Un accueil en grande pompe devant 12 000 personnes au stade de la Vallée du Cher, début septembre. Un départ en catimini, ce jeudi, sous les yeux de quelques curieux venus voir passer le car bleu frappé du drapeau de l'Irlande une dernière fois avant que l'équipe ne grimpe dans le TGV. Direction la région parisienne et un match décisif face à l'Écosse, demain. Entretemps ? Une vie retranchée derrière les 850 mètres de brise vue qui entourent le centre d'entraînement du quinze du Trèfle.
Lorsqu'on aspire à remporter son premier titre mondial, on ne badine pas avec les détails. C'est d'ailleurs l'un d'eux qui aurait pu changer le cours de l'histoire : un petit immeuble de trois étages, de l'autre côté de la route, qui aurait pu faire capoter un deal. Une vue trop dégagée sur l'aire de jeu avait fait tiquer les membres de la délégation irlandaise chargés de valider le dossier de candidature de leur futur camp de base, début 2022.
D'espions, il n'y a pas eu. Sur les bords de Loire, les Irlandais, façon « pour vivre heureux, vivons cachés », ont pu cultiver leur culte du secret. Séances « ouvertes » chronométrées, conférences de presse ciselées. Et quelques apparitions publiques, officiellement, à l'hôpital des enfants ou avec des écoliers d'un quartier populaire de la ville. Joueurs et staffs avaient aussi le loisir de s'offrir quelques sorties « incognito », avec des « cafés sympas et des bons restaurants juste à côté », pour le plus grand bonheur du pilier Tadhg Furlong, ravi que « tout ait été fait pour les joueurs ». Toujours, toutefois, sous la surveillance de forces de l'ordre, 6 membres du RAID étant présents en permanence avec l'équipe. Mais pour l'essentiel, la vie en communauté, loin des regards.
Au centre d'entraînement, à quelques minutes de car de l'hôtel privatisé depuis l'arrivée de la délégation et autour duquel le stationnement a été interdit pendant plusieurs semaines pour des raisons de sécurité, c'est tout un train-train quotidien qui s'est articulé. Avec pour seule priorité, la tranquillité des numéros 1 mondiaux. Objectif Écosse.
Un rendez-vous sur lequel les coéquipiers de Bundee Aki - deuxième meilleur marqueur d'essais de la compétition (4) qui met, dans un sourire, ses bonnes prestations sur le compte de « la nourriture » - sont focalisés depuis leur victoire face à l'Afrique du Sud (13-8, le 23 septembre). Parce que « ce qui doit arriver arrivera », philosophait Furlong mercredi matin. Pas question, dès lors, de changer les habitudes.
Trois jours d'entraînement hebdomadaires - léger le lundi, plus intenses le mardi et mercredi -, sur un gazon tondu à 30 millimètres trois fois par semaine. Quand les membres du staff s'écharpent pendant des parties de hurling, sport gaélique qui se pratique avec des crosses ramenées du pays, les joueurs privilégient le tennis ballon et font valdinguer d'immenses balles de yoga violettes.
Au diable l'harmonie des teintes : sur le terrain, à l'exception de deux petites banderoles, rien ne laisse imaginer que l'une des meilleures nations au monde a posé ses bagages. Là, chaque jeudi matin depuis plus d'un mois, avant d'embarquer dans le train pour Bordeaux, Nantes ou Paris, Jonathan Sexton a pris ses habitudes, accompagné de Ross Byrne et Jack Crowley, les autres demis d'ouverture. Des séances bonus, face aux perches, loin de l'agitation des premiers jours de la semaine, où environ 70 personnes fourmillent les jours d'entraînement.
Il faut s'approcher des locaux pour sentir un peu l'air irish. Dès le hall d'entrée, une machine à café ramenée du pays et autour de laquelle se retrouvent régulièrement Aki, Sexton et Jamison Gibson-Park, notamment, marque la première touche de vert. Le thé, lui, est réservé aux dames. Quelques maillots à dédicacer ici et là renvoient aux occupants des lieux, même en leur absence. Comme les paires de chaussures laissées au vestiaire ou les dizaines de rubans de strap qui attendent sur une petite table, à la porte de la salle de soins.
Des petites bandes qui contrastent avec les grosses machines - près de 100 000 € de matériel - installées dans la salle de musculation flambant neuve. Là, où la musique - parfois anachronique, à l'image d'un remix assez prisé des Choristes - résonne fort dans les enceintes lorsque les uns et les autres s'évertuent à réaliser le programme individuel qui leur est indiqué au tableau blanc. Une routine réglée comme une horloge au coeur d'une bulle. En attendant l'heure du verdict du terrain.