Voilà un bail qu'on rêvait d'entendre Danny Cipriani. La semaine passée, à Londres, il s'est livré quatre heures durant chez Hide, un restaurant cossu de Mayfair. Il rentrait d'une retraite spirituelle en Inde mais reste toujours un peu sous les feux de l'actualité, entre la sortie d'un livre en 2023 (« Who am I », « Qui suis-je »), ou sa participation à Celebrity Bear Hunt, une chasse à l'homme de stars qui cartonne sur Netflix. Cipriani apparaît comme un être en quête d'harmonie et d'unité intérieures dans un sport qui, outre-Manche, a longtemps misé sur la puissance et les coups d'épaule.
Durant sa carrière, l'ancien international (37 ans, 16 sélections entre 2008 et 2018) a su briser les lignes avec les fulgurances de sa vista et sa vivacité d'esprit. Mais au poste de demi d'ouverture, l'Angleterre préfère par tradition l'assurance que confère un numéro 10 artilleur et géomètre. Des profils à la Jonny Wilkinson par exemple - un maître de précision qui, dans l'exercice, a laissé un peu de sa santé mentale -, puis plus récemment Owen Farrell ou George Ford.
Le rugby anglais, à l'image du pays tout entier, continue de se chercher, hésite à s'en remettre aux inspirations d'un Marcus Smith tantôt honni ou adulé. Il y a bien des années déjà, Danny Cipriani fut un précurseur de ce débat. « Conquérir ou gérer », « initier ou réagir »... Difficile d'être prophète en son pays : Cipriani fut critiqué, ignoré. Rarement entendu. Nous, au Magazine L'Équipe, on a souhaité l'écouter. On n'a pas été déçus.
« Il paraît que vous êtes en phase avec l'esprit français ?
J'aime bien cette mentalité un peu fataliste (il mime un haussement d'épaule). On dirait que, malgré les différences d'opinions, politiques ou autres, les Français parviennent à se rejoindre dans la capacité à identifier le génie et le talent, tout en les considérant avec flegme. Je me souviens d'avoir assisté à une scène entre deux gars qui buvaient leur vin accompagné de pain : - « T'as vu ce truc le week-end dernier ?
- Ouais.
- C'était fabuleux !
- Ouais, tu ferais ça, toi ? »
Il y a comme un vent porté par le destin, un interstice entre les choses où rien n'est vraiment défini ni certain, dans lequel les Français aiment évoluer. C'est peut-être pour ça que vous produisez de si grands artistes, architectes ou créateurs... En sport aussi, la France a engendré des génies alors que le talent est devenu tellement rare à force d'insister sur ce mantra qui incite à toujours « bosser plus dur, plus vite, plus fort, plus longtemps ».

À quels génies du sport français faites-vous référence ?
Déjà Zidane clairement. Thierry Henry aussi, avec sa façon de disparaître du jeu et de jaillir avec le ballon. On ne voit plus de tels gestes. Les coaches martèlent « pressing ! » comme en rugby lorsque la blitz defense (ou rush défense) est apparue. On entendait sans cesse : « Blitz, Blitz ! » Quel que soit le sport, le plus dur, c'est de protéger la prise de décision.
« Ce qui a toujours distingué les grands athlètes, c'est cette capacité à prendre une décision intuitive en une fraction de seconde »
Un coach se doit de laisser de la liberté aux joueurs, d'avoir l'intelligence émotionnelle de créer un groupe capable de prendre ses décisions au lieu de ressasser : « Tu dois faire ceci, comme ça, à partir de cette ligne, boum ! » Certes, c'est rassurant pour un entraîneur de donner des consignes strictes, mais ce qui a toujours distingué les grands athlètes, c'est cette capacité à prendre une décision intuitive en une fraction de seconde. Mettre l'ensemble des joueurs dans ce genre de « flow » créerait une synergie d'équipe parfaite.
Quelle équipe incarne cet état d'esprit collectif ?
J'ai commencé à m'intéresser au basket car c'est le sport qui s'approche le plus de cet état d'esprit. Je pense aux Warriors (Golden State) qui, à leur apogée, associaient des joueurs comme Stephen Curry, Klay Thompson et Draymond Green. Leur jeu tournait autour de Steph Curry. C'est comme ça, il y a toujours un joueur clé, mais son rôle n'était ni plus ni moins important que celui de Draymond Green. Quand bien même les stats disent le contraire, vu que c'est Curry qui marquait les points, sans Green, qui défendait et bossait dur pour récupérer les rebonds sous le panier, rien n'aurait été possible.
Un joueur « fertiliseur »...
Exactement. Tant de profils sont nécessaires au sein d'un collectif. Draymond Green, quand bien même il avait un éventail technique plus limité, gardait la liberté de prise de décision. Il cherchait souvent Steph (Curry) avec le ballon mais pouvait aussi se tourner vers Klay Thompson qui allait au panier pour un lay-up ou un dunk.
Ce que j'adore dans le basket, comparé aux autres sports, notamment le rugby, c'est la façon dont les joueurs parlent les uns des autres. Qu'ils soient dans la même équipe ou pas, peu importe : ils savent reconnaître le talent. Tu entends des trucs du genre : « Mon Dieu, Jimmy Butler, c'est l'un des meilleurs joueurs que je n'ai jamais vus. Il peut faire ceci, cela », ou encore « Kevin Durant, c'est le meilleur scoreur de tous les temps ».

Ça en dit long sur cette Ligue et ce qu'est le basket. Désormais, tout le monde veut être au bord du terrain. Un LeBron empoche près de 50 millions de dollars par an. À côté, en rugby, on est dans une logique de rétention d'informations. On reste à huis clos quand bien même tout le monde fait la même daube.
Quand je jouais, j'ai vu tant d'entraîneurs créer inconsciemment des hiérarchies. Il y avait un groupe de leaders séparés du reste. Le demi d'ouverture était souvent vu comme le chef d'orchestre. Quand je gérais l'analyse vidéo, j'avais une autre approche : j'aimais mettre un focus sur le pilier qui avait fait un appel de balle intelligent, même s'il n'était pas servi. « Ça, c'est aussi important que l'essai marqué dans le coin ! » Si on valorise tout le monde de la même manière, chacun peut donner bien plus.
« Le rugby était le seul endroit où je trouvais de la paix, de l'amour et de la joie »
Le succès de la NBA, c'est du marketing ou c'est plus profond ?
Il y a un tas de raisons, mais ils ont aussi un produit incroyablement excitant à regarder. Je ne regarde plus le rugby. J'ai vu un match l'autre jour et je devinais exactement ce qui pouvait se passer dans les vestiaires ou aux entraînements. Je n'allume plus ma télé pour le rugby. À l'âge de 7 ans, pourtant, je ressentais tellement d'enthousiasme à y jouer. C'était dur physiquement mais c'était le seul endroit où je trouvais de la paix, de l'amour et de la joie. Tout ce que je n'avais pas à la maison.

Vers 22 ans, quand j'ai commencé à recevoir des critiques négatives, il m'a fallu m'éloigner. Je suis parti deux ans en Australie (aux Melbourne Rebels, en 2011-2012). À mon retour, je ne jouais plus de la même manière, j'avais appris un rugby qui correspondait beaucoup plus au style moderne. Je n'étais plus seulement un joueur, j'étais animé par cette envie de permettre à tous de se bonifier sur le terrain.
Je n'adhérais pas à certains discours de coaches qui aimaient pointer les faiblesses de joueurs pour les pousser à bosser plus dur : « Tu es mauvais dans ce secteur, tu ne fais pas assez ceci. » Je me demandais pourquoi ils ne choisissaient pas plutôt de les inspirer en leur donnant confiance ? Susciter un environnement positif, harmoniser une bonne vibration dans le vestiaire, ça crée un lien et une relation humaine qui transcendent la hiérarchie. En basket, les interactions entre coaches et joueurs me paraissent plus positives, quasi amicales.
Le rugby était jadis une école de vie permettant d'élever les joueurs et les faire grandir ensemble. Ce n'est plus le cas ?
Avec le professionnalisme, l'état d'esprit a changé. La peur de la défaite, celle de perdre son job, se sont immiscées. Rien de tout cela ne devrait peser. Il faudrait plutôt essayer de façonner un collectif apte à encaisser les conflits, comme on en trouve dans toutes les familles. Avec un climat de confiance et d'honnêteté, tous ces différends peuvent disparaître. On peut se confronter mais trouver le moyen de travailler ensemble. Avoir des discussions salées mais comprendre que l'enjeu réel n'est pas « toi contre moi » mais « toi et moi contre le problème ».
« Et si la culture rugby limitait le potentiel de ce sport ? »
Le rugby a du mal à évoluer. Peut-être parce que c'est un sport de confrontation très physique. On y grandit avec un état d'esprit qui impose d'être « fort », « dur », « combatif », et cette vision limite le potentiel du jeu, sa créativité, son flow. Des joueurs plus forts, plus rapides, oui, mais ils sont aussi devenus plus mécaniques. C'est pareil dans le football : où sont passés les Iniesta, Xavi ou Ronaldinho ? L'idée communément admise est de dire que la culture rugby, très enracinée, faisait la force de ce sport. Et si c'était l'inverse ? Et si, finalement, elle en limitait le potentiel ?
Comment résumeriez-vous la « culture rugby » ?
« Fais ce qu'on te dit. » On peut discuter, mais, au final, l'entraîneur décide. Beaucoup de coaches préfèrent garder les choses sous contrôle. Peut-être par peur d'être dépassés par le potentiel réel d'un groupe. C'est la même chose dans l'éducation des enfants. À mes yeux, ils sont là pour nous apprendre des choses. Ils sont dans le présent, expriment librement leurs émotions. Ils ont besoin d'être guidés bien sûr, mais pas enfermés dans un cadre rigide qui limite la créativité.
Le sport était l'endroit où je me sentais le plus libre. C'était mon moyen d'expression, la possibilité de recevoir de l'amour et de vibrer avec de l'adrénaline. Au sommet de ma carrière, je me suis rendu compte que ce n'était plus suffisant. J'ai cherché cette sensation d'intense présence dans l'instant ailleurs : dans la méditation, la spiritualité, la physique quantique... J'ai découvert une paix intérieure que je n'avais jamais connue.

Le sport n'est pas une fin en soi, c'est juste un véhicule pour découvrir qui on est. Peu importe le nombre de trophées gagnés. Le but n'est pas d'accumuler des titres en vue de pouvoir se retourner un jour et se dire « qu'est-ce que j'étais grand ! » Le sport aide à mieux se comprendre, comme la musique, la comptabilité ou un tas d'autres activités. Le rugby a été la piste de décollage pour une autre étape de ma vie, pour aller vers celui que je suis en train de devenir.
Aujourd'hui, je vis pleinement chaque instant. Je suis beaucoup plus apte à ressentir de l'amour et la liberté. Il n'y a pas plus grande bénédiction. Enfant, j'avais une vision très limitée de ce que serait mon futur. Le vécu de votre enfance façonne des habitudes inconscientes. Jusqu'au jour où l'on comprend qu'il faut un peu se déconstruire, se libérer de schémas qui vous empêchent d'être pleinement en harmonie avec le flux de notre vie. Pas besoin que ça se sache sur la scène internationale. Si vous vivez bien à l'intérieur de vous, ça suffit. Et ça fait tellement de bien.
« Verra-t-on un jour un nouveau Lionel Messi ? Je l'ignore. En tout cas, à Barcelone, il y a ce gamin de 17 ans (Lamine Yamal) qui joue avec une liberté et une créativité incroyables ! »
L'industrie du divertissement propose deux types de spectacles : les films et séries, scriptés d'un côté. De l'autre le sport, a priori non scénarisé. Devient-il trop prescriptif à force de réduire sa dimension aléatoire ?
C'est une bonne façon d'analyser les choses. En rugby, les défenses sont de plus en plus hermétiques. Au foot, les équipes pressent avec toujours plus d'intensité. Où est la limite ? Est-il raisonnable pour l'être humain de chercher à être toujours plus grand, plus rapide et plus fort ? N'y a-t-il pas de place et de courage pour jouer autrement ?
Le cas de Marcus Smith, ouvreur créatif du quinze de la Rose, divise l'Angleterre...
Marcus est incroyablement doué. Beaucoup de ses moments de génie viennent en réaction à une situation bloquée. Quand il n'y a pas de solution, il se dit : « Je vais tenter quelque chose. » Pourquoi ne pas organiser cette liberté autour de Marcus dès le début ? Pourquoi le cantonner au rôle de joker ? Pourquoi se contenter de réagir plutôt que d'initier ?
L'être humain délègue aujourd'hui beaucoup de ses prises de décisions à l'intelligence artificielle. Quelle est votre relation aux algorithmes ?
Malgré la direction que prend le monde, je veux croire qu'on trouvera toujours des diamants. Même si on croule sous des statistiques et de l'analyse de données, il y aura toujours des joueurs hors norme pour remettre ça en question.
Dans les académies de foot, dès l'âge de 7 ans, les mômes sont formés selon le système de jeu de l'équipe première. Verra-t-on un jour un nouveau Lionel Messi ? Je l'ignore. En tout cas, à Barcelone, il y a ce gamin de 17 ans (Lamine Yamal) qui joue avec une liberté et une créativité incroyables ! Nombre d'entraîneurs se disent : « Lui, il est spécial, on va le laisser jouer », car il est parvenu à sortir du moule, à être au-dessus du système.

Le vrai défi, c'est de développer et d'encourager la prise de décision auprès des jeunes. J'ai connu ce privilège avec Brian Ashton (sélectionneur de l'Angleterre de 2006 à 2008). J'avais 15 ans quand je l'ai connu. Il n'imposait jamais de réponses. Il nous posait sans cesse des questions pour nous obliger à penser par nous-mêmes.
Il vous a aidé à vous construire en tant qu'homme...
J'ai grandi sans la figure d'un père et j'ai toujours cherché quelqu'un auprès de qui apprendre et progresser. Avec Brian, la porte était ouverte. Tout comme avec Shaun Edwards (entraîneur de la défense de l'équipe de France, aujourd'hui). Hélas, j'ai souvent été confronté à des coaches qui essayaient de me convaincre ou de me contenir. Ce n'est ni leur faute ni la mienne. C'est juste que l'énergie ne circulait pas bien.
Avec le temps, j'ai compris que je devais préserver mon énergie intérieure. Certains peuvent voir ça comme de l'égoïsme mais c'est l'inverse : quand tu sais rassembler ton énergie, ton coeur parvient à demeurer ouvert pour les autres, et te permet d'irradier de manière positive. C'est important de savoir préserver l'énergie originelle de notre enfant intérieur. Je n'ai pas appris ce qu'était l'amour auprès de ma mère et de mon père, alors je suis allé le chercher ailleurs. J'aimais attirer l'attention de mon coach. Au final, le rugby m'a appris à tenir debout seul, à m'ancrer et à ressentir l'amour en moi. Mais aussi à avoir de l'amour pour les autres, sans pour autant me perdre en eux.
« Lors de la saison 2018-2019, j'avais le sentiment que tout se passait bien pour moi. Potentiellement, je pouvais jouer pour l'Angleterre en Coupe du monde. Sauf que je n'intéressais toujours pas le sélectionneur Eddie Jones »
Quand avez-vous eu ce que les Japonais appellent le « satori » (l'illumination) et réalisé que vous n'aviez plus besoin d'être « le meilleur » pour valider votre existence ?
(Il marque une pause, réfléchit.) Ce qui me vient à l'esprit, c'est la saison 2018-2019 avec la Coupe du monde au Japon en point de mire. La tournée en Afrique du Sud s'était bien passée, on avait remporté le dernier test-match (victoire de l'Angleterre 25-10 le 23 juin 2018, Cipriani était titulaire à l'ouverture). J'avais le sentiment que tout se passait bien pour moi. Potentiellement, je pouvais jouer pour l'Angleterre en Coupe du monde. C'était la motivation qui m'animait.

Après deux saisons aux Wasps, j'ai signé à Gloucester et là j'ai fait tout mon possible pour cette équipe. Je faisais le max pour motiver tout le monde, je posais les plots à l'entraînement, je partageais mon énergie avec tous, je donnais tout de moi pour valoriser nos avants.
À la fin de la saison, j'ai été élu joueur de l'année par un panel de joueurs et de journalistes. Ça devait signifier quelque chose, j'imagine... Sauf que je n'intéressais toujours pas le sélectionneur Eddie Jones. À ce moment-là, sans vraiment m'en rendre compte, j'avais épuisé toutes les voies possibles pour atteindre ce que je croyais être mon but ultime dans la vie. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Mais, comme toujours, on continue d'avancer.
Et ?
Quelque chose est arrivé à quelqu'un que je connaissais très bien (son ancienne compagne Caroline Flack s'est donné la mort le 15 février 2020) et quelque chose en moi s'est brisé. À partir de ce jour, je n'ai plus jamais voulu faire semblant. Ma vie a changé radicalement. Comme si un barrage avait cédé. Pendant trois semaines, je n'ai pas pu manger, je pleurais chaque jour. Ça a été un des moments les plus douloureux de ma vie, mais aussi un cadeau.
Oui, Caroline m'a offert ça : parvenir à accueillir mes émotions plutôt que de les refouler. Réussir à me connecter à moi-même. Longtemps, j'accomplissais des choses en pensant que c'était ce que je devais faire, alors qu'en réalité, ce n'étaient que des schémas inconscients qui se répétaient. Il nous faut, par nous-mêmes, prendre la responsabilité de qui nous sommes au plus profond de nous. Pour arriver à ce point, il m'a fallu affronter beaucoup d'émotions sombres.
« La vie nous envoie des leçons sous forme de souffrances et d'expériences douloureuses, jusqu'à ce qu'on comprenne et maîtrise sa propre énergie »
J'ai toujours eu le coeur ouvert, abordant chaque situation comme un enfant, avec espoir, qu'il s'agisse d'un entraîneur, d'une compagne ou de situations données. Mais, vu que je ne me connaissais pas assez moi-même, je tombais souvent dans les mêmes pièges. J'avais ignoré tant de choses de moi-même au cours de mon existence. Au rugby, je me faisais détruire physiquement à chaque match, j'ai ingurgité un tas d'antidouleurs.
Ce n'était pas une erreur, juste un apprentissage. La vie nous envoie des leçons sous forme de souffrances et d'expériences douloureuses, jusqu'à ce qu'on comprenne et maîtrise sa propre énergie. Pour ça, plutôt que mes réflexions, j'ai décidé de faire confiance à mes intuitions. En mettant fin à ma carrière, j'ai décidé de voyager.
Qu'avez-vous découvert de vous-même dans cette exploration ? Je suis allé en Inde pendant cinq semaines en 2023. Ce fut l'une des plus belles années de ma vie. Rencontrer des gens qui percevaient vraiment qui j'étais m'a fait du bien et m'a changé. Quand j'étais jeune, le rugby était le seul endroit où on me parlait avec amour à cause de ma façon de jouer.
Le jour où les médias se sont retournés contre moi, j'ai eu l'impression d'être attaqué personnellement, crucifié. Quand je marchais dans la rue et que les gens me regardaient, mon esprit me disait qu'ils pensaient du mal de moi. Partout où j'allais, j'avais ce sentiment.

Aujourd'hui, je vois les choses avec plus de recul. J'ai découvert cette notion de « moi séparé », cette identité que nous construisons avec notre ego. Quand nous naissons, nous sommes complets. En grandissant, nous développons une idée de nous-même qui n'est pas réelle mais façonnée pour répondre aux attentes des autres et de la société.
On se dit : « J'ai besoin de plus d'argent, j'ai besoin de ceci, j'ai besoin de cela... » En réalité, ces pensées viennent d'un sentiment inconscient de vulnérabilité et de manque. Ce n'est que quand on a vécu assez d'épreuves qu'on comprend qu'il y a un autre chemin.
« J'ai compris que le but de mon existence n'était pas d'être un joueur de rugby »
Les grands maîtres spirituels, qu'ils s'agissent de gourous indiens ou de Jésus, parlent tous de cette plénitude intérieure, de cette liberté qu'on découvre une fois qu'on se déleste de ses peurs. Début janvier, j'ai effectué une nouvelle retraite spirituelle en Inde. Je n'avais jamais abordé la vie ainsi. Je me sens comme un enfant avec toute l'expérience d'un adulte.
Le monde a changé pour moi. Les gens que je rencontre, les interactions que j'ai... Tout est plus beau, plus authentique. Mon chemin a été long mais aujourd'hui, je sens que ma vie s'épanouit. J'ai compris que le but de mon existence n'était pas d'être un joueur de rugby. Ce sport a juste été un véhicule pour me comprendre et vivre pleinement qui je suis.
Aujourd'hui, quel est votre véhicule pour vous comprendre, la méditation ? Juste la vie. J'aime toujours m'entraîner mais pour moi, à ma manière, sans consignes, au poids du corps. Je continue de découvrir mon corps d'une nouvelle manière. J'ai 37 ans, mes articulations vont bien, parce que je m'entraîne pour moi désormais. Je suis le seul à vraiment connaître mon corps et je suis à son écoute. Ces dix prochaines années vont être incroyables. »