Posté 15 février 2023 - 18:22
Article de l'équipe :
Depuis l'arrivée de Christophe Urios, l'ASM ouvre les portes de l'entraînement à ses supporters une fois par semaine. Pour mieux renouer avec son public et coller au credo de son nouvel entraîneur.
Aurélien Bouisset, à Clermont-Ferrand
Ils avaient pris le pas de recul des connaisseurs, deux bons mètres derrière les autres supporters massés sur la rambarde blanche qui encadre la pelouse du stade Marcel-Michelin, cette zone du pesage qui, pendant les rencontres, vibre d'un public populaire et bruyant. C'est que mardi, Caliste et Léo, silencieux et attentifs, voulaient observer les joueurs de l'ASM d'un oeil ovale, pour « voir les touches ». « On joue devant, justifient-ils, au RC Riom (à 15 km de Clermont), en Fédérale 2, et d'ailleurs, c'est Lucas Dessaigne qui nous y entraîne ! »
Ce duo, coaché par le flanker des Jaune et Bleu, avait bien choisi sa zone : Julien Le Devedec, le spécialiste de l'alignement clermontois, venait, sous leurs yeux, de demander à ses avants de travailler les ballons portés après touche, « à 100 % ! mais on se respecte ! » Et les deux deuxième-ligne amateurs ont pu s'imprégner des combinaisons des pros, étudier les annonces défensives, s'étonner de la rapidité des déplacements de leurs homologues.
Urios, un coach qui intrigue
Autour d'eux, debout, au ras du terrain ou plus confortablement installés dans les fauteuils bleus des tribunes, ils étaient près d'un millier, selon les organisateurs, à suivre la séance du mardi après-midi. Une nouveauté : alors que l'ASM invitait ses supporters à une petite poignée d'entraînements sur une saison, Christophe Urios a décidé, depuis son arrivée en Auvergne, il y a un mois, de les y convier une fois par semaine. « C'est très bien perçu ! », se réjouit Yves, assis dans les gradins. Il a fait une heure de route, depuis Montluçon, pour se poser là, à côté de Michel, supporter depuis cinquante ans, et de Claude, qui revendique six décennies de présence au Michelin. « Le public de l'ASM est un public de fidèles, on a besoin de ce contact avec le club, poursuit Yves. Et on voulait aussi voir Urios, la façon dont il manage. »
« Il va détonner avec l'image de l'ASM »
Calixte, un supporter de l'ASM
Le nouveau coach, qui a passé la séance un ballon coincé sous le coude gauche à observer attentivement ses joueurs, intrigue la Yellow Army, depuis qu'il a succédé à Jono Gibbes en plein milieu d'une saison morose. « Il va détonner avec l'image de l'ASM », anticipe Caliste. Claude, le retraité, précise la pensée du jeune avant de Riom : « Je connais bien l'ASM, et aussi Michelin, pour y avoir travaillé dans l'encadrement presque toute ma carrière. Je me demande si leur fonctionnement est compatible avec cet homme-là, qui a cette faconde ! » L'intéressé sait bien que son image tranche avec la discrétion locale. Mais il n'a pas hésité à proposer au club d'instaurer l'ouverture qu'il a toujours prônée dans ses précédentes fonctions, à Oyonnax, Castres ou Bordeaux.
« Pour moi, c'est le sens que j'aime, dans ce métier, le partage d'émotions et cette accessibilité, insiste-t-il, après l'entraînement, dans le calme d'une loge du stade. C'est ce qui me passionne ! Quand tu commences à fermer ton stade, quand tu empêches les gens de venir voir l'entraînement, ça me gêne. Je sais bien que dans la façon dont on manage aujourd'hui, on peut aller vers ça, vouloir se protéger, et je le comprends. Mais ça ne me parle pas ! Ça me frustre. Tu te coupes du monde et tu fabriques des individualistes. Tu as plus à gagner à partager, comme aujourd'hui, plutôt que d'être en vase clos, entre nous comme des cons, à ne pas sentir le pouls de ce qui se passe. »
Les joueurs auront pu palper mardi une atmosphère bon enfant, aidée par un ciel d'un bleu radieux et par les vacances scolaires, qui ont attiré des enfants avides d'arracher un autographe, qui sur un album Panini, qui sur un drapeau, ou un selfie, quitte à hériter, comme Thibault Lanen, d'un petit bébé dans les bras, celui du supporter-photographe.
« On sent que dans cette phase où on est dans le dur, il y a besoin d'un soutien important »
Etienne Falgoux
Les plus acharnés ont campé là même après le départ de la plupart des joueurs, après une bonne heure d'entraînement plutôt intense, pour attendre Urios et le héler d'un « Chriiiistophe » qui l'a incité à se retourner, alors qu'il était attendu en réunion. « C'est bien, il faut que les joueurs s'intéressent à nous », sourit Gladys, sa veste des « Mordus Jaune et Bleu », un groupe de supporters, sur les épaules. « Qu'ils se ré-intéressent ! », la coupe une amie exigeante.
Les plus anciens des joueurs admettent que lien s'était peut-être distendu. Étienne Falgoux, pilier présent depuis la fin de l'ère Vern Cotter, a connu le club plus distant de ses supporters. « À cette époque-là, le stade tournait à plein tous les week-ends, le club était plus serein, dans le haut du tableau... se souvient-il, conscient que cette saison, le Michelin n'a attiré en moyenne que 15 536 spectateurs par match, en Top 14, pour une capacité de près de 19 000 places. Là, les résultats aident un peu moins et on se rend compte qu'en fait, il faut se reconnecter. C'est un rapprochement nécessaire avec le public : on sent que dans cette phase où on est dans le dur, il y a besoin d'un soutien important. »
Urios sait bien que le public auvergnat a été gâté « par de grandes épopées » pendant plus d'une décennie, où l'ASM faisait partie « du gratin du rugby français et même européen ». Mais le Brennus de 2017 ou les finales européennes de 2013, 2015 ou 2017 paraissent loin maintenant que le club, 10e, nage dans le ventre mou du classement et voit ses stars, comme Damian Penaud, quitter le navire. « Ici, ce sont des connaisseurs, reprend le technicien, et quand on est plus en difficulté, il faut qu'ils voient qu'on travaille, qu'on s'accroche. Ces 55 minutes d'entraînement où ça bastonne, avec des chocs, où on ne fait pas semblant, et c'est bien de le montrer, ça aussi ! »
« Ouvrir l'entraînement nous apporte un supplément d'âme, on prend la responsabilité d'affronter le regard de nos supporters »
Christophe Urios
Là, Caliste, le deuxième-ligne de Riom, fait la moue : « En tant que joueur, ça ne me choque pas que l'entraînement soit fermé, il y a des choses que les supporters n'ont pas à savoir, comme les brouilles entre joueurs qu'il peut y avoir, parfois. » Et Urios de repenser aux mises en place de veille de match à Bordeaux, auxquelles assistaient les supporters, et qui laissaient filtrer ses compositions d'équipe dans la presse. « Ça, ça me foutait les boules, convient-il. Je me disais qu'un mec dans le stade appelait les journalistes... Mais pour autant, ça ne m'est jamais venu à l'idée de fermer. Parce que finalement, pff... Avec tous les outils qu'on a, la vidéo, tu ne vas rien apprendre de plus sur l'adversaire. Alors, tu veux te protéger... Mais de quoi ! ? Là, d'ouvrir, ça nous apporte un supplément d'âme, parce qu'on prend la responsabilité d'affronter le regard de nos supporters. » Qui, malgré les vicissitudes de la saison, n'ont toujours d'yeux que pour les Jaune et Bleu.
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