Si Marcus Smith ne s'était pas blessé au mollet à Gérone, en Espagne, lors du stage qu'ont effectué les Anglais avant le début du Tournoi des Six Nations, on n'aurait certainement pas eu à écrire ce papier élogieux sur George Ford, le demi d'ouverture, qui a été remarquable lors de ce tournoi avec un final de très haut niveau, samedi soir, sur la pelouse du Groupama Stadium.
Car avant le début de la compétition Steve Borthwick avait prévu de confier les clés du jeu à Marcus Smith, le numéro 10 des Harlequins, de lui montrer qu'il comptait sur lui, et qu'il pensait sincèrement qu'il possédait les qualités nécessaires pour succéder à Owen Farrell pour s'installer dans le coeur du jeu, ce qui ne fut pas le cas durant la Coupe du Monde, puisque, il faut le rappeler, le sélectionneur du XV de la Rose avait décidé et tenté de démontrer aux suiveurs de l'équipe que Smith ferait un excellent arrière.
Pour remplacer Smith, le staff avait donc le choix entre Ford, l'expérimenté joueur de Sale (31 ans), et un autre Smith, Fin, le très jeune et prometteur (21 ans) ouvreur de Northampton. Borthwick n'a pas voulu prendre de risque : Ford a commencé le tournoi et l'a d'ailleurs fini, avec 5 titularisations, dont la dernière, samedi (victoire 33-31 de la France sur l'Angleterre), malgré le retour au jeu et sur la feuille de match de Smith.
Ford, c'est une valeur sûre, un métronome, un type intelligent qui voit le jeu, le comprend, assure un tempo, ne panique jamais, il a d'ailleurs montré tout ça, en France durant la Coupe du monde, quand il a fallu remplacer Owen Farrell, suspendu lors des deux premières rencontres, face à l'Argentine (27-10) et au Japon (34-12). Ford avait assuré, et brillé devant les perches, sur les pénalités, sur les transformations, mais aussi sur les drops, avec par exemple trois tentatives réussies, à Marseille, contre les Pumas.
Malgré ses qualités, son vécu, il y avait un doute, comme si Borthwick se demandait si Ford avait la capacité de changer son approche du jeu, et d'embrasser une nouvelle manière de penser le jeu anglais, avec plus de passes, plus de risques, et moins de chandelles... Ford est un joueur intelligent, capable de s'adapter, de répondre aux attentes, même révolutionnaires d'un staff. Alors, oui, tout ne fut pas parfait, il y a eu des couacs, comme face à l'Écosse (défaite 30-21, le 24 février), à Murrayfield, ou des imprécisions devant les perches, comme face à l'Irlande (23-22, le 9 mars), à Twickenham, avec 7 points ratés qui au final n'ont pas eu d'incidence dramatique sur le résultat.
« Cela faisait très longtemps que je n'avais pas joué de cette manière, et j'ai pris beaucoup de plaisir. Je me sens comme un joueur différent sur le terrain »
Mais dans le jeu, ce qu'il a commis lors des deux dernières journées du Tournoi des Six Nations, a tout simplement été remarquable. Il a montré qu'il pouvait endosser le rôle d'ouvreur 2.0. Samedi soir, en zone mixe, il a accepté de revenir sur son tournoi, sur son jeu, et celui du XV de la Rose : « D'un point de vue individuel, j'ai essayé d'être plus près de la ligne, et de créer plus de danger. Je voulais jouer plus plat et essayer d'emmener l'équipe avec moi. Je pense que je jouais trop en profondeur contre l'Écosse. Ce qui nous est arrivé à Murrayfield, on n'a pas vraiment envie de le vivre, mais cette défaite a fait du bien, on a beaucoup parlé afin de s'entendre sur quelle équipe on voulait être.
Et ce qu'on a fait sur les deux derniers matches se rapproche de ce qu'on veut être. Je me suis remis en question, et je me suis demandé comment je pouvais être plus influent. Et encore une fois, il fallait que je sois plus à plat, avec cette volonté de faire jouer l'équipe pour battre des défenseurs, pour créer des deux conter deux, des duels, mettre le feu. Cela faisait très longtemps que je n'avais pas joué de cette manière, et j'ai pris beaucoup de plaisir. Je me sens comme un joueur différent sur le terrain. Quand tu réfléchis, parfois tu tombes dans un piège quand tu disputes ce genre de matches, des grands matches, tu as la responsabilité, tu dois prendre les bonnes décisions, conduire le jeu, et mettre l'équipe dans les meilleures dispositions. Je suis allé trop loin dans cette manière de faire... J'ai réfléchi, et j'ai réalisé que j'avais besoin de faire autrement, de ne plus être seulement dans le contrôle, mais de créer aussi la crainte... »
Magnifique introspection pour un résultat quasi immédiat. Il faut revoir ses deux derniers matches, la vitesse de ses décisions, la ligne de ses passes, et le génie de ses mains, comme sur ce ballon volleyé dans le bon timing pour Marcus Smith, sur l'essai de Tommy Freeman, samedi soir à Décines, où il n'a pas oublié aussi ce qui faisait sa force, son adresse au pied, avec un remarquable 100 %. Marcus Smith pourrait donc devoir encore attendre un bon petit bout de temps avant d'être promu.