On regarde ses mains, qui seraient donc baladeuses, qui l'amènent au tribunal correctionnel. Des mains qu'il triture, qui brillent d'une alliance argentée depuis son mariage en juin avec Mélissa. On regarde ses pieds, une tennis siglée Givenchy à gauche, une semelle orthopédique à droite, depuis qu'il a été amputé de deux orteils, le deuxième et le quatrième.
On détaillera plus de cinq heures, de haut en bas, Pierre Ménès, 59 ans, inapte à tenir la barre devant la 24e chambre du tribunal de Paris, assis sur une chaise, presque avachi, tout en noir, béquilles posées, engoncé dans un loden, casier vierge. Le 19 avril, le tribunal décrétera s'il adhère aux réquisitions de Laurine Fusier, la procureure, qui a demandé huit mois ferme et 10 000 euros d'amende pour agressions sexuelles.
On l'écoute, aussi, car il a toujours jonglé avec les mots quitte à embarrasser. « Aujourd'hui, soupire-t-il, tout geste avec une femme est inapproprié. » Sofietou G. et Aissatou T. dans l'effervescence d'un store Nike des Champs-Elysées (en 2018), Sara L. dans la ferveur d'un PSG-Nantes au Parc des Princes (en 2021), n'ont pas eu le sentiment d'avoir été des femmes respectées. « On n'est pas sous le sceau d'une nouvelle censure, affinera la jeune procureure, on est là pour clarifier ce qui relève des rapports sociaux admissibles et du droit pénal. »
Une fois par mois, Pierre Ménès, se fournissait en Nike, gratuitement, « avec des vouchers », offrandes du dircom. Sofietou, la vingtaine, vendeuse, narrera ceci aux enquêteurs : « je suis allée à sa rencontre, je lui ai demandé s'il voulait essayer une paire. Il m'a répondu de manière hautaine qu'il en avait dix-huit chez lui, qu'il venait ici pour la beauté des vendeuses. »
Il lui aurait ensuite pris la main, touché le corps. Pour sa part, Aissatou, caissière, postée ailleurs, relatera ceci : « il est arrivé de dos, il m'a pris les mains, doigts entrelacés, il a collé sa poitrine à la mienne. Il a fait semblant de faire le tour de ma poitrine en disant ''ah c'est énorme''. Puis il est passé en frottant son sexe contre mes fesses, en me disant ''ça doit prendre de la place au lit''. »
Le prévenu s'est justifié : « C'est paradoxal d'être considéré comme arrogant et déplacé et de passer une main dans le dos ce qui peut être considéré comme un geste amical. Quant à Madame T. (Aissatou, ndlr) qui est de stature athlétique, pour rigoler, j'ai fait avec elle un « check » à la façon des basketteurs. Mais compte tenu de ma détente verticale légendaire je n'ai pas dû aller bien haut (...) Je suis familier, tactile non. »
Une ou deux fois par mois, Pierre Ménès, chroniqueur foot en vue, même débarqué par Canal, se montre au Parc. Cette fois c'était loge 208. Cette fois c'est Sara L., hôtesse, qui témoigne : « J'ai senti qu'un monsieur me touchait du haut en bas, de ma poitrine à mes fesses, un geste délicat, rapide, précis. Je n'ai aucun doute que ce soit lui.»
« J'avais réussi à rebondir, (...) il fallait me donner le coup de grâce »
Pierre Ménès, au tribunal ce mercredi
Le prévenu, à nouveau, s'est expliqué : « Un lundi, mon avocat Arash Derambarsh, m'a appelé en me disant ''qu'est-ce que tu as encore fait au Parc?''. Je suis tombé des nues. Le cerveau humain est curieux. Il cherche. Je me suis dis qu'avec les histoires que j'avais... (à Canal ndlr ). J'ai tout de suite pensé à un coup monté. »
Les trois plaignantes ne se sont pas déplacées au tribunal. L'une, autrefois battue par son conjoint, aspire à la tranquillité judiciaire. Une autre, s'estime trop friable face à un homme d'une telle surface médiatique.
« Elles ne voulaient pas être confrontées à leur mensonge, rétorque Pierre Ménès, après ce que j'avais vécu à Canal (départ contraint et négocié après onze ans de Canal Football Club, ndlr) j'avais réussi à rebondir. J'animais une plate-forme pour Reworld. Il fallait me donner le coup de grâce (...) On a pu leur suggérer. Ce serait bien que tu lui mettes un petit coup derrière la tête. »
« Ce n'est pas un pervers, les faits sont plutôt banals, mais il s'agit bien de contacts physiques sexualisés sans consentement »
La procureure Laurine Fusier
La procureure s'étonnera qu'aucune des trois ne se soit alors portée partie-civile pour monnayer un éventuel coup monté. Le président du tribunal, Eric Vivian, minutieux, jamais vindicatif, a cherché, à percer la façade de Pierre Ménès qui concédera à se définir comme « cash et direct, ne faisant pas de différence entre les hommes et les femmes. » Alors son assesseur, a suggéré, que peut-être, il n'avait su se mettre en adéquation avec les époques. Sur sa chaise, il a soupiré : « mon geste chez Nike, il y a cinq ans n'aurait été vu que comme de l'humour et de la convivialité. Ça a changé, je le regrette. » Lui peut-être ne changera jamais.
Très remonté, manche haute, Me Arash Derambarsh a fustigé le manque de preuves formelles et de témoins, « un parole contre parole ». Seule une vidéo, muette, atteste, des contacts physiques avec Aissatou T.
« Le réquisitoire repose sur des sables mouvants. On veut faire croire que Pierre Ménès est la figure de proue des mouvements « Me too », ou de « Balance ton porc ». Les deux-tiers des plaintes des femmes réellement agressées n'aboutissent pas. Les vrais agresseurs sont ailleurs, condamnons-les. On nous fait le coup du mâle alpha qui débarque chez Nike. C'est du militantisme, pas de la justice. Un procès n'a pas à être plus ou moins exemplaire selon que le prévenu s'appelle Pierre Dupont, Pierre Palmade ou Pierre Ménès. »
« Ce n'est pas un pervers, ajustera la procureure, les faits sont plutôt banals, mais il s'agit bien de contacts physiques sexualisés sans consentement. »
« La victime c'est lui »
Me Derambarsh, l'avocat de Pierre Ménès
Il n'est pas bien avéré qu'on ait fait vraiment mieux connaissance avec Pierre Ménès, même si l'audience s'est étirée sur cinq heures, ce qui est exceptionnel pour de tels faits. « Pierrot » est resté drapé dans son loden sombre, peu porté sur l'introspection, cloîtré dans ses certitudes, prenant des risques avec ses mots.
« De toute façon la victime c'est lui, entonnera son avocat, il a été victime d'une calomnie, il doit être relaxé. » Et de dépeindre un homme qui n'en serait presque plus un, qui a tout perdu, énumérant « réputation, argent, travail, amis, santé et mère. »
Pierre Ménès s'est présenté comme étant au chômage et en pension invalidité (il est greffé du foie et d'un rein). La procureure lui a fait préciser le montant : « 6500 euros par mois ». Sans compter les 400 000 euros de sa rupture négociée avec Canal+. Il vient de vendre sa maison de belle banlieue pour s'installer vers la Baule avec son amoureuse qui lui caressait le dos aux pauses.
« Je n'ai plus rien à faire ici (à Paris).» Le prévenu n'aura eu aucun mot de compassion ou de compréhension pour Sofietou, Aissatou et Sara. Il devrait revenir à Paris le 19 avril pour le délibéré.