Cela faisait un petit moment déjà que Georges Bereta ne se rendait plus au bar « Le Centre ». Il aimait venir y boire le café le matin, et plus, si affinités, avec les autres habitants de l'Etrat, son village de deux mille cinq cents âmes situé en bordure de Saint-Étienne. Le solitaire Robert Herbin, son ancien équipier et entraîneur chez les Verts, le rejoignait parfois. Bereta en profitait alors pour filer acheter des cigarillos au tabac-presse d'en face. Ils s'en grillaient un ensemble. Comme au bon vieux temps. Puis, il s'en retournait dans son appartement niché à quelques centaines de mètres du centre d'entraînement et de vie de l'AS Saint-Étienne, son amour de toujours.
Il avait été contraint de le quitter une seule fois, le 6 janvier 1975. Six mois plus tôt, victorieux en finale de Monaco (2-1), il brandissait pourtant la Coupe de France dans le ciel de Paris, le brassard de capitaine serré autour de son bras gauche. « Georges était alors indétrônable, se souvient Christian Sarramagna, appelé à lui succéder au poste d'ailier gauche. Au-delà du joueur, musculeux, puissant, gaucher du pied et droitier de la main, comme le sont les plus forts, il était l'âme de l'équipe et du club. »
« Je n'étais pas fait pour vivre dans le Midi, moi, le cinquième d'une famille d'immigrés polonais de sept enfants »
Mais une star presque trentenaire, arrivant en fin de contrat, que le président Roger Rocher décida de vendre à l'OM, contre son gré et celui de Roger Loeuillet, le président de Nice, qui affirmait posséder une option d'achat pour la saison suivante. « L'affaire Bereta » éclata. Élu joueur français de l'année 1973 et 1974 par France Football, il se retrouva en direct dans le journal de 20 heures. Puis finalement à Marseille, en devenant le premier footballeur transféré lors d'un mercato d'hiver (pour 500 000 francs), où il ne s'imposa pas, malgré sa quatrième Coupe de France, en 1976.
« Je n'étais pas fait pour vivre dans le Midi, moi, le cinquième d'une famille d'immigrés polonais de sept enfants (cinq filles) partie de Cracovie en laissant les skis sur le quai de la gare car ils ne rentraient pas dans le train, d'où mon nom Bereta, et non Beretowski », plaisantait-il, par pudeur. Pour mieux cacher ses souffrances. Il n'a jamais pardonné au président Rocher ses trois années et demie de déprime marseillaise. Elles furent parsemées de crises de spasmophilie (maladie liée à l'anxiété) et de nuits passées avec un protège-dents de rugbyman pour arrêter de saigner de la bouche à force de grincer des dents.
Car Saint-Étienne était son chez lui. Là où ce fils d'un pontonnier est né, à Montreynaud, un quartier ouvrier juché sur les hauteurs du Chaudron, d'où sortiront Jérémie Janot et Faouzi Ghoulam après lui. Là, où il était revenu aussitôt vivre, repoussant l'offre d'Aimé Jacquet, son ancien équipier devenu entraîneur, d'aller jouer une dernière année sous sa direction à Lyon. Il avait préféré se reconvertir comme commercial chez Adidas, tout en entraînant des clubs amateurs. Là, enfin, où l'épopée des Verts de 76 s'est écrite sans lui. « On ne va pas réécrire l'histoire, évacuait-il. On a déjà les poteaux carrés. Ça suffit. »
Il se consolait en recevant les marques de respect de ses héritiers. Les Verts de 76 le considéraient comme l'un des leurs. Ils le conviaient souvent à leurs manifestations. Cela suffisait à son bonheur. Stéphanois de coeur, Polonais dans l'âme, « Berete » y allait de ses petites blagues et de ses grands souvenirs.
Ce jovial conteur racontait ce soir glacial de 1967 où il avait sauvé Salif Keita de la noyade dans le barrage de Saint-Genest-Malifaux, ses débuts en équipe de France aux côtés de Jean Djorkaeff et d'Henri Michel devant le Luxembourg (3-1, le 23 décembre 1967), son plus grand match face au Sporting Portugal (2-0, le 18 septembre 1974, en 16e de finale aller de la C1), comme de l'exploit renversant face au Hajduk Split (0-4, 5-1 a.p., le 6 novembre 1974, en 8e de finale de la C1). Vert le plus capé en Bleus (41 de ses 44 sélections sous le maillot stéphanois, douze fois capitaine), il avait aussi obtenu la reconnaissance de l'ASSE le 28 juin 2013, en devenant l'un de ses treize ambassadeurs à vie.
Mais son amour pour le football s'était soudain brisé lors de son agression au volant d'une voiture du club, au sortir du dernier derby disputé à Gerland (0-3, le 8 novembre 2015). « Cette histoire m'a enlevé ma passion et détraqué », confiait Bereta. Victime d'un AVC un an après, meurtri par le décès de Pamela, son amie d'enfance devenue l'épouse de Jacques Santini, « Berete » s'en est allé à son tour.