Il n'a plus pour loisir qu'un téléviseur et une cour de promenade. « Quatre murs et un grillage au plafond », selon ses mots, d'où il ne peut distinguer le soleil ; « des trous microscopiques » pour, quelques heures par semaine, « essayer de voir le ciel », explique au juge un de ses avocats, qui n'a pas souhaité que son nom apparaisse dans la presse. À 28 ans, Loïk Le Priol, à l'isolement en prison depuis un an, n'a plus d'avenir et aucun horizon. Mis en examen pour l'assassinat de l'ancien rugbyman Federico Martin Aramburu, en plein Paris, le 19 mars 2022, il encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Selon nos informations, après un an d'investigations, il va tenter d'obtenir la requalification des faits en meurtre sans préméditation, un crime puni de trente ans de prison.
À en croire le raisonnement exposé par son équipe de défense, mercredi devant le juge des libertés et de la détention (JLD) - audience à laquelle L'Équipe a pu assister -, Le Priol devrait même aller encore plus loin à l'avenir et nier toute intention d'homicide. Vidéosurveillance à l'appui, il soutient ne pas avoir été à l'origine de la deuxième rixe, au petit matin du 19 mars 2022. Celle-ci s'était déroulée sur le trottoir du boulevard Saint-Germain, après une première bagarre à la terrasse du bar Le Mabillon. C'est à la suite de ce second affrontement entre Le Priol et Martin Aramburu que l'Argentin décédera.
« Pour eux (Aramburu et Hegarty), l'alignement des astres était parfait. Tout allait bien dans leur vie, leur business et leur groupe de potes. Et ils vont croiser la lune noire... »
Me Yann Le Bras, avocat de la famille d'Aramburu
Ce jour de mars 2022, Aramburu et son ami et ancien rugbyman Shaun Hegarty, arrosent un juteux contrat qu'ils ont réussi à signer via leur agence d'événementiel et fêtent l'anniversaire d'un copain jusque tard dans la nuit. Les deux comparses plaisantent et se disent qu'ils ne seront pas très frais pour ce qui les attend le soir même : un France-Angleterre au Stade de France, en Tournoi des Six Nations, auquel ils comptent assister avec quelques clients de leur entreprise. Vers 6 heures du matin, ils s'attablent au Mabillon pour manger un burger. « Pour eux, l'alignement des astres était parfait. Tout allait bien dans leur vie, leur business et leur groupe de potes. Et ils vont croiser la lune noire... », résume l'avocat de la famille d'Aramburu, Me Yann Le Bras.
À la table d'à côté, Romain Bouvier, 31 ans, Le Priol et sa petite amie, Lyson, 24 ans. Les deux premiers sont connus de la justice et du public pour leur violence et leur engagement à l'ultradroite, notamment au GUD (Groupe union défense, une organisation étudiante d'extrême droite réputée pour ses actions violentes). La tension monte d'un cran lorsqu'un client du bar, fatigué et fatigant, demande une cigarette et se fait rabrouer par Le Priol et ses amis. Aramburu et Hegarty interviennent.
Les esprits s'échauffent. Dans l'entourage des victimes, on explique que les « gudards » se sont immédiatement énervés, demandant aux rugbymen qui ils étaient et d'où ils venaient pour oser leur parler comme ça. « Moi, je suis d'ici », aurait affirmé Bouvier. Avant que Le Priol ne se lève et ne vienne se coller quasiment front à front à Hegarty, lui décochant quelques petites claques sur la joue. Hegarty, voyant que la situation va dégénérer, part alors fumer une cigarette un peu plus loin. Aramburu se lève à son tour, attrape Le Priol par la capuche, le renverse de sa chaise. Les coups pleuvent jusqu'à ce que le videur et des salariés du bar interviennent.
Les deux rugbymen quittent l'établissement en marchant pendant que Bouvier et Le Priol sont collés au mur. Les deux s'énervent, ordonnent aux videurs de les relâcher, exhibent un brassard et revendiquent leur appartenance à la police - ce qui est faux, contrairement à un copain qui était en leur compagnie quelques heures plus tôt. Le Priol s'extirpe et part en courant à la recherche des deux joueurs, avec l'envie certaine d'en « découdre », comme il le dira lui-même en garde à vue. Il veut poursuivre la bagarre. Bouvier parvient à son tour à quitter les lieux et saute dans une Jeep conduite par Lyson.
À partir de là, les versions divergent. « Fédé et Shaun se retrouvent face à deux hommes qui ont le comportement de suprémacistes blancs et qui vont mener une chasse à l'homme dans les rues de Paris à bord d'une Jeep. Mais c'est quoi ça ? Un safari ? Un binôme d'assassins déterminés, en tout cas », lâche Me Le Bras.
Bouvier et Lyson ont une autre version et affirment être partis en voiture, non pas à la recherche des deux rugbymen, mais dans le seul but de récupérer Le Priol parti en courant à la poursuite des sportifs. Le Priol, qui, sans le savoir, est en réalité passé juste à côté des anciens joueurs, lesquels avaient fait halte dans un hôtel. Selon le récit fait aux policiers par Shaun Hegarty, Aramburu et lui ont en effet quitté le Mabillon en marchant, plaisantant sur les coups qu'ils venaient d'échanger, des bêtises de jeunesse qui n'étaient plus de leur âge (42 ans pour Aramburu, 38 pour Hegarty). Amochés, les deux hommes ont ensuite pénétré dans l'hôtel Welcome et demandé au concierge, un peu effrayé par leur état et leur gabarit, quelques glaçons pour soulager leurs hématomes.
Ils seraient repartis en laissant un pourboire. C'est en sortant de l'hôtel qu'ils tombent sur Romain Bouvier, qui pointe son arme sur Aramburu et tire quatre balles, dont deux le touchent, avant de s'enfuir. Les tirs résonnent dans le quartier ; on les entendra sur les dispositifs de vidéosurveillance du Mabillon qui, curieusement, enregistre également le son... Vingt-cinq ou trente secondes plus tard, Loïk Le Priol, qui a lui aussi entendu les coups de feu, parvient sur les lieux.
« Loïk Le Priol a été victime à deux reprises d'une agression extrêmement violente, par deux personnes, à la fois dans le Mabillon et sur le boulevard. Ce n'est pas une vue de l'esprit de la défense. C'est une vue des caméras de vidéosurveillance »
Me Xavier Nogueras, avocat de Le Priol
Hegarty et Aramburu, déjà grièvement blessé, sont les premiers à l'apercevoir et lui sautent dessus, utilisant notamment leur sac de glaçons pour le frapper à la tête. Ce qui permet aujourd'hui de dire à Le Priol qu'il n'est pas à l'initiative des premiers coups portés et qu'il n'entendait absolument pas sortir son arme pour leur tirer dessus. En clair : qu'il n'avait aucune intention de les tuer. Devant le juge des libertés et de la détention (JLD), Me Xavier Nogueras, l'avocat de Le Priol a ainsi osé : « Grâce aux nombreuses vidéosurveillances, le dossier a largement évolué sur le fond. Des expertises sont en cours pour améliorer la qualité des vidéos. Mais nous pouvons affirmer, sur la base d'éléments objectifs, qu'il ne s'agit nullement d'un assassinat, c'est-à-dire d'un homicide avec préméditation. Loïk Le Priol a été victime à deux reprises d'une agression extrêmement violente, par deux personnes, à la fois dans le Mabillon et sur le Boulevard. Ce n'est pas une vue de l'esprit de la défense. C'est une vue des caméras de vidéosurveillance. » Une reconstitution des faits doit avoir lieu en septembre.
Federico Martin Aramburu et Shaun Hegarty avaient-ils en réalité d'autre choix que d'employer sans sommation la force contre Le Priol, alors même qu'Aramburu venait d'être touché par plusieurs coups de feu tirés par Romain Bouvier ? De fait, dans la mêlée, Le Priol sort son pistolet et tire six fois en quatre secondes. Quatre balles toucheront Aramburu et lui seront fatales. « La bagarre dans le bar est d'une banalité affligeante. Des types un peu éméchés qui se battent. Mais il n'y a pas d'humiliation, rien qui explique la rage, le déferlement de haine qui va suivre, qui permette de comprendre cette colère. Car, derrière, ce n'est pas un banal fait divers. C'est très rare d'avoir un binôme de tireurs qui fait feu à dix reprises, en pleine rue, dans Paris », remarque Me Le Bras.
Les trois suspects prennent immédiatement la fuite. Lyson est interpellée à Paris, Le Priol dans la nuit du mardi au mercredi 23 mars, à la frontière hongroise, tandis qu'il comptait partir combattre dans l'Est. « Lorsqu'il a compris qu'il avait donné la mort à un homme, son premier réflexe, un réflexe de militaire, a été de donner la sienne en Ukraine, a affirmé Xavier Nogueras au juge. Il y a une dimension sacrificielle à cette démarche vers l'Ukraine. Il est interpellé alors qu'il attendait de connaître le destin judiciaire de Lyson, pour savoir s'il allait passer la frontière ou pas. Il a fini par remettre ses propres papiers d'identité au garde-frontière lorsqu'il a su que Lyson était incarcérée. Il a toujours assumé ses responsabilités. »
Bouvier, enfin, est arrêté le lendemain, dans la Sarthe. Le militant a réussi une cavale de plusieurs jours grâce à la complicité active d'un troisième homme, qui l'avait déposé peu de temps après les faits devant l'abbaye de Saint-Pierre-de-Solesmes (Sarthe). Un refuge pour un fugitif, à l'instar des pistes qui avaient été examinées pour retrouver Dupont de Ligonnès ? Pas du tout, jure aujourd'hui le complice, qui assure avoir déposé son ami devant l'édifice religieux dans un but de rédemption chrétienne et en aucun cas comme un moyen d'entretenir sa cavale. Les enquêteurs continuent leurs investigations sur ce point.
C'est en tout cas sur les indications précises de ce troisième homme que l'arme de Bouvier avait été récupérée dans la Seine par la brigade fluviale, grâce à des détecteurs de métaux et un quadrillage efficace de la zone. En garde à vue, Romain Bouvier expliquera quant à lui avoir été persuadé, jusqu'à son interpellation, que ce sont les balles qu'il avait tirées qui avaient causé la mort de Federico Aramburu, et non celles de Loïk Le Priol.
Plusieurs commissions rogatoires sont aujourd'hui en cours et portent notamment sur une expertise technique des téléphones et supports informatiques des suspects et une amélioration des images de vidéosurveillance, particulièrement floues. On cherche aussi à retracer l'itinéraire exact de la fuite des deux hommes et à identifier d'autres personnes qui pourraient potentiellement les avoir aidés.
Selon nos informations, le célèbre psychiatre Daniel Zagury a été mandaté pour réaliser l'expertise psy de Loïk Le Priol, qui revendique des troubles psychiques et des traumatismes liés à son passé militaire - les juges ont récemment reconnu une altération de son discernement dans une affaire de violences entre gudards et en ont tenu compte dans leur décision (deux ans de prison ferme et deux ans avec sursis, prononcés en juin 2022 à son encontre). « Il a un trouble psychiatrique reconnu médicalement. C'est un blessé de guerre », assure une de ses avocates, tandis que, dans le camp d'en face, on pointe un stratagème qui viserait à le faire échapper à ses responsabilités.
Mercredi, la détention provisoire de Loïk Le Priol, gilet blanc et col roulé noir, debout dans le box, les mains croisées devant lui, a été prolongée de six mois. Devant le juge, il avait tenu à avoir « un mot pour la famille en cette triste date d'anniversaire ». Avant, aussitôt, de s'appesantir sur son sort personnel et de dénoncer ses conditions carcérales, lui qui est à l'isolement le plus complet depuis un an. « Toute ma vie, j'ai essayé, d'être costaud, d'être dur, de résister, notamment dans le cadre de l'armée. Je pensais que l'isolement allait être simple, a-t-il dit. Tout ce qui fait tenir un homme en détention m'est interdit. À la télévision, je vois que des chiens, à la SPA, ont une plus grande cellule que moi. [...] Mes voisins sont tous des terroristes, des djihadistes. Je suis au milieu, et je me demande vraiment ce que je fais là. J'ai tout donné pour mon pays. Aujourd'hui, on m'enferme à côté de gens que j'ai combattus. »