« Bienvenue au pays de Galles... » C'est par cette remarque acerbe que le sélectionneur Warren Gatland a conclu la conférence de presse lunaire qui s'est tenue jeudi à Cardiff. Elle résume bien la situation inflammable dans laquelle est plongé le rugby gallois depuis plusieurs mois.
Après le scandale de harcèlement sexuel, d'une violence inouïe, rapporté par la BBC dans une enquête diffusée en janvier et qui a poussé le directeur général de l'institution, Steve Philipps (*), vers la sortie, c'est désormais la menace d'une grève des joueurs avant le choc face à l'ennemi anglais, prévu le samedi 25 février, qui embrase la Principauté. La raison du courroux des internationaux ? Leur situation contractuelle qui, à seulement sept mois du Mondial en France (8 septembre - 28 octobre), demeure incertaine.
Faute d'accord financier avec la Fédération galloise de rugby (WRU), les différentes provinces (Ospreys, Cardiff, Newport, Scarlets) ne peuvent proposer de nouveaux contrats aux joueurs. Pourtant, ils sont nombreux à voir leur présent contrat arriver à son terme au mois de juin. Si la WRU tarde encore à se positionner sur la question, c'est parce qu'elle est en grande partie exsangue financièrement. Pendant la période de l'épidémie de Covid-19, elle a contracté un lourd emprunt auprès de l'État, et peine désormais à le rembourser...
Plusieurs internationaux ont ainsi confié de façon anonyme leurs craintes au Daily Mail. « Je n'arrive pas à croire que je suis à cinq mois de la fin de mon contrat et à sept mois de la Coupe du monde et mon avenir n'est pas encore certain », a déploré l'un d'eux. « Je ne peux pas demander de prêt immobilier et je suis sous antidépresseurs, a témoigné un autre. Si je venais à avoir une grosse blessure, je pourrais ne pas avoir de travail en juillet. Mais je continue à jouer pour le pays de Galles chaque semaine et la WRU gagne des dizaines de millions grâce aux matchs internationaux... »
« Si vous traitez mal les gens assez longtemps, vous arrivez dans la situation où nous nous trouvons. Une grève ? C'est une possibilité, je ne peux pas le nier. Mais ce sera la toute dernière option »
Alun-Wyn Jones, deuxième-ligne du pays de Galles
Cette situation pourrait amener les joueurs du quinze du Poireau à s'exiler dans des Championnats plus lucratifs, en France ou en Angleterre. Elle a en tout cas poussé le groupe à brandir la menace d'une grève avant le match face au quinze de la Rose, ce qu'a confirmé le légendaire deuxième-ligne Alun-Wyn Jones (156 sélections depuis 2006) devant la presse jeudi.
« On comprend que la pression touche tout le monde, mais les joueurs n'ont pas eu voix au chapitre et des décisions ont été prises unilatéralement, a-t-il regretté. Si vous traitez mal les gens assez longtemps, vous arrivez dans la situation où nous nous trouvons. Une grève ? C'est une possibilité, je ne peux pas le nier. Mais ce sera la toute dernière option. »
À sa droite, Warren Gatland, revenu aux affaires cet hiver après la mise à pied de Wayne Pivac, a tenu une position d'équilibriste, déclarant d'une part approuver les joueurs dans leur combat pour être mieux entendu et plus respecté, et d'autre part s'opposer à la grève : « Je soutiens totalement la position qu'ils adoptent, leur volonté d'obtenir une solution aux problèmes. Mais je pense qu'il y a beaucoup de choses en jeu pour garantir que ce match ait lieu. »
« Cette histoire ne concerne pas que les stars du rugby gallois. Je pense davantage aux autres, ceux qui sont des deuxièmes ou troisièmes choix avec leur province, qui ont une famille et ne savent pas encore s'ils auront un contrat à la fin de la saison »
Sam Warburton, ancien capitaine du pays de Galles, dans le Times
Une réunion de crise s'est tenue mercredi entre les différents acteurs du rugby gallois. Durant celle-ci, le Professional Rugby Board, qui rassemble la Fédération et les quatre provinces galloises, a conclu que le rugby gallois vivait au-dessus de ses moyens, et que la solution passait par une baisse générale du salaire des joueurs. Une proposition évidemment mal passée auprès des intéressés.
Ces derniers ont reçu un soutien de poids en la personne de Sam Warburton. L'ancien capitaine de la sélection (74 capes entre 2009 et 2017) a affirmé dans une chronique pour le Times qu'il était à fond derrière les joueurs dans cette affaire : « Je suis totalement d'accord avec les joueurs et je soutiens leur menace de grève. Si je jouais encore, je ne voudrais absolument pas signer ces nouveaux contrats revus à la baisse. Cette histoire ne concerne pas que les stars du rugby gallois. Ceux-là ne représentent que 10 ou 20 % de l'ensemble des joueurs du pays de Galles. Je pense davantage aux autres, ceux qui sont des deuxièmes ou troisièmes choix avec leur province, qui ont une famille et ne savent pas encore s'ils auront un contrat à la fin de la saison. Ce sont eux qui sont en danger. »
Au-delà de cette crise extra-sportive, la sélection galloise traverse une période noire en termes de résultats, symbolisée par les défaites à domicile contre l'Italie (21-22) et la Géorgie (12-13) l'an dernier, et un début de Tournoi raté avec deux fessées face à l'Irlande (10-34) et l'Écosse (35-7). De quoi nourrir un sacré feuilleton à suspense qui pourrait ravir les spectateurs avides de drama.
Pas sûr que Netflix ait eu le temps de capter assez d'images : les caméras de la plateforme de streaming, qui réalise un documentaire en immersion dans les sélections du Tournoi pour une sortie en 2024, ont été gentiment évacuées du camp de base des Gallois cette semaine...
Finalement, les Gallois avaient bien joué leur match à Twickenham (défaite 50-10) et les clubs avaient été concentrés en cinq provinces (Cardiff Blues, Celtic Warriors, Llanelli Scarlets, Ospreys et Newport Gwent Dragons) au sein de la Ligue Celte.