C'est ce lundi, devant la cour d'assises de Bordeaux, que s'ouvre le procès de cinq anciens rugbymen de Grenoble, accusés d'avoir commis un viol le 12 mars 2017, après une rencontre face à l'UBB, à l'égard d'une jeune femme qui à l'époque des faits était étudiante, et âgée de 21 ans.
Le Français Loïck Jammes, qui évolue à Aix-en-Provence (Pro D2), l'Irlandais Denis Coulson, qui a mis sa carrière entre parenthèses, et le Néo-Zélandais Rory Grice, sous contrat avec Oyonnax, sont soupçonnés de l'avoir violée, « avec circonstance que les faits ont été commis en réunion ». Ils risquent vingt ans de prison. L'Irlandais Chris Farrell (Oyonnax) et le Néo-Zélandais Dylan Hayes (retraite) se retrouvent dans les rangs des accusés, car ils n'auraient pas su empêcher « un crime contre l'intégrité corporelle » de la plaignante.
Les circonstances sont pour l'instant inconnues mais une chose est certaine, il a été opéré, et le chirurgien qui a pratiqué l'intervention a expliqué que son patient ne pourrait pas se déplacer avant six semaines. Les avocats des autres accusés ont demandé un renvoi. Il sera étudié par la cour ce lundi après-midi. Mais il semble impossible qu'il ne soit pas accordé. La présence de l'ancien pilier grenoblois paraît indispensable pour faire la lumière sur cette soirée.
C'est une nouvelle très difficile pour la plaignante, que l'on appellera Marie. « Oui, c'est terrible pour ma cliente, reconnaît Me Anne Cadiot-Feidt. Il va falloir l'accompagner, il va falloir qu'elle soit forte. En apparence, elle l'est. Mais il ne faut pas toujours se fier aux apparences. » Elle attendait ce procès depuis sept ans. Une éternité pour elle, mais c'est le temps de la justice puisque les cinq accusés ont usé toutes les voies de recours possibles pour éviter de se retrouver aux assises. Elle était prête à affronter et revoir des hommes qu'elle n'a pas croisés depuis les dernières confrontations. Elle songeait toutefois à demander le huis clos pour que les débats se déroulent de manière sereine et pour se protéger aussi. Dans les affaires de viol, la cour suit systématiquement la demande de la partie civile.
Marie a depuis réussi de brillantes études universitaires. Sollicitée par l'intermédiaire de ses avocats, elle n'a pas souhaité s'exprimer. Absent à l'ouverture du procès, Coulson aurait joué un rôle prédominant lors de cette soirée, de cette troisième mi-temps qui a encore dégénéré, comme cela est arrivé plusieurs fois ces dernières années où de nombreux acteurs du Top 14 ou de Pro D2 ont occupé les pages faits divers avec, trop souvent, une gestion catastrophique de ces sombres soirées d'après-match.
Le 12 mars 2017, dans la chambre 908 d'un hôtel situé non loin de l'aéroport de Mérignac, une étudiante se réveille au petit matin. Elle est nue, sur un lit, l'embout d'une béquille enfoncé dans son vagin. Elle n'est pas seule. Plusieurs hommes sont présents. Deux sont dévêtus. Ce sont des rugbymen professionnels, sous contrat avec Grenoble, qui, la veille, ont disputé une rencontre de Top 14 contre Bordeaux-Bègles. Elle se rhabille et fuit, en larmes et paniquée, selon plusieurs témoins qui ont raconté la scène. Deux ou trois heures plus tard, elle appelle la police et porte plainte pour viol...
Pilier droit prometteur, international irlandais chez les jeunes, Denis Coulson est actuellement sans club, son avocate nous expliquant qu'il avait dû mettre sa carrière entre parenthèses, car en Irlande, les dirigeants n'avaient pas trop envie d'avoir dans leur rang un joueur concerné par un procès pour viol. Son dernier club en France où il a évolué à Grenoble (2014-2017) et au Stade Français (2018-2019), c'est Carcassonne entre 2019-2020. En Irlande ? C'est le Bective Rangers FC qui évolue en Deuxième Division...
Bernard Jackman, qui manageait Grenoble à l'époque des faits, a joué un rôle de consultant et d'ambassadeur dans cette vieille institution. Joint par téléphone, il n'a pas souhaité s'exprimer et nous donner des nouvelles de Denis Coulson qu'il n'aurait pas vu depuis très longtemps. Jackman devait être appelé à témoigner, en visio, lors du procès. C'est nous qui lui avons appris l'accident de voiture de Coulson.
Le joueur ne pourra donc pas être présent ce lundi après-midi pour l'ouverture du procès. C'est lui qui a ramené la jeune femme à l'hôtel, c'est dans sa chambre que se sont produits les faits, et c'est lui qui a également filmé la scène avec son téléphone.
Depuis le début de l'affaire, les cinq hommes nient toute forme de contrainte, expliquant que Marie était consentante, terriblement alcoolisée mais consentante, comme l'avance Corinne Dreyfus-Schmidt, l'avocate de Coulson. « C'est un procès qui est assez tragique pour tout le monde, tragique pour la jeune fille car elle n'était pas dans un état normal, elle était tellement alcoolisée qu'elle faisait les choses mécaniquement, que mon client a pensé que comme elle faisait les choses mécaniquement elle était consentante, et aujourd'hui, il y a une jeune fille qui a été en détresse, et un jeune homme qui va devoir assumer, ou pas, on verra, les conséquences de son comportement, qui était pour eux, je parle des joueurs, assez clair... Elle était active, elle participait aux actes sexuels, ils n'ont pas pensé à un seul moment qu'elle n'était pas consciente et consentante. »
Si elle était consentante, pourquoi Andrew Farley, le manager de l'équipe iséroise, a créé le lendemain sur WhatsApp un groupe nommé « Bordeaux » ? Pourquoi Loïck Jammes a ouvert, toujours sur WhatsApp, une nouvelle discussion avec Coulson, Grice, Hayes et Farrell afin de s'accorder, selon les enquêteurs, avec ses camarades sur une version commune de ce qui s'était passé dans la chambre 908 occupée par Coulson et Farrell ?
« Il était visible qu'elle avait énormément de difficultés à marcher et à se déplacer seule, ne tenant pas debout... »
L'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, à propos de l'état de la plaignante, le 12 mars 2017
Et peut-on être consentante quand on est complètement ivre ? Ce soir-là, Marie était de sortie pour l'anniversaire d'une de ses amies. C'est dans un pub de Bordeaux, The Houses of Parliament, qu'elle a rencontré quelques rugbymen de Grenoble qui venaient de disputer une rencontre de Top 14. Denis Coulson et Rory Grice étaient là, Peter Kimlin et Dayna Edwards également.
Malgré la défaite (46-14), le staff leur a donné le droit de sortir. Après le pub, Marie et ses amis ont accompagné les joueurs dans une boîte de nuit, la Plage. Ils ont beaucoup bu. Marie est un petit gabarit... À la sortie de la discothèque, elle est montée dans un taxi avec Denis Coulson et Peter Kimlin. Pour le veilleur de nuit de l'hôtel qui a vu débarquer le trio vers 4 heures du matin, « la jeune femme était assurément alcoolisée ou droguée car elle lui avait semblé vraiment"endormie et sonnée". »
L'analyse de la vidéo surveillance confirme son propos, comme on peut le lire dans l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, en septembre 2022. « Il était visible qu'elle avait énormément de difficultés à marcher et à se déplacer seule, ne tenant pas debout... » Pouvait-elle être consentante en étant dans cet état, pouvait-elle alors accepter ce qu'elle a subi dans cette chambre, l'utilisation d'une bouteille en plastique, d'une banane, d'une béquille ? Marie espérait que la justice réponde à ces questions du 17 au 28 juin. Elle va sans doute devoir encore attendre.
Conseillé par Me Dreyfus.
Loïck Jammes est toujours en activité. Talonneur d'Aix-en-Provence, il a disputé 15 matches de Pro D2, cette saison, dont la demi-finale, perdue face à Grenoble
(22-23), un club qu'il a quitté en 2017, après l'affaire. Le match qu'il a joué à Bordeaux fut son dernier avec le FCG... Accusé de viol, il est, d'après les enquêteurs, le joueur qui a utilisé la béquille, la bouteille et la banane. Lors d'une audition, il a convenu qu'il avait « manqué un peu de respect à la jeune femme. » Joueur important de l'effectif d'Aix, il est lié au club provençal jusqu'en 2025.
Rory Grice. Troisième-ligne d'Oyonnax. Né le 2 avril 1990, à Te Kuiti, en Nouvelle-Zélande.
Conseillé par Me Fitzgerald.
Excellent troisième-ligne, il évolue depuis son départ de Grenoble, en 2017, à Oyonnax où il est sous contrat jusqu'en 2025. C'est un des leaders de l'équipe entraînée par Joe El Abd. « Je crois en la présomption d'innocence, explique Dougal Bendjaballah, le président d'Oyonnax, c'est un joueur qui a été exemplaire. Je n'ai jamais eu un problème avec lui, avec eux, car il y a aussi Chris Farrell. On avisera en fonction du jugement. » Grice a toujours nié « toute pénétration vaginale... » malgré la présence de son empreinte génétique sur les prélèvements vaginaux effectués sur la jeune femme.
Chris Farrell. Centre d'Oyonnax. Né le 16 mars 1993 à Ennisskillen en Irlande du Nord.
Conseillé par Me Saint-Pierre.
Chris Farrell n'est pas soupçonné de viol. Mais il était-là, dans la chambre qu'il partageait avec Denis Coulson, et n'aurait rien fait, selon la justice, pour empêcher ses partenaires d'abuser de la plaignante. Lors du match perdu contre Bordeaux, il a été victime d'une fracture du tibia. Ses béquilles auraient servi à Loïck Jammes. Il joue toujours, il évolue à Oyonnax, comme Rory Grice. Centre, il est un des cadres, et a terminé la saison avec le brassard de capitaine. Il est sous contrat jusqu'en 2025.
Dylan Hayes. Ex-troisième-ligne (retraité). Né le 11 février 1994 à Blenheim, en Nouvelle-Zélande.
Conseillé par Me Lucien.
Embêté par des blessures à répétition, il a décidé de mettre un terme à sa carrière en début d'année, à Valence-Romans, en Pro D2. Après les faits, il a été le seul acteur à rester une saison supplémentaire. Il a ensuite évolué à Soyaux-Angoulême, Agen puis Valence-Romans (2021-2024). Lors du déplacement à Bordeaux, il n'a pas joué. Il est entré dans la chambre 908 pendant les faits. Lors de l'instruction, il a expliqué qu'il n'avait « aucune raison de considérer qu'un viol était en train de se commettre au moment de son arrivée », dans la pièce. Il a également reconnu qu'il était ivre.
