, je me suis rendu compte que je nétais pas aussi en confiance quavant. Je métais fait virer, puis je suis arrivé dans un endroit où tout le monde nétait pas enchanté de ma venue. Quand des joueurs disaient quils étaient contre le fait de licencier Jono Gibbes, cela veut dire quils ne voulaient pas de changements. Mais sil ny avait pas de changement. Mais on allait dans le mur ! Donc il a fallu remettre en cause des choses profondes. À partir de ce moment-là, je me suis posé un tas de questions, ce que je navais pas du tout imaginé. Je suis arrivé avec beaucoup dambition et dimpatience, la saison 2023-2024 a été dure émotionnellement et heureusement, jai eu un appui constant des dirigeants. Cela ma permis davancer, mais jai douté. Aujourdhui, tout est soldé.
Clermont a flirté avec la 13e place en fin de saison dernière, quel était votre état desprit ?
Ce nétait pas simple, dautant que certains au sein du club auraient aimé quon finisse barragiste. Je savais que des personnes menvoyaient des coups de poignard dans le dos, jétais obligé de faire face en ne disant rien sinon, cela aurait été pire ! Il fallait être diplomate, mais à ce point-là je me suis surpris.
Est-ce plus usant darriver dans un club où tout est à rebâtir, plutôt que de sinscrire dans un projet déjà solide, comme à Castres ou Bordeaux-Bègles ?
Exactement. Le plus bel exemple de ma carrière reste Oyonnax (2007-2015). Quand je suis arrivé, le club venait de monter en Pro D2, on est parti de pas grand-chose et ce fut le plus beau projet de ma carrière. Quand je suis revenu à Castres, en 2015, le club avait échappé de peu à la descente et sétait maintenu à la dernière journée. Mais ils avaient été champions en 2013 et finalistes en 2014, je savais quil fallait faire bouger des lignes mais la base était solide pour remonter. À Bordeaux-Bègles, il y avait aussi de belles fondations, il fallait juste mettre les bons ingrédients pour que la mayonnaise prenne. À Clermont, je suis un peu comme à Castres en 2015, où il faut repartir après un passé glorieux. Cest beaucoup plus dur que de lancer un projet. Combien de fois ma-t-on interpellé pour me parler des années Cotter ? Mais aujourdhui, le contexte na plus rien à voir. Il y a les Jiff, le salary cap etc. LASM va regagner rapidement, mais la mission est très usante car on nous ramène sans cesse au passé.
Vous êtes aujourdhui lincarnation de ce club centenaire et historique du rugby français. Pourtant, rien ne vous destinait à cela, lorsque vous avez arrêté votre carrière de joueur en 1999
Cela ne me plaisait pas dentraîner. Cette aventure est venue par hasard. Je suis un fils de vigneron et passionné à lidée de développer mon terroir. Mais on avait vu chez moi la possibilité dentraîner, parce que jaimais la relation de groupe quand jétais joueur. Javais besoin de ce rapport charnel pour être bon. Il mest arrivé de partir des entraînements parce que les mecs trichaient ou travaillaient mal, aujourdhui ce serait insensé (rires). Alain Gaillard ma beaucoup aidé en termes de responsabilisation, mais pas dans le jeu, car je men fichais. Quand je suis passé entraîneur, je me suis rendu compte que jaimais transmettre. À partir de là, jai laissé tomber les vignes pour entraîner et jai fait toutes les formations possibles pour être le meilleur : préparation mentale, sophrologie, préparation physique Je ne voulais pas quon menfume et je voulais avoir toutes les armes.
Joueur, étiez-vous aussi confiant quaujourdhui ?
Je navais pas de talent, mais je faisais des efforts. Quand on a été champions avec Castres en 1993 contre Grenoble, jétais le premier au lit avec une seule envie : démarrer la saison daprès pour montrer à tout le monde que le titre de 1993 nétait pas volé, notamment à cause du dernier essai qui avait fait polémique. Cela me rendait dingue, et je nai même pas profité de linstant présent. Je nai fait aucune soirée, jétais déterminé parce que javais besoin de travailler.
Et lorsque vous avez gagné en tant quentraîneur, en 2018 avec le CO ?
Cétait pire. Je suis rentré de suite parce que je considérais que le titre appartenait aux joueurs et non au staff. Javais la satisfaction du devoir accompli, et cela na jamais été un regret. Ce qui ne veut pas dire que je ne profite jamais ! Par exemple, après notre victoire contre Castres avec Clermont, fin novembre, jai envoyé un message aux joueurs pour leur dire quils pouvaient venir chez moi pour déguster un peu de mon vin. Je ne pensais absolument pas quils viendraient, et finalement, jai reçu des rafales de messages et ils sont venus à vingt-trois heures pour repartir vers deux heures du matin. Cétait excellent, jétais touché par leur venue, parce que cétait le bon moment pour faire cela. Je ne suis pas un moine, finalement ! (rires)
Avez-vous la sensation dêtre un père pour certains joueurs, ou est-ce un mot fort ?
Ce nest pas un mot fort, jai effectivement besoin davoir ce rapport presque paternel. Je protégerai toujours mes joueurs. Si, par contre, un joueur remet en cause le collectif, je lui couperai la tête et je serai sans retenue (rires).
Cela vient-il de la relation difficile que vous avez eue avec votre père, au moment de vous lancer dans le rugby professionnel ?
Cela a forgé mon caractère. Je suis parti à dix-sept ans à Carcassonne quand je commençais à jouer en équipe première, et je me suis fâché avec mon père. Cela ma durci. On ne sest plus parlé pendant trente ans. Je peux être très sensible aux gens loyaux, voire les protéger. Donc ma relation avec certains joueurs peut être due à celle que je nai pas eue avec mon père Mais je peux aussi être insensible contre ceux qui trichent, même sils sont malheureux.
Quelle a été la cause de cette cassure ?
Il voulait que je reprenne le vignoble alors que je voulais rester dans le rugby. Des c*nneries, finalement. Je suis parti, il est resté, et voilà. Cest ma fragilité aujourdhui, alors que je nai peur de rien. Y compris de prendre mes responsabilités pour partir dun projet, comme à Castres en 2019 par exemple.
Vous avez déclaré dans le podcast "La Cravate" avoir "perdu du temps" tout au long de votre carrière. Pouvez-vous développer ?
Javais beaucoup de tempérament mais je navais pas assez confiance en moi pour dire les choses, jétais en retrait. Cest paradoxal, mais cela ma pris du temps. Il a fallu que jentraîne Oyonnax pour que je men rende compte. Jai compris que javais du potentiel lorsque le club sest développé de manière incroyable. Mais jai perdu vingt ans ! Je le dis souvent à mes joueurs : ne perdez pas de temps, surtout avec le monde de lentreprise. Jai acheté mon domaine en 2020, mais si javais été suffisamment confiant, je laurais acheté bien avant et jen aurais peut-être trois aujourdhui (rires). 150 matchs de Top 14, cela équivaut à un master ou un diplôme valorisant. Souvent, le joueur de rugby a du mal à ouvrir les yeux. Cela me fait très peur quand je vois des trentenaires qui ne savent pas ce quils feront de leur après-carrière. Je leur répète quil faut rencontrer des personnes, des chefs dentreprise etc. Lidée est de se servir de leur expérience pour gagner du temps et faire moins derreurs.
Vous mettez la valeur travail au-dessus de tout dans votre esprit. Avez-vous déjà été proche du burn-out, ou darrêter complètement dentraîner ?
Jamais. Je ne suis pas plus fort que les autres, mais je nai jamais eu ce sentiment dusure. Mon mantra est : "Être meilleur ne sarrête jamais". Cela me passionne. Jaime quand mes joueurs progressent et jai besoin de cela.
Vous avez également appris à jouer avec les médias au fil des années, à linverse de certains de vos homologues. Quelle est votre motivation ?
Des gens disent souvent que je parle trop, ou que je veux me montrer Jai dit des conneries, oui, notamment à lUBB où je lai payé cher, mais cest ma nature. La presse est dans le même bateau que moi. Si je ne vous parle pas, vous ne serez pas content, et si vous écrivez des choses fausses, je ne serai pas content. Limportant est davoir une relation de confiance, tout le monde y gagne. Je crée cette relation pour que chacun fasse son travail. Cest le rôle dun manager, selon moi.
On a la sensation que vous avez toujours quelque chose à dire, quel que soit le contexte Êtes-vous comme cela avec votre femme et vos enfants ?
Je suis le même en privé. Jai besoin de partager mais je suis très exigeant. Ce nest pas facile tous les jours de me côtoyer ! (rires)
Vous vous inspirez énormément des entraîneurs de football, lequel trouve grâce à vos yeux ?
José Mourinho. Comme lui, jaime piquer mes joueurs dans la presse, tout anticiper, tout préparer Jaime la relation quil a avec ses joueurs. Jai lu toutes ses biographies. Luis Enrique me plaît également, même sil est un peu donneur de leçons par moments. Je ne le connais pas mais de ce que jai vu, sa relation avec son staff et ses joueurs me plaît. Jaime bien aussi Jürgen Klopp, dans son côté "frissons-émotions". Quand jentends les chants au Michelin, que le public gronde sur nos avancées, je pourrais rentrer sur le terrain ! (rires) Je vis lentraînement pour cela. Ce ne sont pas les titres qui me font lever le matin mais quand une personne au fin fond de lAuvergne félicite léquipe, cela me plaît plus que tout.
Pourrait-on imaginer José Mourinho venir à Clermont, un jour ou deux, en observateur de luxe ?
Jaimerais bien ! Si javais une question à lui poser, ce serait celle-ci : quel est le plus important pour lui ? Gagner coûte que coûte ? La relation avec ses joueurs ? Ce serait très intéressant
Sur le terrain maintenant, est-ce quil se passe la même chose dans votre tête aujourdhui que lorsque vous avez débuté votre carrière dentraîneur, à Castres ?
Je suis plus calme et serein, mais je continue de me tromper. Contre Trévise, par exemple, je ne sentais pas les joueurs déterminés. La première période était le reflet de cela, même si on menait 21-0. Les joueurs ont mal pris que je leur dise cela à la pause, ils nétaient pas daccord avec moi et mon impact a finalement été nul puisque notre deuxième mi-temps a été catastrophique. Le lundi matin, les leaders mont répété leurs désaccords avec leurs arguments ; jai répondu avec les miens, tout en mexcusant de ne pas avoir compris les joueurs. Jétais à côté de la plaque, finalement. Il y a dix ans, jaurais été incapable de concéder ce genre de situation !
Vous avez lhabitude de passer de longues minutes à regarder les échauffements des adversaires. Pourquoi ?
Je regarde leur préparation, leur motivation, leurs erreurs, latmosphère Est-ce que les entraîneurs sont nerveux ? Veulent-ils nous intimider ? Toutes ces choses-là sont intéressantes !
Le joueur Christophe aurait-il accepté de travailler avec lentraîneur Urios ?
Je pense, oui. Notre relation aurait sûrement éclaté à quelques reprises (rires). Il y aurait souvent eu des moments où on ne se serait pas parlé, avec des étincelles etc. Par contre, jaurais senti ce joueur un peu instable, écorché vif mais loyal. Et jaurais cherché à le faire venir avec moi, pour lui tirer le plus de choses possibles. Quand jétais joueur, javais besoin dêtre responsabilisé.
Quelle est la plus grande erreur que vous ayez commise en tant quentraîneur ?
La fin de saison 2018-2019 avec Castres, quand on ne se qualifie pas pour un point, avec trois défaites à la maison. Jai raté des choses, on était probablement tous orientés sur la phase finale. Je me suis surpris à préparer des tee-shirts pour les partants sur le dernier match Ce nest pas bon de faire cela ! (rires) Je nai pas assez mis mon équipe en danger. Par contre, je suis content davoir évité la plus grosse erreur de ma carrière, un an avant. Jai failli ne pas nommer Rodrigo Capo Ortega capitaine de Castres, lors de la finale 2018. Je lui en avais parlé avant le match, en disant que ce serait Mathieu Babillot. Là, il ma fusillé du regard et ma confié cette phrase : "Je nai pas été capitaine en 2013, et je me suis juré de revenir au stade de France en étant capitaine du CO pour être champion de France." Cela ma bouleversé et je me suis longtemps dit : "Si je ne lui avais rien dit et que javais nommé Mathieu (Babillot) capitaine, on aurait potentiellement perdu la finale !"