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Les dérives du rugby


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#211 Néophyte

Néophyte

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Posté 13 novembre 2024 - 06:46

Dérives dans le rugby : l'origine du mal
Auteur d'un livre sur l'affaire Cécillon (sacré meilleur ouvrage de littérature sportive en 2023), le journaliste et romancier Ludovic Ninet a enquêté pour L'Équipe explore sur les raisons profondes qui expliquent les dérives du rugby d'aujourd'hui. Entre fabrique du virilisme, fantasme de l'homme inépuisable et culture de la prise de possession des femmes.

Marie était une jeune femme sage, enjouée, qui étudiait les sciences politiques. À 20 ans, elle avait la tchatche et la vie devant elle. Le 12 mars 2017, aux alentours de minuit, dans un pub de Bordeaux où elle prolonge l'anniversaire d'une amie, elle croise la route d'hommes à l'abord sympathique et l'air convenable, des joueurs de rugby professionnels évoluant à Grenoble. Ces hommes, après que la jeune femme a bu plus que de raison dans ce bar et puis en boîte de nuit, la ramènent titubante et inconsciente jusque dans une chambre d'hôtel alors que ses amies sont parties de leurs côtés. Ils sont aujourd'hui soupçonnées de l'avoir violée à plusieurs.



Lorsqu'elle recouvre ses esprits, vers 7 h 30 du matin, Marie, dont le prénom a été changé, s'enfuit, désorientée. Ce dimanche 13 mars 2017 commence alors sa deuxième vie. Une vie sans une partie d'elle-même, morte, souillée pour toujours, une existence marquée par la peur post-traumatique pouvant resurgir à tout instant, vivre avec la noirceur qui s'est déposée - comme la cendre recouvrant un paysage brûlé - sur tout et son innocence en particulier.

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Il y a eu alors, dans le monde du rugby, comme un trop-plein
Ce que traverse Marie, depuis, est ce que traversent toutes les victimes de violence, et précisément toutes les femmes victimes de violences sexuelles. Ces personnes pour qui, plus que jamais, il y a un avant et un après. J'emploie cette expression volontairement, en écho à la phrase prononcée en Argentine par le président de la Fédération française de rugby (FFR), Florian Grill, quelques heures après l'arrestation, en juillet dernier, des deux jeunes internationaux Hugo Auradou et Oscar Jegou, toujours mis en examen, à l'heure où nous publions, pour un viol avec violence commis en réunion à la fin d'une nuit de débauche. « Il y aura un avant et un après Mendoza. » L'avant et l'après des un(e) s est sans commune mesure avec celui des autres.



Cette affaire de Mendoza est survenue un mois après l'ajournement du procès des agresseurs de Marie (l'un d'eux n'était pas en mesure d'y assister). Elle suivait de 24 heures celle de Melvyn Jaminet tenant des propos racistes dans un état manifestement second dans une vidéo que, de lui-même et par erreur, il avait publiée sur Instagram. Il y a eu alors, dans le monde du rugby, comme un trop-plein. Je n'y ai pas échappé.

Ces faits m'ont renvoyé à des récits qui m'avaient été confiés pendant mon enquête sur le meurtre de Chantal Cécillon, à d'autres histoires que l'on raconte, dans le milieu, en se tapant parfois sur le ventre. L'alcool, la fête à l'excès, les filles, les dérapages, et tout cela venait percuter ce que j'avais vu et vécu dans ma modeste vie de joueur amateur, venait aussi percuter notre époque Me Too.

lire aussiQuinze après la condamnation de Marc Cécillon pour le meurtre de son épouse Chantal, un livre revient sur l'affaire
Le 13 mars 2017, Marie a porté plainte. Sept ans après, ses agresseurs seront, à partir du 2 décembre, jugés devant la cour d'assises de la Gironde. Trois d'entre eux pour répondre de viol en réunion, les deux autres pour abstention volontaire d'empêcher un crime contre l'intégrité d'une personne. Présumés innocents, ces cinq hommes sont des (ex-) joueurs de rugby professionnels. Est-ce un hasard ? Je veux comprendre.

Il y aurait comme une matrice, presque un mode opératoire
Existe-t-il une spécificité à notre sport ? J'ose le « notre » - j'y ai joué, je l'observe, le raconte, l'étudie. Dit autrement, le rugby (masculin) par sa nature, sa culture et ce qu'on en fait, au plus haut niveau notamment, contribue-t-il à produire des hommes violents dans la vie civile, et violents à l'égard des femmes ? Poser la question, je précise, n'est pas tirer sur le rugby. « Il faut essayer d'aller plus loin que l'adjectif intolérable, comprendre notre sociologie », a déclaré Fabien Galthié dans un entretien à « L'Équipe ». C'est justement le chemin que j'emprunte.

Dans son déroulement, l'affaire des Grenoblois ressemblerait à l'affaire Auradou-Jegou. Elle renvoie aussi à un probable viol commis en réunion par des joueurs Espoirs de Bourg-en-Bresse, après un match à Vannes en avril. Il y aurait comme une matrice, presque un mode opératoire : match, troisième mi-temps, alcool, proie levée, rapport sexuel ou viol à l'hôtel, selon ce qu'en dit la justice.

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Ces cas s'ajoutent à ces autres agressions sexuelles connues, jugées ou en cours d'instruction, qui ont concerné Josaia Raisuqe et Baptiste Lafond. Ils s'ajoutent aux cas de violences physiques et morales perpétrées dans le cadre conjugal pour lesquelles ont été condamnés Wilfrid Hounkpatin, Mohamed Haouas et George Tilsley, aux cas de violences physiques sur des tiers masculins pour lesquelles Bastien Chalureau, Antoine Battut, Waisea Nayacalevu, Enzo Forletta et Thomas Darmon ont été condamnés, pour lesquelles Cheslin Kolbe aurait pu lui aussi se retrouver devant un tribunal. On peut encore ajouter cette troisième mi-temps virant au drame à Montauban avec ce joueur samoan, Kelly Meafua, sous alcool et cocaïne, qui, en sortie de boîte de nuit, sauta d'un pont dans un élan quasi suicidaire et finit par se noyer.

Le mythe du rugbyman voyou sur un terrain, gentleman en dehors, sort très écorné de cette accumulation d'affaires qui mettent plutôt en scène la figure du bad boy, buveur, cogneur, gros muscles et gros tatouages, misogyne, violeur parfois, celle de l'homme connard en quelque sorte, la masculinité toxique dans toute sa splendeur.

Mal à l'aise, le milieu s'agite. Tout en admettant un problème avec l'alcool, la cocaïne et, du bout des lèvres, la violence, tout en reconnaissant l'urgence d'agir, il scande d'une voix quasi chorale que le rugby ne se résume pas à ces quelques cas qui ternissent une discipline à la vertu formatrice et intégrative exemplaire. Quelques cas ?

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Il y a, depuis l'été dernier, des prises de parole et des déclarations d'intention répétées, de dirigeants, de figures, de consultants, par exemple le serrage de vis promis par Florian Grill, traduit, depuis, par le curieusement nommé « projet de performance renforcé pour le rugby français », dont je parle plus bas. Le rugby, entend-on de toutes parts, est sonné, meurtri, ce sport si porté sur le respect de l'autre a mal.

René Bouscatel, président de la Ligue nationale de rugby (LNR), le dit le 2 septembre à la causerie de rentrée de la LNR : « Malheureusement, on ne peut pas tenir cette causerie sans évoquer les... les trois affaires (après les affaires Jaminet et Auradou-Jegou, la tragique disparition en mer en août du jeune Medhi Narjissi, alors en tournée avec l'équipe de France U18 en Afrique du Sud)... Et là nous avons un gros travail à faire... C'est à nous, c'est de notre responsabilité de... De faire en sorte de limiter les risques, voilà. C'est... Ouais... C'est dur. » C'est dur ? On pense aux victimes. Les femmes violées, les femmes battues ou harcelées, les types molestés.

Le concept tout fait de « c'est un phénomène sociétal » et « générationnel »
Ce qu'on entend aussi, c'est ce concept tout fait, servi à l'envi comme s'il témoignait d'une prise de hauteur relevant de la sociologie, le « c'est un phénomène sociétal » et « générationnel » (Sébastien Chabal, Richard Dourthe et Marc Lièvremont sur Canal+ le 8 septembre ; Malik Hamadache, président de Provale, dans L'Équipe du 29 août) ou « Les maux de la société ne s'arrêtent pas aux frontières du rugby » (Olivier Lièvremont, Directeur technique national, dans La Dépêche du 7 octobre), concept qui, donnant une portée globale, dédouanerait le monde du rugby, au moins en allège la responsabilité propre puisqu'il est atteint comme toutes les autres sphères de la société.

Mais atteint de quoi, au juste ?

Voilà, on y est. Où ? Dans un récit qui fait écran de fumée.

Rares, pour ne pas dire inexistantes, sont les prises de parole mentionnant les mots femme, violence, violences faites aux femmes, viol, agression sexuelle, sexisme. Dans ces discours tenus la mine grave, on reste sur la fête, la fameuse troisième mi-temps, rite nécessaire, indéboulonnable, qu'il faut vivre dans le respect des autres et de l'institution. Mais cette fête, nous dit-on, doit être mieux encadrée, quitte à punir, puisqu'un mal « sociétal », la cocaïne s'ajoutant à l'alcool, la gangrène désormais... et parce que, c'est le DTN qui parle, « les joueurs sont en situation d'être des proies pour la société ».

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Les violences faites aux femmes, et ce qui les sous-tend, hop, envolées. Et ce ne sont pas les deux petites lignes sur 29 pages du « projet de performance renforcé pour le rugby français » proposant, pour les équipes de France, des modules de prévention sur les « violences sexistes et sexuelles » et sur le « harcèlement moral et sexuel », qui vont combler le vide. La cause mérite pourtant qu'on se positionne haut et fort.

Sur l'affaire Cécillon, je m'étais heurté à des freins semblables
Il n'a pas été facile de trouver des gens du milieu acceptant publiquement d'aller au-delà de la réflexion primaire. Je m'étais heurté à des freins semblables lorsque je questionnais le récit du meurtre de Chantal Cécillon. L'ancien troisième ligne Jonathan Best, figure historique du FC Grenoble, fait partie de ces personnes à la pensée et à la parole libres. « Le rugby se revendique différent des autres sports en brandissant ses ''valeurs'', expose-t-il, or les dernières affaires montrent qu'il n'est pas mieux. Mais tout le monde cautionne ce qu'il est puisque les stades sont pleins, les sponsors nombreux, les télés et les téléspectateurs présents... »

Jonathan Best a fini sa carrière à Béziers, de 2016 à 2021. Dans cette ville, rapporte-t-il, on s'extasiait encore sur la légende Armand Vaquerin, pilier du grand Béziers mort dans un bar en jouant, selon la version officielle, à la roulette russe, en 1993. Cela m'a rappelé le culte voué à Marc Cécillon, en Isère.

« Je suis toujours surpris qu'on puisse admirer des gens comme ça, poursuit Jonathan Best. Quand je vois l'ovation réservée à Oscar Jegou pour son retour avec La Rochelle, je suis interpellé. Ce garçon a été suspendu pour usage de cocaïne puis a eu des agissements pas très corrects en Argentine. Les gens ont la mémoire courte. Et je ne vois pas au nom de quoi on dissocierait le sportif, personnage public, de l'homme. »

Le rugby n'est pas que dérives ni violences sexistes et sexuelles, on le sait. Il n'est pas non plus le seul sport concerné. Mais il est aussi cela. Il est proposé ici de regarder en face, et avec l'aide d'apports extérieurs, les coutumes d'un monde et de sa culture viriliste et capitaliste à bien des égards - les deux allant souvent de pair.

LA FABRIQUE DE L'HOMME VIRIL

Un joueur sniffe du rhum à même un bar. On est à l'hôtel Balmoral d'Édimbourg, dans la nuit du 11 au 12 février 2018. Le XV de France vient de perdre contre l'Écosse, c'est le huitième match consécutif des Bleus sans victoire, le rugby français est dans un trou noir. Le joueur en question n'est pas le premier venu. Il n'est pas non plus seul au bar. Le groupe tricolore est scindé en deux, ceux qui, dégoûtés par la défaite, sont couchés, et les autres qui, sans en avoir reçu la permission de l'encadrement, vont passer la nuit entre l'hôtel, un bar et un night-club, enchaîner les bouteilles, les jeux à boire, s'ouvrir là une arcade, ici l'arête du nez à cause de leur ivresse, se battre peut-être.

Six d'entre eux seront sortis de l'avion du retour, le lendemain, par la police écossaise afin d'être interrogés pour une potentielle agression sexuelle commise dans l'hôtel puis libérés. Huit, les plus fêtards, seront exclus par le sélectionneur Jacques Brunel, pour le match suivant.

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Qui étaient ces hommes ? Aucun n'était premier violon d'un orchestre symphonique ou joueur de hautbois. Ces hommes, j'enfonce une porte ouverte, étaient des joueurs de rugby. Ils l'étaient depuis leur enfance pour la plupart, à l'adolescence ils avaient été initiés à la troisième mi-temps et son indissociable compère, l'alcool, que ce temps festif du rugby pousse à consommer sans modération ; initiés souvent par des encadrants adultes. Je n'invente rien. Je ne salis rien. C'est connu, documenté, étudié, la consommation d'alcool est, dans le rugby, une institution, banalisée et ritualisée.

Les psychologues Carole Boyer et Amaël Seddeki, du programme de Prévention des addictions en milieu sportif, qui interviennent auprès des comités et clubs de la Ligue Auvergne-Rhône-Alpes, le confirment. Les sociologues Christophe Bonnet, Yan Dalla Pria et Jean-Marc Chamot publiaient, eux, en 2015, une étude intitulée « Alcool et rugby : anatomie d'une déviance institutionnalisée », dans laquelle ils expliquaient que la troisième mi-temps « préexiste et s'impose aux individus qui n'ont d'autres choix que d'en tirer bénéfice ou de s'y soumettre ».

On boit donc une bière, puis deux, puis plein, on montre ses fesses au carreau pendant le trajet en bus, qu'on dégrade parfois, on pisse à quarante sur la façade d'une station essence, on pique le képi d'un gendarme ou un panneau routier, au bar on casse des glaçons sur le zinc avec le front quitte à s'entailler, on chante des chansons paillardes, parfois on glisse tout habillé sur un tapis de liquides de toutes origines, appuyés au comptoir, on se dit des vérités les yeux dans les yeux, on se dit qu'on s'aime, et que demain on sera plus fort sur le terrain.

« J'ai reçu, dans ces moments de troisième mi-temps, les confidences les plus profondes de certains de mes partenaires sur, par exemple, leur infertilité ou les violences qu'ils avaient pu vivre enfant... »

Vincent Clément, ancien rugbyman pro




C'est l'image d'Épinal, la fête bon enfant, l'amitié qui naît au milieu de verres qui se vident. Et c'est vrai. « J'y ai connu les plus beaux moments d'humanité et de partage, confie Vincent Clément, qui fut capitaine de l'équipe de France U19 championne du monde en 2000, troisième ligne rassembleur à Colomiers, Albi puis Lyon, où il a fini sa carrière en 2013. C'est à ces endroits qu'on se sent le plus proche les uns des autres, que se révèle une vulnérabilité qu'on se refuse sur le terrain car il faut être fort et conquérant. Après le match, on peut se permettre d'extérioriser les failles de notre humanité. J'ai reçu, dans ces moments, les confidences les plus profondes de certains de mes partenaires sur, par exemple, leur infertilité ou les violences qu'ils avaient pu vivre enfant... » Le doux qui suit le rude, comme l'image Daniel Herrero.

Et c'est pour cela, les blagues potaches et l'intimité, pour tous les souvenirs joyeux et d'amitié, qu'on la regarde encore avec tendresse, cette troisième mi-temps, parce qu'elle nous ramène à l'enfance de ce sport et à l'insouciance, que le professionnalisme a balayées - quitte à effacer les souvenirs cuisants, les copains dégobillant à quatre pattes, les copains dansant trop près de la jolie nana, les copains ramenant une fille tellement ivre qu'il faut la faire vomir avant de la..., quitte donc à détourner le regard de ce qui se cache derrière toute cette belle poésie : la déviance. Les comportements à risque. Les faits listés plus haut, la rencontre de ce mode festif et de la nature-même du rugby, sur le terrain, ce que Philippe Liotard, anthropologue spécialiste des violences sexistes et sexuelles dans le sport, pose ainsi : « L'imposition physique sur autrui, individuelle et collective, qui constitue la base du jeu de rugby se retrouve exprimée par les mêmes individus dans l'environnement festif. »

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Les rugbymen, autoproclamés rois de la fête, prennent possession du bar, parlent fort, se chamaillent entre eux, bousculent tout le monde, se mettent à poil, toisent les tristes sires maigrelets qui ne savent pas s'amuser, reluquent et branchent leurs femmes. Elles n'auront d'yeux que pour eux, forcément, irrésistibles dieux du stade, « princes des villes » comme les a surnommés Mourad Boudjellal, l'ancien président du RC Toulon, dans une chronique pour Eurosport, princes qui, en toute impunité, « peuvent boire comme des trous, dit-il, partir sans payer, mettre des mains au cul, provoquer des bagarres et on les excuse parce que ce n'est pas eux mais la troisième mi-temps ».

Kolbe et sa bande avaient pris l'espace, s'étaient mis à draguer les demoiselles pourtant entourées de leur famille
C'est exactement ce qui s'est produit, en avril 2018 dans un bar de Toulouse, quand l'ailier sud-africain Cheslin Kolbe et ses amis ont fini par foutre sur la gueule de la famille Baraque, qui fêtait là un anniversaire. Kolbe et sa bande avaient pris l'espace, s'étaient mis à draguer les demoiselles pourtant entourées de leur famille, n'avaient pas supporté qu'on leur demande de s'en tenir éloignés. Boum. Des circonstances semblables ont provoqué la bagarre dans laquelle Enzo Forletta et Thomas Darmon ont été impliqués, en juillet 2022. Quand ça chauffe, le collectif n'abandonne jamais l'un des siens.

Cette mise en scène de la masculinité qui utilise la force et l'expose relève d'une culture acquise. Elle est le fruit d'une transmission de normes, de valeurs et de comportements valorisés par le groupe, que jeunes joueurs ou novices de tous âges apprennent de leurs pairs et incorporent au même titre que ce qui est valorisé sur le terrain _ les contacts rudes, l'agressivité, le courage, l'engagement. On apprend à affirmer sa virilité en éprouvant sa résistance à l'alcool pour, comme le décrypte Jonathan Best, « montrer au groupe qu'on a du caractère, qu'on est un vrai bonhomme pour jouer au rugby ». D'où les défis et les jeux à boire, la fierté de coucher les autres en tenant mieux qu'eux, le compte le lendemain des bouteilles éclusées pendant la nuit.

Le boire viril, c'est aussi la glorification après coup de s'être mis mal et l'assumer, en rire, même des situations les plus honteuses, les transgressions sont toujours valorisées dans les mondes masculins, le rugby en particulier. Pour autant, montrer qu'on est un bonhomme en buvant n'est pas propre au rugby. De très nombreux univers masculins jouent de ce ressort pour affirmer l'appartenance au groupe des mâles, c'est un héritage social battu et rebattu dans l'imaginaire collectif, voyez Les tontons flingueurs et la fameuse « boisson d'homme ». Le rugby s'est parfaitement intégré au paysage, a même contribué à l'entretenir. Tout cela bien sûr sans que rien ne soit pensé, ni conscientisé. C'est le propre d'une culture dominante de se diffuser en silence.

Il existe tout de même une spécificité au rugby.

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LE CIRCUIT DE LA RÉCOMPENSE

Je n'aime pas les métaphores guerrières, le rugby n'est pas la guerre. Mais il est un combat et c'est ce que met en avant Vincent Clément. Pourquoi l'ai-je interrogé, lui ? Il n'avait jamais caché être de foi chrétienne et je me demandais si l'univers de la troisième mi-temps avait pu heurter son éthique religieuse. On a longuement parlé de ces moments qu'il a mis du temps à apprécier parce qu'au départ, dit-il, il ne les comprenait pas et s'en protégeait de peur de débordements qu'il n'aurait pas su gérer.

« Dans ce sport, a-t-il précisé, on met en jeu notre intégrité physique pendant quatre-vingts minutes et ça exacerbe la pression du sport de compétition. Quand on en ressort indemne, on ressent de la satisfaction, on a alors cette adrénaline à gérer, qui s'ajoute aux émotions suscitées par le résultat, le sentiment d'élévation qui accompagne la victoire, la sensation de toute-puissance quand en plus, individuellement, on a fait un bon match. Pour ces enjeux, la ritualisation de la troisième mi-temps a beaucoup de vertus, elle sert de soupape de décompression pour relâcher la tension montée tout au long de la semaine et qui connaît donc, dans le match, son paroxysme avec notre engagement physique total. Mais cette ritualisation, il faut la penser, voir ce qu'on y met comme intention, comme valeurs, comme éthique. C'est comme ça qu'on peut la réguler. »

La sensation de toute-puissance est souvent décrite par les joueurs de rugby. Ils disent la ressentir dans le vestiaire avant le match, à l'entrée sur le terrain, au coup d'envoi, en cas de victoire, lors d'actions d'éclat et/ou éminemment physiques, quand ils se voient, aussi, sur l'écran du stade. Cette sensation qu'ils vivent chaque semaine manque terriblement quand la carrière s'arrête. Elle manque déjà, pendant la carrière, quand le temps du match et de l'exposition cesse.

« Dans le rugby d'aujourd'hui où tout est théâtralisé, avec des caméras jusque dans les vestiaires, des joueurs dont on fait des gladiateurs, qui doivent n'avoir peur de rien et surtout pas de la douleur, comment les fait-on redescendre de cette tension-là ? », interroge Emmanuel Augey. Cet ancien joueur de haut niveau amateur devenu psychologue et addictologue est intervenu entre 2017 et 2019 dans les clubs pros et leurs centres de formation pour faire de la prévention aux addictions. Il a été, sur ce terrain, un pionnier, pas toujours bien accueilli, mais certains disent qu'il a ouvert une voie et leurs yeux sur des risques jusque-là ignorés.

« Un joueur m'a dit un jour : ''J'arrête de boire parce que, quand je bois, j'adore me retrouver dans l'état dans lequel je suis quand je rentre sur le terrain et j'ai peur de faire une connerie.'' »

Emmanuel Augey, ancien rugbyman devenu addictologue




« Ce contexte de compétition de haut niveau et de spectacle, poursuit-il, sollicite à haute intensité le circuit de la récompense, des hormones du plaisir, de l'humeur et du bonheur, la dopamine, la sérotonine et l'endorphine, des hormones hyper addictives. Il est démontré qu'en sport, plus on a des niveaux d'engagement forts, plus on a de moments de décompression équivalents. On peut ajouter que plus les valeurs masculines y sont fortes, plus le phénomène est encore amplifié. Le rugby est particulièrement vulnérable. Le risque, c'est de chercher à être tout le temps en état de transe. Un joueur m'a dit un jour : ''J'arrête de boire parce que, quand je bois, j'adore me retrouver dans l'état dans lequel je suis quand je rentre sur le terrain et j'ai peur de faire une connerie.'' L'alcool, les médicaments comme les anxiolytiques, les antidépresseurs, les somnifères peuvent aider à se calmer, à trouver le sommeil, à pouvoir être au taf le lendemain, la cocaïne, au contraire, maintient l'état de transe émotionnelle. »

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Est-ce le besoin de décompresser ou, au contraire, celui de se retrouver dans l'état transcendantal de toute-puissance, qui a poussé les Bleus à sortir à plusieurs reprises pendant les trois semaines qu'ils ont passées à Aix-en-Provence, en août 2023, alors qu'ils disputaient leur Coupe du monde ? Ou est-ce simplement par habitude ? Sont-ce ces mêmes besoins qui ont conduit un demi d'ouverture d'envergure internationale à s'envoyer des traits de cocaïne en plein vestiaire ? Qui ont poussé des membres du XV de France, joueurs et staff, à sortir le soir du deuxième test en Argentine, en juillet, alors que deux des leurs étaient en prison et qu'un troisième avait été renvoyé au pays ? Qu'est-ce qui guide ces joueurs internationaux, après un match, à d'abord boire une bière, puis écouter le coach, puis fumer une cigarette, et ils sont nombreux à le faire, avant d'avaler le shaker de récupération qui leur a été minutieusement préparé par les diététiciennes ?

On sent comme tout se rejoint, les usages, quasi automatiques, la sensation de se percevoir surhomme, par son gabarit hors les normes de la société, sa capacité à survivre à une mise en danger de son intégrité physique chaque week-end, par le regard que les autres portent sur soi à travers les caméras, les réseaux sociaux, dans les stades, je pense à ces haies de supporters qui entourent l'entrée des joueurs vers les vestiaires, et le besoin, par moments, de sortir de tout ce cirque pour remettre les pieds sur terre, oublier ces folles exigences.

Un joueur de rugby pro sur trois a des comportements à risque avec l'alcool
Pendant ses deux années d'intervention, Emmanuel Augey a accompagné une doctorante en psychologie de la santé, Aude Rault, qui produisait une thèse sur les déterminants psychosociaux des alcoolisations chez les sportifs. Ce travail a mis en lumière, à l'époque, qu'un joueur de rugby professionnel sur trois avait des comportements à risque avec l'alcool. La proportion montait à un sur deux dans les centres de formation, où chaque « trou » dans le calendrier sportif donnait lieu quasi systématiquement à une alcoolisation massive. Il révélait aussi que les individus fantasmaient les quantités bues par leurs pairs et consommaient ainsi plus pour être à la hauteur des standards supposés du groupe. Il positionnait enfin parmi les principales raisons conduisant à boire le « coping » (de l'anglais, to cope, faire face), ces bières qu'on s'ouvre seul chez soi un soir, puis chaque soir pour soutenir le stress. Voilà, oui, où on en est.

LE FANTASME DE L'HOMME INÉPUISABLE

On dirait, parfois, que ce contexte est tombé du ciel. Que ce rugby qui pressurise ses acteurs au point de déclencher, à la LNR, un plan d'action pour leur santé mentale, ce rugby des matches en prime time, des data, des collisions, des flammes et des sonos plein tube dans les stades, ce spectacle mis en scène et vendu comme une série à suspense avec ses têtes de gondole, corps et gueules bankable qu'on achète et rentabilise, a été créé par une force extérieure à lui-même, comme si personne, dans le milieu, n'en était responsable, n'avait agi pour cela.

René Bouscatel peut prendre une mine défaite, lors de sa causerie de rentrée, président du Stade Toulousain de 1992 à 2017 et donc de la LNR depuis 2021, le produit, il a contribué à le façonner, et pas qu'un peu, ses coulisses, ses coutumes et ses débordements, il les connaît aussi. De même pour Pierre-Yves Revol, président du Castres Olympique depuis 1989, président de la LNR de 2008 à 2012. Ces deux-là sont des genres d'éléphants éternels, Vincent Merling à La Rochelle en est un aussi (1991). Mais même ceux que l'on présente comme des pièces rapportées, Jacky Lorenzetti (2006) ou Mohed Altrad (2011), venues investir leurs gros sous en ovalie, sont là depuis longtemps. Ont-ils fait en sorte, comme l'a dit René Bouscatel, de limiter les risques ?

Tous ont contribué à faire du rugby (pro) ce qu'il est, un système qui demande aux joueurs consentants, c'est vrai - à 19 300 bruts en moyenne par mois en Top 14 et 6 500 en Pro D2 -, de produire un spectacle toujours plus intense, de livrer, semaine après semaine, les performances attendues par leurs entraîneurs, leurs présidents, leurs sponsors, leurs supporters, les télévisions et leurs téléspectateurs, et puis de serrer la cuillère au maire et au partenaire, répondre aux journalistes, préparer l'après-carrière et, autant que possible, éviter de se blesser. L'homme inépuisable, en quelque sorte.

Benjamin Fall, ailier international des années 2010, en dit que les joueurs sont des « vagabonds de luxe ». Lui a connu le très haut et le très bas, des blessures, le chômage et des attentes auxquelles son jeune âge ne le préparait pas, notamment celles relatives au montant de son transfert, le premier du rugby français, 506 000 pour quitter l'Aviron Bayonnais pour le Racing, en 2010.

« La pression te fait changer de visage. Je me suis rassuré par le travail mais le surentraînement amène à la blessure. J'aurais donné un meilleur rugby si je m'étais détaché de tout ça plus tôt.

Benjamin Fall, ailier international des années 2010




« La pression te fait changer de visage, raconte-t-il. Je voulais justifier mais je n'avais pas le même rendement qu'avant. Je me suis rassuré par le travail mais le surentraînement amène à la blessure. J'aurais donné un meilleur rugby si je m'étais détaché de tout ça plus tôt. Mais la concurrence est de plus en plus rude. Il y a trois, quatre mecs par poste. Si on se troue, c'est au suivant et il faut regagner sa place, être productif... Les médias t'observent, les réseaux sociaux te critiquent. Les périodes charnières comme les renégociations de contrat ajoutent un stress. Tu as fait tes investissements, les occupations de ta famille tournent autour de toi : vas-tu retrouver la même durée de contrat, au même montant, le même cadre de vie si tu bouges ? Tu peux en bégayer ton rugby ou te blesser. On touche des bons salaires, on joue dans des grands clubs, mais il y a tout un équilibre social et psychologique à trouver. Or, à chaque changement de club, c'est comme si tu appuyais sur le bouton reset. » Lui a changé quatre fois en quatorze ans, il s'en tire bien.

« Je retrouve chez les joueurs de rugby des comportements psychologiques identifiés chez les chefs d'entreprise », pointe Jean-Luc Douillard. Ce psychologue clinicien en charge du plan de santé mentale de la LNR a auparavant mis sur pied un dispositif national de prévention du suicide chez les entrepreneurs. Il énumère : « Le fonctionnement solitaire, le métier passion, l'engagement de toute son identité, son corps, sa santé, physique et psychique, directement corrélée à la performance, le refus de se sentir fragile et d'exprimer ses émotions, les compensations par le repli sur soi, l'automédication, l'alcool ou le jeu avec l'illusion d'oublier ses difficultés. »

« Le sport de haut niveau coche beaucoup de facteurs de risques psychosociaux, poursuit Valentin Insardi. Le rythme, la pression des résultats, les conflits, le management, la fatigue, la précarité de l'emploi. » Lui aussi psychologue clinicien, Valentin Insardi est ancien joueur pro, ailier à Bourgoin de 2011 à 2017. Il est, depuis le printemps 2023, référent de la cellule psychologique de Provale, le syndicat des joueurs. Il constate « des problématiques importantes en termes d'addiction et de souffrances dépressives, du fait des exigences du sport de haut niveau, aggravées par l'intensité du jeu de rugby qui apporte une contrainte de fatigue supplémentaire. À trente matches par an, il suffit d'une problématique pour tout fragiliser. » Il relève une centaine d'interventions de la cellule en 2024 « sachant, précise-t-il, que le recours à un psy reste un tabou ».

Le monde du rugby aurait cherché à placer ses acteurs en condition de fondre les plombs qu'il ne s'y serait pas pris autrement. Les joueurs sont consentants, c'est dit plus haut. Mais est-ce si facile de tourner le dos au système quand on y dédie sa vie depuis l'adolescence ? Le plus souvent, en intégrant un système, on le fait sien. On se voit, on se veut homme inépuisable.

PRENDRE POSSESSION DES FEMMES

Ces hommes inépuisables mais épuisés, gorgés de testostérone et d'endorphines, on les retrouve, donc, à l'occasion dans des lieux récréatifs, cette fois gorgés d'alcool et parfois d'autres substances - et l'on sait que l'alcool est un facteur de risque dans tous les types de violence. Autour d'eux, d'autres hommes et des femmes. Entre eux, la solidarité. Mais pas que. Dans les bandes d'hommes, souvent on s'observe et se défie, manière implicite mais permanente de tester la virilité de l'autre, par les jeux à boire notamment, comme une forme d'autosurveillance - et c'est aussi ça qui est à l'oeuvre, en rugby, sous des dehors folkloriques rigolards. Mieux vaut participer pour rester dans le groupe.

Cette façon de créer un esprit de corps se retrouve, par exemple, chez les militaires ou les pompiers. Et puis, il y a la drague, le tableau de chasse. « Dans ces groupes, décrypte l'essayiste féministe Valérie Rey-Robert, les hommes vont multiplier les conquêtes féminines, se vanter de le faire, en tout cas montrer que c'est ce qui est recherché. » « Prendre possession des femmes rentre dans le jeu des valorisations viriles, confirme l'anthropologue Philippe Liotard. Dans ces soirées, il y a ceux qui rentrent seuls, et les autres. Ceux qui rentrent accompagnés sont valorisés. »

Les tentations sont nombreuses. Il suffit d'avoir vu une équipe de France débarquer au bar de son hôtel, après un match à Cardiff, pour le comprendre. « Il ne faut pas se mentir, reconnaît Jonathan Best, qui n'a connu ''que'' l'honneur d'être reconnu dans sa ville, on attire le regard des jeunes femmes, on suscite le désir. » Jusque-là, rien de méchant, juste un mode de rencontre hétéronormé ordinaire.

Ce qui se passe ensuite, c'est la prise de possession, justement. Quand l'homme pense disposer d'un objet, une femme. Ce n'est pas propre au rugby, c'est propre aux hommes, à beaucoup d'entre nous en tout cas. Si la demoiselle me sourit, danse près de moi, trinque, est-ce qu'il y a moyen ? Ou, selon l'éducation, il y a moyen, à l'affirmative, voire l'impératif. C'est là que le rugby entre en jeu, comme tout autre milieu ayant ses usages. Ce qu'on a exposé précédemment, l'univers viriliste qui peut avoir son influence. On peut ajouter, comme l'avance Jonathan Best, le sentiment d'être un dieu de l'Olympe que rien ne peut empêcher.

« C'est une vision très ''p****-McDo''. Avec ma mère, ma soeur, d'un côté, et toutes les autres femmes, de l'autre, à qui on attribue des notes et des qualificatifs. Une vision très genrée, machiste »

Cathline Fermet-Quinet, psychologue sexologue




Cathline Fermet-Quinet est psychologue sexologue. Elle est intervenue, il y a quelques années, dans les centres de formation de Perpignan et Bordeaux, auprès de rugbymen aspirants pros, de 16 à 22 ans. Ce dont elle se souvient, c'est d'une « vision très ''p****-McDo'' » comme elle la nomme, « ma mère, ma soeur, d'un côté, et toutes les autres femmes, de l'autre, à qui on attribue des notes et des qualificatifs, une vision très genrée, machiste », qu'elle rapproche de celles des masculinistes ''incels'' (''involuntary celibates'', indésirables autoproclamés qui accusent les femmes de tous les maux) qu'elle peut recevoir à son cabinet, ces personnes qui ont peu de relations avec des femmes, d'amitié notamment.

Elle avait noté l'influence de l'effet de groupe, la discrétion de joueurs qui ne partageaient pas cette vision et le lui confiaient hors séance, de ceux qui cachaient au collectif leur relation amoureuse pour la protéger. Elle insistait sur le consentement, la vulnérabilité et les ravages chez les victimes d'abus auprès de ces jeunes hommes qui, déjà, elle en fut témoin, suscitaient l'admiration, leur faire comprendre, par exemple, que « quand on a rendez-vous avec une nana, on ne se pointe pas avec ses potes ».

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Ce qui se passe ensuite, une fois que la fille a accepté de suivre le garçon, c'est la consommation. Jusqu'où et selon quel mode ? On s'embrasse, on se pelote. On va plus loin ? On imagine le rugbyman face à la femme fluette. La femme fluette qui, soudain, ne veut plus et l'autre, la poigne ferme, incapable de s'arrêter. On imagine la femme fluette qui a dit oui parce qu'elle en avait envie, et puis les copains arrivent, on n'est plus deux mais trois, quatre. On imagine la femme fluette face à plusieurs hommes, grands, baraqués, la femme est ivre, elle ne maîtrise rien, eux rient, l'exploitent, comme dans un p****, éjaculent sur son visage, utilisent des objets, la filment.

C'est ce qui serait arrivé à Marie, à Bordeaux, en 2017. Elle avait, ont estimé les experts, entre 2,2 et 3 grammes d'alcool par litre de sang, c'est colossal. Ses agresseurs ont tourné une vidéo et l'ont montrée ensuite à leurs coéquipiers, manière de leur dire, vous avez vu ce qu'on a dans le slip. Dans l'affaire de Mendoza, Hugo Auradou et Oscar Jegou ont également filmé. Ils ont, eux, partagé ces images sur Snapchat. « Se filmer, c'est comme dans les descentes ou les embrouilles, remarque le ''Dr Kpote'', éducateur en santé sexuelle depuis vingt ans en collèges et lycées, en Seine-Saint-Denis notamment, c'est avoir une preuve, une preuve de virilité, une façon de dire ''tu ne peux pas nier que je suis un vrai mâle''. »

« Quand les hommes violent ensemble, ce qui est en jeu, c'est non seulement leur pouvoir de domination, la transformation d'une femme en objet, mais le rapport des hommes entre eux, écrit Martine Delvaux, dans Le boys club. Violer chacun son tour sous le regard des autres, s'exhiber, choisir de montrer son sexe en érection, (...) commenter la ''prise'', le plaisir, la performance, faire des gestes sexuels et violents collectivement, en se regardant faire... autant d'aspects qui pointent l'importance de l'''être ensemble'' masculin. »

Performer le genre - à son paroxysme, dans le cas du viol - dans le regard des autres hommes pour être sûr d'y appartenir. Ce mal, donc, comme il ronge la société, sévit dans le rugby. Il est essentiel de le dire et le documenter. D'identifier, pour les déconstruire, tous les codes qui forment une culture viriliste et, en rugby comme ailleurs, permettent à des hommes de se sentir autorisés à violer. Plus on le dit, plus on prend ce parti, plus, peut-être, les choses changeront. « La culture aveugle, valide Philippe Liotard, mais une des caractéristiques de la culture, c'est sa potentialité à se transformer. »
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Posté 13 novembre 2024 - 07:18

Et pourtant tout était réglé avec la mise de côté de certains :rolleyes:

Et la "fete du slip" c'etait fini  :rolleyes:



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Posté 13 novembre 2024 - 08:13

Dérives dans le rugby : l'origine du mal
Auteur d'un livre sur l'affaire Cécillon (sacré meilleur ouvrage de littérature sportive en 2023), le journaliste et romancier Ludovic Ninet a enquêté pour L'Équipe explore sur les raisons profondes qui expliquent les dérives du rugby d'aujourd'hui. Entre fabrique du virilisme, fantasme de l'homme inépuisable et culture de la prise de possession des femmes.

Marie était une jeune femme sage, enjouée, qui étudiait les sciences politiques. À 20 ans, elle avait la tchatche et la vie devant elle. Le 12 mars 2017, aux alentours de minuit, dans un pub de Bordeaux où elle prolonge l'anniversaire d'une amie, elle croise la route d'hommes à l'abord sympathique et l'air convenable, des joueurs de rugby professionnels évoluant à Grenoble. Ces hommes, après que la jeune femme a bu plus que de raison dans ce bar et puis en boîte de nuit, la ramènent titubante et inconsciente jusque dans une chambre d'hôtel alors que ses amies sont parties de leurs côtés. Ils sont aujourd'hui soupçonnées de l'avoir violée à plusieurs.



Lorsqu'elle recouvre ses esprits, vers 7 h 30 du matin, Marie, dont le prénom a été changé, s'enfuit, désorientée. Ce dimanche 13 mars 2017 commence alors sa deuxième vie. Une vie sans une partie d'elle-même, morte, souillée pour toujours, une existence marquée par la peur post-traumatique pouvant resurgir à tout instant, vivre avec la noirceur qui s'est déposée - comme la cendre recouvrant un paysage brûlé - sur tout et son innocence en particulier.

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Il y a eu alors, dans le monde du rugby, comme un trop-plein
Ce que traverse Marie, depuis, est ce que traversent toutes les victimes de violence, et précisément toutes les femmes victimes de violences sexuelles. Ces personnes pour qui, plus que jamais, il y a un avant et un après. J'emploie cette expression volontairement, en écho à la phrase prononcée en Argentine par le président de la Fédération française de rugby (FFR), Florian Grill, quelques heures après l'arrestation, en juillet dernier, des deux jeunes internationaux Hugo Auradou et Oscar Jegou, toujours mis en examen, à l'heure où nous publions, pour un viol avec violence commis en réunion à la fin d'une nuit de débauche. « Il y aura un avant et un après Mendoza. » L'avant et l'après des un(e) s est sans commune mesure avec celui des autres.



Cette affaire de Mendoza est survenue un mois après l'ajournement du procès des agresseurs de Marie (l'un d'eux n'était pas en mesure d'y assister). Elle suivait de 24 heures celle de Melvyn Jaminet tenant des propos racistes dans un état manifestement second dans une vidéo que, de lui-même et par erreur, il avait publiée sur Instagram. Il y a eu alors, dans le monde du rugby, comme un trop-plein. Je n'y ai pas échappé.

Ces faits m'ont renvoyé à des récits qui m'avaient été confiés pendant mon enquête sur le meurtre de Chantal Cécillon, à d'autres histoires que l'on raconte, dans le milieu, en se tapant parfois sur le ventre. L'alcool, la fête à l'excès, les filles, les dérapages, et tout cela venait percuter ce que j'avais vu et vécu dans ma modeste vie de joueur amateur, venait aussi percuter notre époque Me Too.

lire aussiQuinze après la condamnation de Marc Cécillon pour le meurtre de son épouse Chantal, un livre revient sur l'affaire
Le 13 mars 2017, Marie a porté plainte. Sept ans après, ses agresseurs seront, à partir du 2 décembre, jugés devant la cour d'assises de la Gironde. Trois d'entre eux pour répondre de viol en réunion, les deux autres pour abstention volontaire d'empêcher un crime contre l'intégrité d'une personne. Présumés innocents, ces cinq hommes sont des (ex-) joueurs de rugby professionnels. Est-ce un hasard ? Je veux comprendre.

Il y aurait comme une matrice, presque un mode opératoire
Existe-t-il une spécificité à notre sport ? J'ose le « notre » - j'y ai joué, je l'observe, le raconte, l'étudie. Dit autrement, le rugby (masculin) par sa nature, sa culture et ce qu'on en fait, au plus haut niveau notamment, contribue-t-il à produire des hommes violents dans la vie civile, et violents à l'égard des femmes ? Poser la question, je précise, n'est pas tirer sur le rugby. « Il faut essayer d'aller plus loin que l'adjectif intolérable, comprendre notre sociologie », a déclaré Fabien Galthié dans un entretien à « L'Équipe ». C'est justement le chemin que j'emprunte.

Dans son déroulement, l'affaire des Grenoblois ressemblerait à l'affaire Auradou-Jegou. Elle renvoie aussi à un probable viol commis en réunion par des joueurs Espoirs de Bourg-en-Bresse, après un match à Vannes en avril. Il y aurait comme une matrice, presque un mode opératoire : match, troisième mi-temps, alcool, proie levée, rapport sexuel ou viol à l'hôtel, selon ce qu'en dit la justice.

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Ces cas s'ajoutent à ces autres agressions sexuelles connues, jugées ou en cours d'instruction, qui ont concerné Josaia Raisuqe et Baptiste Lafond. Ils s'ajoutent aux cas de violences physiques et morales perpétrées dans le cadre conjugal pour lesquelles ont été condamnés Wilfrid Hounkpatin, Mohamed Haouas et George Tilsley, aux cas de violences physiques sur des tiers masculins pour lesquelles Bastien Chalureau, Antoine Battut, Waisea Nayacalevu, Enzo Forletta et Thomas Darmon ont été condamnés, pour lesquelles Cheslin Kolbe aurait pu lui aussi se retrouver devant un tribunal. On peut encore ajouter cette troisième mi-temps virant au drame à Montauban avec ce joueur samoan, Kelly Meafua, sous alcool et cocaïne, qui, en sortie de boîte de nuit, sauta d'un pont dans un élan quasi suicidaire et finit par se noyer.

Le mythe du rugbyman voyou sur un terrain, gentleman en dehors, sort très écorné de cette accumulation d'affaires qui mettent plutôt en scène la figure du bad boy, buveur, cogneur, gros muscles et gros tatouages, misogyne, violeur parfois, celle de l'homme connard en quelque sorte, la masculinité toxique dans toute sa splendeur.

Mal à l'aise, le milieu s'agite. Tout en admettant un problème avec l'alcool, la cocaïne et, du bout des lèvres, la violence, tout en reconnaissant l'urgence d'agir, il scande d'une voix quasi chorale que le rugby ne se résume pas à ces quelques cas qui ternissent une discipline à la vertu formatrice et intégrative exemplaire. Quelques cas ?

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Il y a, depuis l'été dernier, des prises de parole et des déclarations d'intention répétées, de dirigeants, de figures, de consultants, par exemple le serrage de vis promis par Florian Grill, traduit, depuis, par le curieusement nommé « projet de performance renforcé pour le rugby français », dont je parle plus bas. Le rugby, entend-on de toutes parts, est sonné, meurtri, ce sport si porté sur le respect de l'autre a mal.

René Bouscatel, président de la Ligue nationale de rugby (LNR), le dit le 2 septembre à la causerie de rentrée de la LNR : « Malheureusement, on ne peut pas tenir cette causerie sans évoquer les... les trois affaires (après les affaires Jaminet et Auradou-Jegou, la tragique disparition en mer en août du jeune Medhi Narjissi, alors en tournée avec l'équipe de France U18 en Afrique du Sud)... Et là nous avons un gros travail à faire... C'est à nous, c'est de notre responsabilité de... De faire en sorte de limiter les risques, voilà. C'est... Ouais... C'est dur. » C'est dur ? On pense aux victimes. Les femmes violées, les femmes battues ou harcelées, les types molestés.

Le concept tout fait de « c'est un phénomène sociétal » et « générationnel »
Ce qu'on entend aussi, c'est ce concept tout fait, servi à l'envi comme s'il témoignait d'une prise de hauteur relevant de la sociologie, le « c'est un phénomène sociétal » et « générationnel » (Sébastien Chabal, Richard Dourthe et Marc Lièvremont sur Canal+ le 8 septembre ; Malik Hamadache, président de Provale, dans L'Équipe du 29 août) ou « Les maux de la société ne s'arrêtent pas aux frontières du rugby » (Olivier Lièvremont, Directeur technique national, dans La Dépêche du 7 octobre), concept qui, donnant une portée globale, dédouanerait le monde du rugby, au moins en allège la responsabilité propre puisqu'il est atteint comme toutes les autres sphères de la société.

Mais atteint de quoi, au juste ?

Voilà, on y est. Où ? Dans un récit qui fait écran de fumée.

Rares, pour ne pas dire inexistantes, sont les prises de parole mentionnant les mots femme, violence, violences faites aux femmes, viol, agression sexuelle, sexisme. Dans ces discours tenus la mine grave, on reste sur la fête, la fameuse troisième mi-temps, rite nécessaire, indéboulonnable, qu'il faut vivre dans le respect des autres et de l'institution. Mais cette fête, nous dit-on, doit être mieux encadrée, quitte à punir, puisqu'un mal « sociétal », la cocaïne s'ajoutant à l'alcool, la gangrène désormais... et parce que, c'est le DTN qui parle, « les joueurs sont en situation d'être des proies pour la société ».

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Les violences faites aux femmes, et ce qui les sous-tend, hop, envolées. Et ce ne sont pas les deux petites lignes sur 29 pages du « projet de performance renforcé pour le rugby français » proposant, pour les équipes de France, des modules de prévention sur les « violences sexistes et sexuelles » et sur le « harcèlement moral et sexuel », qui vont combler le vide. La cause mérite pourtant qu'on se positionne haut et fort.

Sur l'affaire Cécillon, je m'étais heurté à des freins semblables
Il n'a pas été facile de trouver des gens du milieu acceptant publiquement d'aller au-delà de la réflexion primaire. Je m'étais heurté à des freins semblables lorsque je questionnais le récit du meurtre de Chantal Cécillon. L'ancien troisième ligne Jonathan Best, figure historique du FC Grenoble, fait partie de ces personnes à la pensée et à la parole libres. « Le rugby se revendique différent des autres sports en brandissant ses ''valeurs'', expose-t-il, or les dernières affaires montrent qu'il n'est pas mieux. Mais tout le monde cautionne ce qu'il est puisque les stades sont pleins, les sponsors nombreux, les télés et les téléspectateurs présents... »

Jonathan Best a fini sa carrière à Béziers, de 2016 à 2021. Dans cette ville, rapporte-t-il, on s'extasiait encore sur la légende Armand Vaquerin, pilier du grand Béziers mort dans un bar en jouant, selon la version officielle, à la roulette russe, en 1993. Cela m'a rappelé le culte voué à Marc Cécillon, en Isère.

« Je suis toujours surpris qu'on puisse admirer des gens comme ça, poursuit Jonathan Best. Quand je vois l'ovation réservée à Oscar Jegou pour son retour avec La Rochelle, je suis interpellé. Ce garçon a été suspendu pour usage de cocaïne puis a eu des agissements pas très corrects en Argentine. Les gens ont la mémoire courte. Et je ne vois pas au nom de quoi on dissocierait le sportif, personnage public, de l'homme. »

Le rugby n'est pas que dérives ni violences sexistes et sexuelles, on le sait. Il n'est pas non plus le seul sport concerné. Mais il est aussi cela. Il est proposé ici de regarder en face, et avec l'aide d'apports extérieurs, les coutumes d'un monde et de sa culture viriliste et capitaliste à bien des égards - les deux allant souvent de pair.

LA FABRIQUE DE L'HOMME VIRIL

Un joueur sniffe du rhum à même un bar. On est à l'hôtel Balmoral d'Édimbourg, dans la nuit du 11 au 12 février 2018. Le XV de France vient de perdre contre l'Écosse, c'est le huitième match consécutif des Bleus sans victoire, le rugby français est dans un trou noir. Le joueur en question n'est pas le premier venu. Il n'est pas non plus seul au bar. Le groupe tricolore est scindé en deux, ceux qui, dégoûtés par la défaite, sont couchés, et les autres qui, sans en avoir reçu la permission de l'encadrement, vont passer la nuit entre l'hôtel, un bar et un night-club, enchaîner les bouteilles, les jeux à boire, s'ouvrir là une arcade, ici l'arête du nez à cause de leur ivresse, se battre peut-être.

Six d'entre eux seront sortis de l'avion du retour, le lendemain, par la police écossaise afin d'être interrogés pour une potentielle agression sexuelle commise dans l'hôtel puis libérés. Huit, les plus fêtards, seront exclus par le sélectionneur Jacques Brunel, pour le match suivant.

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Qui étaient ces hommes ? Aucun n'était premier violon d'un orchestre symphonique ou joueur de hautbois. Ces hommes, j'enfonce une porte ouverte, étaient des joueurs de rugby. Ils l'étaient depuis leur enfance pour la plupart, à l'adolescence ils avaient été initiés à la troisième mi-temps et son indissociable compère, l'alcool, que ce temps festif du rugby pousse à consommer sans modération ; initiés souvent par des encadrants adultes. Je n'invente rien. Je ne salis rien. C'est connu, documenté, étudié, la consommation d'alcool est, dans le rugby, une institution, banalisée et ritualisée.

Les psychologues Carole Boyer et Amaël Seddeki, du programme de Prévention des addictions en milieu sportif, qui interviennent auprès des comités et clubs de la Ligue Auvergne-Rhône-Alpes, le confirment. Les sociologues Christophe Bonnet, Yan Dalla Pria et Jean-Marc Chamot publiaient, eux, en 2015, une étude intitulée « Alcool et rugby : anatomie d'une déviance institutionnalisée », dans laquelle ils expliquaient que la troisième mi-temps « préexiste et s'impose aux individus qui n'ont d'autres choix que d'en tirer bénéfice ou de s'y soumettre ».

On boit donc une bière, puis deux, puis plein, on montre ses fesses au carreau pendant le trajet en bus, qu'on dégrade parfois, on pisse à quarante sur la façade d'une station essence, on pique le képi d'un gendarme ou un panneau routier, au bar on casse des glaçons sur le zinc avec le front quitte à s'entailler, on chante des chansons paillardes, parfois on glisse tout habillé sur un tapis de liquides de toutes origines, appuyés au comptoir, on se dit des vérités les yeux dans les yeux, on se dit qu'on s'aime, et que demain on sera plus fort sur le terrain.

« J'ai reçu, dans ces moments de troisième mi-temps, les confidences les plus profondes de certains de mes partenaires sur, par exemple, leur infertilité ou les violences qu'ils avaient pu vivre enfant... »

Vincent Clément, ancien rugbyman pro




C'est l'image d'Épinal, la fête bon enfant, l'amitié qui naît au milieu de verres qui se vident. Et c'est vrai. « J'y ai connu les plus beaux moments d'humanité et de partage, confie Vincent Clément, qui fut capitaine de l'équipe de France U19 championne du monde en 2000, troisième ligne rassembleur à Colomiers, Albi puis Lyon, où il a fini sa carrière en 2013. C'est à ces endroits qu'on se sent le plus proche les uns des autres, que se révèle une vulnérabilité qu'on se refuse sur le terrain car il faut être fort et conquérant. Après le match, on peut se permettre d'extérioriser les failles de notre humanité. J'ai reçu, dans ces moments, les confidences les plus profondes de certains de mes partenaires sur, par exemple, leur infertilité ou les violences qu'ils avaient pu vivre enfant... » Le doux qui suit le rude, comme l'image Daniel Herrero.

Et c'est pour cela, les blagues potaches et l'intimité, pour tous les souvenirs joyeux et d'amitié, qu'on la regarde encore avec tendresse, cette troisième mi-temps, parce qu'elle nous ramène à l'enfance de ce sport et à l'insouciance, que le professionnalisme a balayées - quitte à effacer les souvenirs cuisants, les copains dégobillant à quatre pattes, les copains dansant trop près de la jolie nana, les copains ramenant une fille tellement ivre qu'il faut la faire vomir avant de la..., quitte donc à détourner le regard de ce qui se cache derrière toute cette belle poésie : la déviance. Les comportements à risque. Les faits listés plus haut, la rencontre de ce mode festif et de la nature-même du rugby, sur le terrain, ce que Philippe Liotard, anthropologue spécialiste des violences sexistes et sexuelles dans le sport, pose ainsi : « L'imposition physique sur autrui, individuelle et collective, qui constitue la base du jeu de rugby se retrouve exprimée par les mêmes individus dans l'environnement festif. »

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Les rugbymen, autoproclamés rois de la fête, prennent possession du bar, parlent fort, se chamaillent entre eux, bousculent tout le monde, se mettent à poil, toisent les tristes sires maigrelets qui ne savent pas s'amuser, reluquent et branchent leurs femmes. Elles n'auront d'yeux que pour eux, forcément, irrésistibles dieux du stade, « princes des villes » comme les a surnommés Mourad Boudjellal, l'ancien président du RC Toulon, dans une chronique pour Eurosport, princes qui, en toute impunité, « peuvent boire comme des trous, dit-il, partir sans payer, mettre des mains au cul, provoquer des bagarres et on les excuse parce que ce n'est pas eux mais la troisième mi-temps ».

Kolbe et sa bande avaient pris l'espace, s'étaient mis à draguer les demoiselles pourtant entourées de leur famille
C'est exactement ce qui s'est produit, en avril 2018 dans un bar de Toulouse, quand l'ailier sud-africain Cheslin Kolbe et ses amis ont fini par foutre sur la gueule de la famille Baraque, qui fêtait là un anniversaire. Kolbe et sa bande avaient pris l'espace, s'étaient mis à draguer les demoiselles pourtant entourées de leur famille, n'avaient pas supporté qu'on leur demande de s'en tenir éloignés. Boum. Des circonstances semblables ont provoqué la bagarre dans laquelle Enzo Forletta et Thomas Darmon ont été impliqués, en juillet 2022. Quand ça chauffe, le collectif n'abandonne jamais l'un des siens.

Cette mise en scène de la masculinité qui utilise la force et l'expose relève d'une culture acquise. Elle est le fruit d'une transmission de normes, de valeurs et de comportements valorisés par le groupe, que jeunes joueurs ou novices de tous âges apprennent de leurs pairs et incorporent au même titre que ce qui est valorisé sur le terrain _ les contacts rudes, l'agressivité, le courage, l'engagement. On apprend à affirmer sa virilité en éprouvant sa résistance à l'alcool pour, comme le décrypte Jonathan Best, « montrer au groupe qu'on a du caractère, qu'on est un vrai bonhomme pour jouer au rugby ». D'où les défis et les jeux à boire, la fierté de coucher les autres en tenant mieux qu'eux, le compte le lendemain des bouteilles éclusées pendant la nuit.

Le boire viril, c'est aussi la glorification après coup de s'être mis mal et l'assumer, en rire, même des situations les plus honteuses, les transgressions sont toujours valorisées dans les mondes masculins, le rugby en particulier. Pour autant, montrer qu'on est un bonhomme en buvant n'est pas propre au rugby. De très nombreux univers masculins jouent de ce ressort pour affirmer l'appartenance au groupe des mâles, c'est un héritage social battu et rebattu dans l'imaginaire collectif, voyez Les tontons flingueurs et la fameuse « boisson d'homme ». Le rugby s'est parfaitement intégré au paysage, a même contribué à l'entretenir. Tout cela bien sûr sans que rien ne soit pensé, ni conscientisé. C'est le propre d'une culture dominante de se diffuser en silence.

Il existe tout de même une spécificité au rugby.

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LE CIRCUIT DE LA RÉCOMPENSE

Je n'aime pas les métaphores guerrières, le rugby n'est pas la guerre. Mais il est un combat et c'est ce que met en avant Vincent Clément. Pourquoi l'ai-je interrogé, lui ? Il n'avait jamais caché être de foi chrétienne et je me demandais si l'univers de la troisième mi-temps avait pu heurter son éthique religieuse. On a longuement parlé de ces moments qu'il a mis du temps à apprécier parce qu'au départ, dit-il, il ne les comprenait pas et s'en protégeait de peur de débordements qu'il n'aurait pas su gérer.

« Dans ce sport, a-t-il précisé, on met en jeu notre intégrité physique pendant quatre-vingts minutes et ça exacerbe la pression du sport de compétition. Quand on en ressort indemne, on ressent de la satisfaction, on a alors cette adrénaline à gérer, qui s'ajoute aux émotions suscitées par le résultat, le sentiment d'élévation qui accompagne la victoire, la sensation de toute-puissance quand en plus, individuellement, on a fait un bon match. Pour ces enjeux, la ritualisation de la troisième mi-temps a beaucoup de vertus, elle sert de soupape de décompression pour relâcher la tension montée tout au long de la semaine et qui connaît donc, dans le match, son paroxysme avec notre engagement physique total. Mais cette ritualisation, il faut la penser, voir ce qu'on y met comme intention, comme valeurs, comme éthique. C'est comme ça qu'on peut la réguler. »

La sensation de toute-puissance est souvent décrite par les joueurs de rugby. Ils disent la ressentir dans le vestiaire avant le match, à l'entrée sur le terrain, au coup d'envoi, en cas de victoire, lors d'actions d'éclat et/ou éminemment physiques, quand ils se voient, aussi, sur l'écran du stade. Cette sensation qu'ils vivent chaque semaine manque terriblement quand la carrière s'arrête. Elle manque déjà, pendant la carrière, quand le temps du match et de l'exposition cesse.

« Dans le rugby d'aujourd'hui où tout est théâtralisé, avec des caméras jusque dans les vestiaires, des joueurs dont on fait des gladiateurs, qui doivent n'avoir peur de rien et surtout pas de la douleur, comment les fait-on redescendre de cette tension-là ? », interroge Emmanuel Augey. Cet ancien joueur de haut niveau amateur devenu psychologue et addictologue est intervenu entre 2017 et 2019 dans les clubs pros et leurs centres de formation pour faire de la prévention aux addictions. Il a été, sur ce terrain, un pionnier, pas toujours bien accueilli, mais certains disent qu'il a ouvert une voie et leurs yeux sur des risques jusque-là ignorés.

« Un joueur m'a dit un jour : ''J'arrête de boire parce que, quand je bois, j'adore me retrouver dans l'état dans lequel je suis quand je rentre sur le terrain et j'ai peur de faire une connerie.'' »

Emmanuel Augey, ancien rugbyman devenu addictologue




« Ce contexte de compétition de haut niveau et de spectacle, poursuit-il, sollicite à haute intensité le circuit de la récompense, des hormones du plaisir, de l'humeur et du bonheur, la dopamine, la sérotonine et l'endorphine, des hormones hyper addictives. Il est démontré qu'en sport, plus on a des niveaux d'engagement forts, plus on a de moments de décompression équivalents. On peut ajouter que plus les valeurs masculines y sont fortes, plus le phénomène est encore amplifié. Le rugby est particulièrement vulnérable. Le risque, c'est de chercher à être tout le temps en état de transe. Un joueur m'a dit un jour : ''J'arrête de boire parce que, quand je bois, j'adore me retrouver dans l'état dans lequel je suis quand je rentre sur le terrain et j'ai peur de faire une connerie.'' L'alcool, les médicaments comme les anxiolytiques, les antidépresseurs, les somnifères peuvent aider à se calmer, à trouver le sommeil, à pouvoir être au taf le lendemain, la cocaïne, au contraire, maintient l'état de transe émotionnelle. »

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Est-ce le besoin de décompresser ou, au contraire, celui de se retrouver dans l'état transcendantal de toute-puissance, qui a poussé les Bleus à sortir à plusieurs reprises pendant les trois semaines qu'ils ont passées à Aix-en-Provence, en août 2023, alors qu'ils disputaient leur Coupe du monde ? Ou est-ce simplement par habitude ? Sont-ce ces mêmes besoins qui ont conduit un demi d'ouverture d'envergure internationale à s'envoyer des traits de cocaïne en plein vestiaire ? Qui ont poussé des membres du XV de France, joueurs et staff, à sortir le soir du deuxième test en Argentine, en juillet, alors que deux des leurs étaient en prison et qu'un troisième avait été renvoyé au pays ? Qu'est-ce qui guide ces joueurs internationaux, après un match, à d'abord boire une bière, puis écouter le coach, puis fumer une cigarette, et ils sont nombreux à le faire, avant d'avaler le shaker de récupération qui leur a été minutieusement préparé par les diététiciennes ?

On sent comme tout se rejoint, les usages, quasi automatiques, la sensation de se percevoir surhomme, par son gabarit hors les normes de la société, sa capacité à survivre à une mise en danger de son intégrité physique chaque week-end, par le regard que les autres portent sur soi à travers les caméras, les réseaux sociaux, dans les stades, je pense à ces haies de supporters qui entourent l'entrée des joueurs vers les vestiaires, et le besoin, par moments, de sortir de tout ce cirque pour remettre les pieds sur terre, oublier ces folles exigences.

Un joueur de rugby pro sur trois a des comportements à risque avec l'alcool
Pendant ses deux années d'intervention, Emmanuel Augey a accompagné une doctorante en psychologie de la santé, Aude Rault, qui produisait une thèse sur les déterminants psychosociaux des alcoolisations chez les sportifs. Ce travail a mis en lumière, à l'époque, qu'un joueur de rugby professionnel sur trois avait des comportements à risque avec l'alcool. La proportion montait à un sur deux dans les centres de formation, où chaque « trou » dans le calendrier sportif donnait lieu quasi systématiquement à une alcoolisation massive. Il révélait aussi que les individus fantasmaient les quantités bues par leurs pairs et consommaient ainsi plus pour être à la hauteur des standards supposés du groupe. Il positionnait enfin parmi les principales raisons conduisant à boire le « coping » (de l'anglais, to cope, faire face), ces bières qu'on s'ouvre seul chez soi un soir, puis chaque soir pour soutenir le stress. Voilà, oui, où on en est.

LE FANTASME DE L'HOMME INÉPUISABLE

On dirait, parfois, que ce contexte est tombé du ciel. Que ce rugby qui pressurise ses acteurs au point de déclencher, à la LNR, un plan d'action pour leur santé mentale, ce rugby des matches en prime time, des data, des collisions, des flammes et des sonos plein tube dans les stades, ce spectacle mis en scène et vendu comme une série à suspense avec ses têtes de gondole, corps et gueules bankable qu'on achète et rentabilise, a été créé par une force extérieure à lui-même, comme si personne, dans le milieu, n'en était responsable, n'avait agi pour cela.

René Bouscatel peut prendre une mine défaite, lors de sa causerie de rentrée, président du Stade Toulousain de 1992 à 2017 et donc de la LNR depuis 2021, le produit, il a contribué à le façonner, et pas qu'un peu, ses coulisses, ses coutumes et ses débordements, il les connaît aussi. De même pour Pierre-Yves Revol, président du Castres Olympique depuis 1989, président de la LNR de 2008 à 2012. Ces deux-là sont des genres d'éléphants éternels, Vincent Merling à La Rochelle en est un aussi (1991). Mais même ceux que l'on présente comme des pièces rapportées, Jacky Lorenzetti (2006) ou Mohed Altrad (2011), venues investir leurs gros sous en ovalie, sont là depuis longtemps. Ont-ils fait en sorte, comme l'a dit René Bouscatel, de limiter les risques ?

Tous ont contribué à faire du rugby (pro) ce qu'il est, un système qui demande aux joueurs consentants, c'est vrai - à 19 300 bruts en moyenne par mois en Top 14 et 6 500 en Pro D2 -, de produire un spectacle toujours plus intense, de livrer, semaine après semaine, les performances attendues par leurs entraîneurs, leurs présidents, leurs sponsors, leurs supporters, les télévisions et leurs téléspectateurs, et puis de serrer la cuillère au maire et au partenaire, répondre aux journalistes, préparer l'après-carrière et, autant que possible, éviter de se blesser. L'homme inépuisable, en quelque sorte.

Benjamin Fall, ailier international des années 2010, en dit que les joueurs sont des « vagabonds de luxe ». Lui a connu le très haut et le très bas, des blessures, le chômage et des attentes auxquelles son jeune âge ne le préparait pas, notamment celles relatives au montant de son transfert, le premier du rugby français, 506 000 pour quitter l'Aviron Bayonnais pour le Racing, en 2010.

« La pression te fait changer de visage. Je me suis rassuré par le travail mais le surentraînement amène à la blessure. J'aurais donné un meilleur rugby si je m'étais détaché de tout ça plus tôt.

Benjamin Fall, ailier international des années 2010




« La pression te fait changer de visage, raconte-t-il. Je voulais justifier mais je n'avais pas le même rendement qu'avant. Je me suis rassuré par le travail mais le surentraînement amène à la blessure. J'aurais donné un meilleur rugby si je m'étais détaché de tout ça plus tôt. Mais la concurrence est de plus en plus rude. Il y a trois, quatre mecs par poste. Si on se troue, c'est au suivant et il faut regagner sa place, être productif... Les médias t'observent, les réseaux sociaux te critiquent. Les périodes charnières comme les renégociations de contrat ajoutent un stress. Tu as fait tes investissements, les occupations de ta famille tournent autour de toi : vas-tu retrouver la même durée de contrat, au même montant, le même cadre de vie si tu bouges ? Tu peux en bégayer ton rugby ou te blesser. On touche des bons salaires, on joue dans des grands clubs, mais il y a tout un équilibre social et psychologique à trouver. Or, à chaque changement de club, c'est comme si tu appuyais sur le bouton reset. » Lui a changé quatre fois en quatorze ans, il s'en tire bien.

« Je retrouve chez les joueurs de rugby des comportements psychologiques identifiés chez les chefs d'entreprise », pointe Jean-Luc Douillard. Ce psychologue clinicien en charge du plan de santé mentale de la LNR a auparavant mis sur pied un dispositif national de prévention du suicide chez les entrepreneurs. Il énumère : « Le fonctionnement solitaire, le métier passion, l'engagement de toute son identité, son corps, sa santé, physique et psychique, directement corrélée à la performance, le refus de se sentir fragile et d'exprimer ses émotions, les compensations par le repli sur soi, l'automédication, l'alcool ou le jeu avec l'illusion d'oublier ses difficultés. »

« Le sport de haut niveau coche beaucoup de facteurs de risques psychosociaux, poursuit Valentin Insardi. Le rythme, la pression des résultats, les conflits, le management, la fatigue, la précarité de l'emploi. » Lui aussi psychologue clinicien, Valentin Insardi est ancien joueur pro, ailier à Bourgoin de 2011 à 2017. Il est, depuis le printemps 2023, référent de la cellule psychologique de Provale, le syndicat des joueurs. Il constate « des problématiques importantes en termes d'addiction et de souffrances dépressives, du fait des exigences du sport de haut niveau, aggravées par l'intensité du jeu de rugby qui apporte une contrainte de fatigue supplémentaire. À trente matches par an, il suffit d'une problématique pour tout fragiliser. » Il relève une centaine d'interventions de la cellule en 2024 « sachant, précise-t-il, que le recours à un psy reste un tabou ».

Le monde du rugby aurait cherché à placer ses acteurs en condition de fondre les plombs qu'il ne s'y serait pas pris autrement. Les joueurs sont consentants, c'est dit plus haut. Mais est-ce si facile de tourner le dos au système quand on y dédie sa vie depuis l'adolescence ? Le plus souvent, en intégrant un système, on le fait sien. On se voit, on se veut homme inépuisable.

PRENDRE POSSESSION DES FEMMES

Ces hommes inépuisables mais épuisés, gorgés de testostérone et d'endorphines, on les retrouve, donc, à l'occasion dans des lieux récréatifs, cette fois gorgés d'alcool et parfois d'autres substances - et l'on sait que l'alcool est un facteur de risque dans tous les types de violence. Autour d'eux, d'autres hommes et des femmes. Entre eux, la solidarité. Mais pas que. Dans les bandes d'hommes, souvent on s'observe et se défie, manière implicite mais permanente de tester la virilité de l'autre, par les jeux à boire notamment, comme une forme d'autosurveillance - et c'est aussi ça qui est à l'oeuvre, en rugby, sous des dehors folkloriques rigolards. Mieux vaut participer pour rester dans le groupe.

Cette façon de créer un esprit de corps se retrouve, par exemple, chez les militaires ou les pompiers. Et puis, il y a la drague, le tableau de chasse. « Dans ces groupes, décrypte l'essayiste féministe Valérie Rey-Robert, les hommes vont multiplier les conquêtes féminines, se vanter de le faire, en tout cas montrer que c'est ce qui est recherché. » « Prendre possession des femmes rentre dans le jeu des valorisations viriles, confirme l'anthropologue Philippe Liotard. Dans ces soirées, il y a ceux qui rentrent seuls, et les autres. Ceux qui rentrent accompagnés sont valorisés. »

Les tentations sont nombreuses. Il suffit d'avoir vu une équipe de France débarquer au bar de son hôtel, après un match à Cardiff, pour le comprendre. « Il ne faut pas se mentir, reconnaît Jonathan Best, qui n'a connu ''que'' l'honneur d'être reconnu dans sa ville, on attire le regard des jeunes femmes, on suscite le désir. » Jusque-là, rien de méchant, juste un mode de rencontre hétéronormé ordinaire.

Ce qui se passe ensuite, c'est la prise de possession, justement. Quand l'homme pense disposer d'un objet, une femme. Ce n'est pas propre au rugby, c'est propre aux hommes, à beaucoup d'entre nous en tout cas. Si la demoiselle me sourit, danse près de moi, trinque, est-ce qu'il y a moyen ? Ou, selon l'éducation, il y a moyen, à l'affirmative, voire l'impératif. C'est là que le rugby entre en jeu, comme tout autre milieu ayant ses usages. Ce qu'on a exposé précédemment, l'univers viriliste qui peut avoir son influence. On peut ajouter, comme l'avance Jonathan Best, le sentiment d'être un dieu de l'Olympe que rien ne peut empêcher.

« C'est une vision très ''p****-McDo''. Avec ma mère, ma soeur, d'un côté, et toutes les autres femmes, de l'autre, à qui on attribue des notes et des qualificatifs. Une vision très genrée, machiste »

Cathline Fermet-Quinet, psychologue sexologue




Cathline Fermet-Quinet est psychologue sexologue. Elle est intervenue, il y a quelques années, dans les centres de formation de Perpignan et Bordeaux, auprès de rugbymen aspirants pros, de 16 à 22 ans. Ce dont elle se souvient, c'est d'une « vision très ''p****-McDo'' » comme elle la nomme, « ma mère, ma soeur, d'un côté, et toutes les autres femmes, de l'autre, à qui on attribue des notes et des qualificatifs, une vision très genrée, machiste », qu'elle rapproche de celles des masculinistes ''incels'' (''involuntary celibates'', indésirables autoproclamés qui accusent les femmes de tous les maux) qu'elle peut recevoir à son cabinet, ces personnes qui ont peu de relations avec des femmes, d'amitié notamment.

Elle avait noté l'influence de l'effet de groupe, la discrétion de joueurs qui ne partageaient pas cette vision et le lui confiaient hors séance, de ceux qui cachaient au collectif leur relation amoureuse pour la protéger. Elle insistait sur le consentement, la vulnérabilité et les ravages chez les victimes d'abus auprès de ces jeunes hommes qui, déjà, elle en fut témoin, suscitaient l'admiration, leur faire comprendre, par exemple, que « quand on a rendez-vous avec une nana, on ne se pointe pas avec ses potes ».

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Ce qui se passe ensuite, une fois que la fille a accepté de suivre le garçon, c'est la consommation. Jusqu'où et selon quel mode ? On s'embrasse, on se pelote. On va plus loin ? On imagine le rugbyman face à la femme fluette. La femme fluette qui, soudain, ne veut plus et l'autre, la poigne ferme, incapable de s'arrêter. On imagine la femme fluette qui a dit oui parce qu'elle en avait envie, et puis les copains arrivent, on n'est plus deux mais trois, quatre. On imagine la femme fluette face à plusieurs hommes, grands, baraqués, la femme est ivre, elle ne maîtrise rien, eux rient, l'exploitent, comme dans un p****, éjaculent sur son visage, utilisent des objets, la filment.

C'est ce qui serait arrivé à Marie, à Bordeaux, en 2017. Elle avait, ont estimé les experts, entre 2,2 et 3 grammes d'alcool par litre de sang, c'est colossal. Ses agresseurs ont tourné une vidéo et l'ont montrée ensuite à leurs coéquipiers, manière de leur dire, vous avez vu ce qu'on a dans le slip. Dans l'affaire de Mendoza, Hugo Auradou et Oscar Jegou ont également filmé. Ils ont, eux, partagé ces images sur Snapchat. « Se filmer, c'est comme dans les descentes ou les embrouilles, remarque le ''Dr Kpote'', éducateur en santé sexuelle depuis vingt ans en collèges et lycées, en Seine-Saint-Denis notamment, c'est avoir une preuve, une preuve de virilité, une façon de dire ''tu ne peux pas nier que je suis un vrai mâle''. »

« Quand les hommes violent ensemble, ce qui est en jeu, c'est non seulement leur pouvoir de domination, la transformation d'une femme en objet, mais le rapport des hommes entre eux, écrit Martine Delvaux, dans Le boys club. Violer chacun son tour sous le regard des autres, s'exhiber, choisir de montrer son sexe en érection, (...) commenter la ''prise'', le plaisir, la performance, faire des gestes sexuels et violents collectivement, en se regardant faire... autant d'aspects qui pointent l'importance de l'''être ensemble'' masculin. »

Performer le genre - à son paroxysme, dans le cas du viol - dans le regard des autres hommes pour être sûr d'y appartenir. Ce mal, donc, comme il ronge la société, sévit dans le rugby. Il est essentiel de le dire et le documenter. D'identifier, pour les déconstruire, tous les codes qui forment une culture viriliste et, en rugby comme ailleurs, permettent à des hommes de se sentir autorisés à violer. Plus on le dit, plus on prend ce parti, plus, peut-être, les choses changeront. « La culture aveugle, valide Philippe Liotard, mais une des caractéristiques de la culture, c'est sa potentialité à se transformer. »


Merci pour le partage !
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#214 InASMWeTrust

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    Raoul Bitenbois III

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Posté 13 novembre 2024 - 08:20

Merci, oui. Je ne conserverai qu'une phrase, celle de J. Best. Un constat qui dépasse largement le milieu professionnel, le rugby amateur restant aussi sur ses lauriers, en continuant à se croire différent et hors d'atteinte. 

« Le rugby se revendique différent des autres sports en brandissant ses ''valeurs'', expose-t-il, or les dernières affaires montrent qu'il n'est pas mieux. Mais tout le monde cautionne ce qu'il est puisque les stades sont pleins, les sponsors nombreux, les télés et les téléspectateurs présents... »



#215 Maury

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Posté 13 novembre 2024 - 09:58

Pas mort d’homme ,une chaise qui varie dans sa trajectoire, et puis soirée déguisée comment est on sûr que c’était Lee le fautif .

#216 julien

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Posté 13 novembre 2024 - 10:00

Pas mort d’homme ,une chaise qui varie dans sa trajectoire, et puis soirée déguisée comment est on sûr que c’était Lee le fautif .

 

On applaudit et on fait une standing ovation à Lee lors de la venue de Castres aussi?


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#217 darkminimouf

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Posté 13 novembre 2024 - 10:05

 

On applaudit et on fait une standing ovation à Lee lors de la venue de Castres aussi?

 

On est d'accord, cela n'aurait pas dû arriver.


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#218 Jean Paul Belmondo

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Posté 13 novembre 2024 - 11:02

 

On applaudit et on fait une standing ovation à Lee lors de la venue de Castres aussi?

 

toujours dans la demi mesure ... sans parler de standing ovation ni de bronca .. on peut regretter l'incivilité et surtout qu'une personne ait été blessée ( j'espère légèrement ) sans en faire plus.



#219 julien

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Posté 13 novembre 2024 - 11:09

 

toujours dans la demi mesure ... sans parler de standing ovation ni de bronca .. on peut regretter l'incivilité et surtout qu'une personne ait été blessée ( j'espère légèrement ) sans en faire plus.

 

On a parfois l'indignation sélective sur ce forum.


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#220 Lavande50

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Posté 13 novembre 2024 - 13:37

Dérives dans le rugby : l'origine du mal

Quel article !!! Pas étonnant vu son auteur, mais tout de même c'est à souligner.

Grand merci pour le partage, Néophyte. :flowers:


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#221 cetotomatos

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Posté 13 novembre 2024 - 14:11

 
toujours dans la demi mesure ... sans parler de standing ovation ni de bronca .. on peut regretter l'incivilité et surtout qu'une personne ait été blessée ( j'espère légèrement ) sans en faire plus.


Jugé par des saints, monsieur, pour un banal fait divers monté en épingle par des articles aguicheurs à clic.

#222 Jean Paul Belmondo

Jean Paul Belmondo

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Posté 13 novembre 2024 - 14:23

 

On a parfois l'indignation sélective sur ce forum.

 

Sans parler d'applaudir des deux mains ... INDIGNATION pour un pipi contre une vitrine, une chaise qui vole et qui blesse malencontreusement  quelqu'un ça fait peut être beaucoup.

 

Il y'a malheureusement d'autres sujets tous les jours pour s'indigner réellement.


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#223 Arverne03

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Posté 13 novembre 2024 - 15:12

 

On est d'accord, cela n'aurait pas dû arriver.

 

Exact ! Surtout après les affaires de cet été. Il faut croire que les messages ne sont pas passés bien que le club ait déclaré : " le comportement de ses salariés, dont l’exemplarité sur et en dehors du terrain, est une notion fondamentale et non négociable."  :unsure:



#224 Parigot_Paris

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Posté 13 novembre 2024 - 17:25

Du coup je n'ose plus rien dessiner... :crying:

 

En plusse, vu les mensurations d'Auradou, faut pas que les supporters adverses viennent en mini-bus ! :crying:



#225 Paolinito

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    Joueur de Fédérale 3

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Posté 13 novembre 2024 - 19:46

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Les rugbymen, autoproclamés rois de la fête, prennent possession du bar, parlent fort, se chamaillent entre eux, bousculent tout le monde, se mettent à poil, toisent les tristes sires maigrelets qui ne savent pas s'amuser, reluquent et branchent leurs femmes. Elles n'auront d'yeux que pour eux, forcément, irrésistibles dieux du stade, « princes des villes » comme les a surnommés Mourad Boudjellal, l'ancien président du RC Toulon, dans une chronique pour Eurosport, princes qui, en toute impunité, « peuvent boire comme des trous, dit-il, partir sans payer, mettre des mains au cul, provoquer des bagarres et on les excuse parce que ce n'est pas eux mais la troisième mi-temps ».

Kolbe et sa bande avaient pris l'espace, s'étaient mis à draguer les demoiselles pourtant entourées de leur famille
C'est exactement ce qui s'est produit, en avril 2018 dans un bar de Toulouse, quand l'ailier sud-africain Cheslin Kolbe et ses amis ont fini par foutre sur la gueule de la famille Baraque, qui fêtait là un anniversaire. Kolbe et sa bande avaient pris l'espace, s'étaient mis à draguer les demoiselles pourtant entourées de leur famille,
n'avaient pas supporté qu'on leur demande de s'en tenir éloignés. Boum. Des circonstances semblables ont provoqué la bagarre dans laquelle Enzo Forletta et Thomas Darmon ont été impliqués, en juillet 2022. Quand ça chauffe, le collectif n'abandonne jamais l'un des siens.

Cette mise en scène de la masculinité qui utilise la force et l'expose relève d'une culture acquise. Elle est le fruit d'une transmission de normes, de valeurs et de comportements valorisés par le groupe.

 

Moi mes valeurs, c'est tu vient foutre la merde dans ma famille et tu as plusieurs potes de 110 kg de muscles bourrés comme toi, je cherche même pas, je me sers du couvert le plus près de moi, et je parle pas de fourchette. Avec ces cons là y'a plus à chercher. D'ailleurs j'ai vécu un collègue de rugby qui s'était fait planté à la cuisse pour avoir abusé de la patience d'un couple, j'avais pas trouvé ça si illogique tout compte fait.


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