À l'évocation de la victoire, sur le circuit mondial, à Los Angeles, des Bleus du rugby à 7 rejoints par Antoine Dupont en cette année olympique, le débit de paroles de Thierry Janeczek ralentit et ses yeux bleus s'humidifient. Pudique, il évoque un problème de respiration. Il n'en est rien. Le mentor de ce sport en France, pour nombre de gens du milieu, peine à dissimuler son émotion. « Derrière sa carapace de grand gaillard, il fait preuve d'une grande sensibilité », avait prévenu Vincent Deniau, ancien international à 7 (2001-2008).
Thierry Janeczek n'a rien manqué du second sacre français. « Pour me réveiller (la finale a eu lieu à 3 h 30, heure française), je n'ai même pas eu besoin de mettre un réveil. Quinze minutes avant, j'étais prêt. Je croyais en ce dénouement. Retrouver le sommeil après a été difficile », avoue-t-il. Ses émotions et souvenirs de 2005 n'ont pas manqué de refaire surface. Il était alors à la place de Jérôme Daret, l'actuel sélectionneur national, et remportait, avec des joueurs non professionnels, au Tournoi de Paris, la première finale de l'histoire du rugby à 7 tricolore. Depuis, après avoir pris en main et à temps plein en 1999 le développement de la discipline à la Fédération française de rugby (FFR), il attendait impatiemment une nouvelle consécration.
Ex-troisième-ligne et sélectionneur.
1986 : il dispute son premier tournoi international à 7 à Hongkong, avec les Barbarians français.
1999 : professeur d'EPS, il devient entraîneur à temps plein de la sélection française.
2010 : il quitte l'équipe de France mais s'occupe du développement des nouvelles pratiques du rugby, dont le 7.
« Il croyait à mort au potentiel du 7, se souvient Didier Faugeron (61 ans), coordinateur sportif au CA Brive et l'un de ses anciens partenaires de jeu. Il a eu la chance de tomber sur des gens qui s'y intéressaient aussi, comme Bernard Lapasset. » L'ancien président de la FFR (1991-2008), décédé en 2023, avait en effet proposé au professeur d'EPS - il est encore aujourd'hui détaché de l'Éducation nationale - de devenir entraîneur national, de structurer la discipline en mettant en place un Championnat et de créer une culture du rugby à 7 qui faisait défaut en France, contrairement aux pays anglo-saxons.
« C'est l'ambassadeur du 7 français, il connaît tout le monde à l'échelle internationale et tout le monde le connaît. On ne peut pas faire sans lui »
Jérôme Daret, entraîneur de l'équipe de France de rugby à 7
S'il a pris officiellement ses distances avec la sélection en 2010 - « J'avais fait mon temps » -, le Pyrénéen (64 ans), qui vit aujourd'hui entre Boulogne-Billancourt et Arcachon, reste très impliqué dans sa discipline de coeur, notamment auprès de l'équipe de France développement. Mais aussi auprès de Jérôme Daret. « Nous sommes tout le temps en contact, il n'y a pas une semaine où je ne l'appelle pas, confie ce dernier, lancé dans le grand bain international en 2000 par Janeczek. Thierry est important pour nous, il soutient le projet à 200 %. C'est l'ambassadeur du 7 français, il connaît tout le monde à l'échelle internationale et tout le monde le connaît. On ne peut pas faire sans lui. »
L'inverse est aussi vrai. Thierry Janeczek ne peut pas, et ne veut pas, faire sans le rugby à 7. Depuis qu'il y a goûté en 1986, cette pratique lui colle à la peau. Troisième-ligne de Tarbes (1980-1993), il venait de perdre, à XV, en quarts de finale du Championnat de France, quand il a appris sa sélection à 7 pour un tournoi à Hongkong.
« Je venais de me faire recoudre la lèvre (24 points de suture), donc je ne pouvais pas répondre au téléphone. Mais ma mère a pris l'appel et dit que je serais présent. C'était le seul tournoi référencé. Débuter par Hongkong ne peut que vous faire accrocher. Dans un stade, il y a 40 000 spectateurs déguisés. C'est un véritable carnaval et l'ambiance est la même en ville. C'est comme la potion magique, quand on y a goûté une fois, on est accro », rembobine « le Zèbre », son surnom donné à l'école de rugby de Tarbes où il portait alors un maillot rayé blanc et noir.
À l'époque, la sélection française de rugby à 7 n'existe pas encore - elle ne sera créée qu'en 1992 -, mais la France est représentée sur la scène internationale par les Barbarians. L'esprit n'était pas non plus celui d'aujourd'hui. « C'était la fête autour du rugby. Et petit à petit, c'est devenu plus sérieux », explique le Tarbais, fin observateur de cette évolution (il a raccroché en 1994). À partir de 1986, lui qui a aussi joué pour les Froggies, première association française de septistes à Toulouse, n'a manqué à aucun moment de représenter son pays.
Il a été de toutes les premières : le premier tournoi de Hongkong, en 1992, avec la sélection française ; la première Coupe du monde de rugby à 7, à Melrose (Écosse), en 1993... Cette discipline était faite pour lui, « un joueur infatigable » selon Didier Faugeron. « Elle colle à mon état d'esprit, reconnaît l'intéressé. C'est un sport collectif, technique et physique, qui nécessite de savoir dépasser ses limites. J'ai fait beaucoup de 400 m haies et de cross-country, mais aussi des courses de vélo. Souffrir sur un terrain, je connaissais. Et j'aimais ça. »
Cette passion, il l'a transmise à tous les joueurs passés sous sa tutelle. Et ils ont été nombreux. Jusqu'en 2016, année où la totalité du groupe France devient professionnelle, la sélection manquait de stabilité : les premiers choix n'étaient pas toujours libérés par leurs clubs et lorsque les seconds choix progressaient, le même sort leur était souvent réservé. Mais tous restent profondément marqués par leur sélectionneur, cet amoureux de la vie qui plaçait l'humain au centre de son management.
« Il a un relationnel fabuleux. Il est patient, à l'écoute. Mais il savait aussi recadrer. Il incarnait la figure du patriarche », salue Patrick Bosque, capitaine de l'équipe victorieuse du Tournoi de Paris, en 2005. « On parle souvent de la famille du 7. Thierry, pour tous ceux qui y ont passé un peu de temps, est devenu notre père spirituel », abonde Vincent Deniau, également membre de l'équipe en 2005.
Au-delà de son engagement pour une discipline olympique depuis les Jeux de Rio en 2016, il a aussi contribué à démystifier le rugby en développant des formes de pratiques alternatives, comme le beach rugby et sa variante sur dur, le rugby à 5, ou encore le rugby-filet (jeu de passes comme au volley avec un filet de tennis). « Amener le rugby en douceur auprès de tous les publics ne faisait pas partie de ma mission première. Mais ce côté animation me tenait à coeur et je suis toujours à fond dedans, même si ma priorité reste le 7 », fait remarquer Thierry Janeczek.
Pour le remercier de son dévouement depuis plus de trente ans, la Fédération, et notamment Julien Candelon, le manager général des équipes de France à 7, a appuyé sa candidature pour être l'un des porteurs de la flamme olympique. Son dossier a été retenu. « On m'a demandé de ne pas courir trop vite pour ne pas l'éteindre », rigole le gaillard, les yeux encore humides. Aucun doute qu'il en prendra soin autant que du rugby à 7.