C'est le dernier épisode en date d'un feuilleton bien pourri et qui semble pourtant très à la mode. Celui du racisme dans le rugby. Six mois après l'ultra-violence décomplexée à la suite d'un match de Régionale 1 entre l'Entente Fleury-Salles-Coursan et le Foyer Laïque du Haut-Vernet, la haine s'est de nouveau invitée sur un terrain de rugby, sans les coups et le sang mais avec la même perfidie. Dimanche, l'AC Bobigny 93 se déplaçait à Lons, près de Pau, dans le Béarn, pour un match de Coupe de France entre deux formations de l'Élite 1, la Première Division de rugby féminin.
Après la victoire des Franciliennes (18-20), plusieurs d'entre elles se sont plaintes d'insultes proférées par certaines adversaires lors de la rencontre. Parmi les mots entendus, sur le terrain et dans les tribunes : « Sale noire », « Rentrez chez vous », « Je prends l'Africaine aux cheveux courts ». Autant d'injures qui n'ont pas été entendues par l'arbitre de la rencontre, habilité à stopper le match en de telles circonstances.
C'est d'abord la troisième-ligne Awa Diakité qui a dénoncé ces propos à travers un court texte publié sur les réseaux sociaux. « Je ne suis pas du genre à m'exprimer publiquement sur des sujets aussi sensibles, généralement, j'échange là-dessus avec mon entourage, a confié cette dernière à L'Équipe hier soir. Mais là, je ressentais le besoin d'en parler et de le dénoncer. C'était inconcevable pour moi de laisser ça sous silence. » La deuxième-ligne internationale Madoussou Fall, ancienne joueuse de Bobigny, actuellement en plein Tournoi des Six Nations avec l'équipe de France, a vite relayé la parole de son amie, via une story Instagram.
« Elles subissent des insultes racistes très régulièrement. Il y a quinze jours encore, une joueuse s'est fait traiter par une adversaire de ''sale macaque'' »
Vincent Gabrelle, secrétaite général du club de Bobigny
Puis, lundi, le club de Bobigny a partagé un communiqué : « Trop c'est trop ! (...) Ces propos stigmatisants à l'égard de nos joueuses ne sont pas des cas isolés, nos équipes y étant malheureusement et régulièrement confrontées. »« À Lons, c'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, confirme Vincent Gabrelle, le secrétaire général du club. Les filles ont réagi à ce moment-là, elles auraient pu ne pas réagir, et on n'en aurait jamais entendu parler. Elles ont décidé de ne plus laisser passer. Elles subissent des insultes racistes très régulièrement. Il y a quinze jours encore, une joueuse de l'équipe réserve s'est fait traiter par une adversaire de "sale macaque"... » « Ce n'est pas la première fois qu'il y a ce genre d'acte, j'en ai subi quand je jouais dans mon ancien club, confie Fall. J'ai pris le temps d'avoir une discussion avec mes ex-partenaires, et elles sont sous le choc. »
De son côté, le club de Lons nous a fait savoir par SMS qu'il ne souhaitait pas faire plus de déclarations que son communiqué publié en début de semaine, dans lequel on pouvait lire : « Le club saura prendre les mesures nécessaires et adaptées. »« Nous travaillons en étroite collaboration avec l'AC Bobigny pour faire avancer ce dossier dans l'intérêt supérieur de notre sport et des deux institutions que nous représentons en bannissant tout propos injurieux ou à connotation raciste sur les terrains et autour », a tout de même expliqué le président béarnais Jean-François Lombard. Quant aux joueuses lonsoises, elles suivent les consignes du club de ne pas s'exprimer sur le sujet.
« Notre volonté n'est pas de stigmatiser un club, poursuit Gabrelle. On sait bien qu'on ne pourra pas empêcher que ça se reproduise. Mais il y a une volonté de travailler pour faire en sorte que, lorsque ça arrivera, celles qui le vivent puissent le signaler et qu'il puisse y avoir des sanctions immédiatement, qu'on ne mette pas en doute leur parole. Parce que bien souvent, dans ces cas-là, c'est parole contre parole. »
Les joueuses de Bobigny, qui se sont entraînées mardi et hier soir, tentent de trouver des moyens d'action afin de changer les choses, au-delà de publications Instagram. « C'est un cri d'alarme, mais elles veulent aller plus loin que ça, assure le secrétaire général. Les filles, en tant que première concernées, souhaitent travailler pour mettre des choses en place. Ça va de plans d'actions de prévention aux sanctions. »
Hier soir, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra s'est exprimée sur le sujet dans un tweet : « Le racisme n'a pas sa place sur les terrains de sport. Il doit être combattu partout, tout le temps. Tolérance 0 (...) J'ai demandé à mes services de suivre de près les conclusions de l'enquête que la FFR, que je sais engagée à ne rien laisser passer sur ces sujets. Et je serai particulièrement vigilante quant aux suites à y donner. » La veille, la FFR avait rappelé « son engagement inébranlable contre le racisme » : « En cette période où la société fait face à des défis croissants liés à la discrimination et à l'intolérance, nous croyons fermement que le rugby a le pouvoir de rassembler les individus et de promouvoir des valeurs de respect mutuel, d'inclusion et de solidarité. »
Soit à peu près tout ce qu'il manquait sur le terrain de Lons dimanche. Ou lors de ce tournoi de minimes organisé à 60 kilomètres de Paris fin mars pendant lequel des jeunes filles et garçons issus des quartiers populaires de Pantin ont été surnommés « Kirikou », « Fatoumata » ou « Pogba » par des spectateurs, et à qui, à l'entrée du club-house pour la collation, on a asséné : « Eh bien, vous pouvez entrer, on n'est pas à la mosquée. »
Dans son communiqué pour dénoncer de tels agissements, le Rugby Olympique Pantin avait trouvé les mots justes : « On nous dira que tout ceci n'est pas bien grave, que, contrairement à d'autres fois, nous n'avons pas subi d'insultes, de cris de singes, de jets de bananes (oui, oui, nous avons déjà vécu cela...). Mais nous avons voulu en parler, car le racisme ordinaire, c'est une succession de détails, de petites remarques, en apparence anodins ou sans conséquence, mais qui n'ont pour objet que de faire sentir à ceux à qui ils sont destinés qu'ils ne sont pas comme les autres, qu'ils ne sont pas à leur place. Et au final, peut-être pas les bienvenus. »
