Lancée ce lundi soir, lors de la Nuit du Rugby, la tirade sonne presque comme un avertissement. Questionné sur la difficulté pour des joueurs comme Mathis Castro-Ferreira et Paul Costes de confirmer après s'être révélé la saison précédente, le coach toulousain Ugo Mola a expliqué : « Maintenant, c'est à eux d'assumer leur statut plus qu'à nous de les remettre sur le terrain. Des joueurs qui ont fait une bonne première année, je peux vous en citer des bonnes dizaines voire des centaines, le plus dur reste la suivante. »
Le constat est clair, la recommandation entendue par les Toulousains Castro-Ferreira (20 ans), Costes (21 ans), mais aussi par l'ailier de Pau Théo Attissogbe (19 ans). Ces trois-là étaient les nommés pour le titre de révélation de l'année (le joueur de la Section a été récompensé) et savent qu'ils vont vivre une année charnière de leur carrière. Lancés à pleine vitesse dans le grand bain du Top 14, parviendront-ils à garder le rythme et à poursuivre leur progression ou connaîtront-ils un coup de frein, comme tant d'autres avant eux.
Ces dernières années encore, plusieurs joueurs de caractère et de talent, de Nolann Le Garrec (Racing) à Baptiste Jauneau (Clermont), ont éprouvé des difficultés lors de leur année dite de la confirmation, avant de reprendre leur marche en avant.
Membres de l'équipe de France championne du monde U20 en 2023 - comme Nicolas Depoortere, Posolo Tuilagi, Hugo Reus, Lenni Nouchi, mais aussi les cas particuliers Hugo Auradou et Oscar Jegou, revenus en France il y a trois semaines mais toujours mis en examen en Argentine - Castro-Ferreira, Costes et Attissogbe savent qu'ils seront attendus dans les prochains mois.
Un nouveau statut à appréhender :
« Ça amène plus de pression »
« La principale erreur est de s'emballer, penser que c'est arrivé alors que ça ne fait que commencer », prévient l'ex-arrière Clément Poitrenaud, aujourd'hui entraîneur de l'attaque du Stade Toulousain, champion de France dès sa première saison à tout juste 19 ans avec les Rouge et Noir (2001). Une première saison réussie est en effet synonyme de nouveau statut. « On m'a beaucoup parlé de cette deuxième année, sourit l'ailier palois Théo Attissogbe. Elle est délicate car il y a plus d'attentes. Déjà envers nous-même, je me fixe certaines exigences, mais aussi du collectif, du club, du public et des spectateurs. Donc forcément, ça amène plus de pression. L'important est de rester détaché de tout ça pour continuer à jouer libéré. Je dois garder mon insouciance avant tout parce que c'est ce qui peut m'aider à continuer d'évoluer dans le bon sens. »
Une approche presque identique que celle du troisième-ligne du Stade Toulousain Mathis Castro-Ferreira : « Il faut rester soi-même. Je veux d'abord penser à mes performances sans me mettre plus de pression. Les différentes attentes, je les prends comme un boost. Je ne veux décevoir personne, mais je m'en sers positivement. »
Son compère à Toulouse, le centre Paul Costes, semble encore plus détaché : « Ce n'est pas un truc auquel j'avais réfléchi parce que j'essaie d'être simple sur ma manière de penser et de fonctionner. Le rugby reste un jeu et j'essaie d'y jouer du mieux possible et donc de prendre du plaisir. » Du plaisir oui, mais la réussite d'une première saison et les premières sélections qui en découlent, amène aussi un changement de statut. Paul Costes l'a bien compris : « L'an dernier, Mathis (Castro-Ferreira) et moi, on n'avait pas de statut propre. Maintenant, il est plus établi. C'est une nouvelle manière de fonctionner, une nouvelle manière d'agir qu'on doit avoir vis-à-vis de nos entraînements, de nos matches. Les performances passeront par une remise en question. »
Un sentiment partagé par Castro-Ferreira : « L'erreur est de se reposer sur le passé. La remise en question est primordiale. Le travail reste la clé. » « Je n'ai pas envie de me fixer de limites, avoue pour sa part Attissogbe, capé en équipe de France cet été en Argentine. J'ai envie de faire une année encore meilleure que celle de l'année dernière. »
Anticiper le contrecoup physique :
« Notre corps n'est pas habitué »
En découvrant le Top 14, les jeunes joueurs pas encore totalement développés physiquement se confrontent à des cadences exigeantes et une intensité dévorante. Pour leur deuxième saison au plus haut niveau, il leur faut digérer ces premiers mois d'efforts. « Physiquement, il faut se développer, c'est un gros boulot, du travail en plus », note Castro-Ferreira.
« Forcément, le risque de contrecoup physique existe, estime Attissogbe, qui a disputé 29 rencontres toutes compétitions confondues la saison dernière, enchaînant la tournée des Bleus à l'issue du Championnat. On est très jeunes, notre corps n'est pas habitué à faire une saison à plus de 25 matches. Mais pour ma part, je suis bien entouré à Pau, je sais que physiquement, ils essayent de me gérer du mieux possible pour que ce contrecoup n'arrive pas. »
Son entraîneur à la Section, Sébastien Piqueronies, développe : « L'athlète de rugby n'est pas programmé pour être performant mentalement, physiquement, ou pour avoir son plein d'énergie 52 week-ends par an. À partir de là, il faut aider les jeunes, les préparer, bien planifier, travailler avec les staffs des sélections, parce qu'ils y sont souvent appelés. Et ça, tu le fais dans un environnement chaotique, parce qu'il se passe plein de choses que tu n'as pas prévu. » Au premier rang desquelles les blessures, qui bouleversent les prévisions, freinent les progressions et peuvent instiller le doute dans l'esprit de ces jeunes joueurs.
Il y a un an, le Clermontois Baptiste Jauneau avait ainsi connu un premier passage à vide à l'ASM après s'être blessé à une cheville. Son manager Christophe Urios expliquait alors : « Avec ces pépins physiques, il était pataud, son jeu en souffrait mais il voulait en faire plus. » Un autre engrenage à éviter.
L'appui des partenaires :
« Je prends exemple sur eux
Et pour appréhender au mieux ces débuts de carrière dans la lumière, les jeunes promesses peuvent compter sur tout un tas de soutiens. Celui de leurs entraîneurs, bien sûr, mais aussi celui de coéquipiers plus anciens, passés par là avant eux. « J'ai la chance d'être bien entouré au Stade Toulousain avec des joueurs qui m'aident à grandir comme Alexandre (Roumat), Jack (Willis), François (Cros), Antho (Jelonch), insiste Castro-Ferreira. Je prends exemple sur eux et je leur demande des conseils pour savoir comment ils ont réussi à franchir à chaque fois un step supplémentaire. »
Mais un appui plus intime et plus solide se crée entre les révélations qui évoluent dans un même club. Ils traversent les premiers soubresauts de leur vie de rugbymen ensemble et peuvent compter les uns sur les autres. « C'est surtout facilitant dans les périodes qui sont un peu plus compliquées, confirme Costes en évoquant ses potes toulousains (Castro-Ferreira, Merkler, T. Ntamack). Quand on est jeune, qu'on ne sait pas si on va jouer, qu'on ne comprend pas pourquoi on ne joue pas... Ce sont ces moments-là qui nous font nous resserrer. »
À un ou deux ans près, les joueurs peuvent prendre en exemple leurs grands frères pas beaucoup plus âgés qu'eux. « J'ai la chance d'avoir Émilien (Gailleton) au club, souligne Attissogbe. Il a suivi une trajectoire un peu similaire à la mienne un an avant moi. On parle souvent. Je sais qu'il a eu un petit coup de mou en début de saison dernière. J'ai observé ce qu'il a fait et j'ai vu qu'il a persévéré, qu'il a continué à travailler très très fort. Et au final il est revenu au très haut niveau. Donc j'ai juste pris cet exemple : travailler fort, persévérer et continuer à croire en nos capacités. »
Ils doivent exploser : S'ils ont grappillé du temps de jeu la saison dernière, Louis Penverne, Alexandre Kaddouri, Hugo Reus (La Rochelle) et Zaccharie Affane (UBB) tenteront de passer la vitesse supérieure cette année. Tout comme Andy Timo qui a un petit peu joué avec Paris mais surtout décroché la médaille d'or olympique avec l'équipe de France à 7. Thomas Duchêne (Clermont), Lino Julien, Noa Zinzen (Racing), Thomas Lacombre (Toulouse), Brent Liufau, Clément Mondinat (Pau), Esteban Capilla (Bayonne), Maxence Biasotto (Brive) et Maël Moustin (Montpellier) essayeront de prouver leur valeur à l'entraînement pour gagner du temps de jeu.
Quand tu débarques, personne ne te connaît. L'avantage, c'est que tu surprends les gens ! Une fois qu'on a mis un nom sur ton visage, la surprise n'existe plus. Ton jeu est analysé, décortiqué. Tes adversaires mettent en place des choses pour te contrer, t'empêcher d'exprimer tes qualités. Il faut donc être encore plus fort sur tes points forts et avoir la capacité de faire évoluer ton jeu. C'est l'une des clés. Les attentes sont également différentes, plus élevées. Si le joueur sait exactement ce qu'il souhaite devenir, la pression sera moins forte.
Quels conseils donneriez-vous à Théo Attissogbe, lauréat 2024, ou à un jeune joueur pour confirmer et réussir ensuite leur carrière ?
Le principal conseil serait d'avoir une idée claire de ce qu'ils veulent accomplir dans le rugby. Souvent ça n'est pas le cas. Le but d'un joueur est d'être professionnel, de gagner un titre ou d'être en équipe de France. Mais pour moi, ce ne sont pas des objectifs clairs. Prenez Antoine Dupont, il est professionnel et international. D'autres sont professionnels et ont aussi quelques sélections, mais le delta est énorme. Il faut avoir une idée claire du joueur qu'on souhaite être. Je parle d'objectifs de comportement.
« À la fin de ta carrière, comment souhaites-tu qu'on se souvienne de toi ? »
Pouvez-vous développer ?
Si je prends mon exemple, j'ai débuté chez les pros à 18 ans, j'ai été international à 20 ans et j'ai participé à la Coupe du monde à 23 ans (en 2007). Tout est allé très vite. Tu fais quoi derrière ?
Le danger guette. Comment rebondir ensuite ? J'ai aussi été capitaine de toutes les sélections jeunes en équipe de France, capitaine de Béziers à 20 ans, je pensais que ma carrière était faite. Je n'avais pas besoin de réfléchir, tout s'enchaînait. D'un coup, tout s'est arrêté. Pendant cinq ans, je n'ai pas mis les pieds en équipe de France. Je me suis rendu compte que d'avoir des objectifs de sélections ou autre, que je n'atteignais pas, avait un impact négatif. Je me suis concentré sur moi. Il faut se poser cette question : à la fin de ta carrière, comment souhaites-tu qu'on se souvienne de toi ? J'ai mis du temps à y répondre pour le mettre en place. Quand tu te fixes un objectif d'attitude, tu peux t'améliorer continuellement.
Avec le recul, si vous aviez pu changer une chose, ce serait quoi ?
D'avoir un mentor beaucoup plus tôt, un joueur expérimenté qui avait déjà vécu ce que j'étais en train de vivre. Être bien accompagné est capital. Ça passe tellement vite que la simple expérience propre ne suffit pas pour éviter certains écueils. Enfin, un environnement stable crée un joueur stable. Y arriver seul est impossible ! »