Tenir le ballon, oui, mais pas dans son camp
« Il ne faut pas hésiter à les jouer. Il faudra de l'alternance et pourquoi pas jouer un peu plus large »
Yann Delaigue, ancien ouvreur international, consultant pour France Télévisions
Les rares vainqueurs de l'Irlande ces dernières années (Nouvelle-Zélande 2022, 2023 et 2024 ; Afrique du Sud et Angleterre 2024) ont d'abord réussi à limiter la pression verte dans leur camp, en évitant d'y traîner ballon en mains. C'était l'erreur commise par les Bleus à l'Aviva Stadium il y a deux ans. Peut-être grisés par un essai magnifique de Penaud, lancé depuis ses 22 mètres, les Bleus avaient surjoué dans leur camp, y laissant beaucoup d'énergie et s'exposant aux contres sur des turnovers.
En revanche, à partir de la zone des 40-40 (entre les lignes des 40 mètres), jouer les Irlandais à la main n'est pas si saugrenu. Les Gallois, vaincus mais dans des proportions moins larges que prévu le 22 février (18-27), l'ont montré en allant parfois chercher les extérieurs et déceler quelques espaces loin des zones de combat. Ils n'avaient en tout cas pas hésité à tenir le ballon (62 % de possession en première période, 57 sur l'ensemble du match). Comme les Néo-Zélandais en novembre (58 %), qui avaient plus insisté dans l'axe avec des rucks rapides, des avants capables de gagner leurs duels sur du jeu à une passe (Sititi, Savea...) et des animations courtes autour de l'ouvreur Damian McKenzie.
« Il ne faut pas hésiter à les jouer, estime Yann Delaigue, ancien ouvreur et consultant pour France Télévisions. Il faudra de l'alternance et pourquoi pas jouer un peu plus large, mais le système des Bleus est plus efficace au près, où il faudra essayer de les user dans ce jeu autour de Dupont, avec un bon soutien offensif. » S'il faut aller chercher les trois-quarts, les Bleus ont aussi des mains devant avec Atonio, Flament, Meafou ou encore Roumat pour déclencher du jeu devant la défense ou des passes dans le dos. À condition de le faire dans le camp irlandais.
Gagner, ou du moins ne pas perdre, la bataille des airs
« Ils sont tellement efficaces sous leurs chandelles, avec ce choix quasi systématique de volleyer le ballon. Il faudra peut-être prévoir un joueur dans leur camp pour tenter de le récupérer »
Yann Delaigue
C'est la ritournelle qui revient avant chaque match contre l'Irlande : les chandelles vont tomber dru. Sur les trois premiers matches du Tournoi, les hommes en vert ont joué 93 fois au pied.
Les nouvelles règles interdisant les escortes sous les jeux au pied ont rendu les duels en l'air plus incertains et les Irlandais y ont certainement vu un moyen d'insister dans ce domaine, avec leur ailier James Lowe en maître sauteur/volleyeur. Quand les Bleus ont gagné à Dublin en 2021 (15-13), l'arrière Brice Dulin avait été très solide en l'air. En novembre, le Néo-Zélandais Will Jordan, aligné en 15, n'avait pas perdu un duel.

Samedi, les Bleus devront faire face avec un triangle probablement composé de Thomas Ramos à l'arrière et Louis Bielle-Biarrey et Damian Penaud sur les ailes. « Je reste inquiet là-dessus, poursuit Delaigue. Ils sont tellement efficaces sous leurs chandelles, avec ce choix quasi systématique de volleyer le ballon. Tactiquement, comme il n'y a pas de hors-jeu, il faudra peut-être prévoir un joueur dans leur camp pour tenter de le récupérer. L'essentiel reste de récupérer ces ballons, peu importe le moyen. »
La bataille des airs se jouera aussi en touche, où les Bleus avaient pris une leçon au Vélodrome l'an dernier, ce qui avait permis aux Irlandais de lancer des séquences décisives, via des ballons portés ou des lancements cliniques. En novembre, la Nouvelle-Zélande avait contré trois touches irlandaises et signé un 8/9 sur ses lancers. C'était 8/8 lors du quart de finale de Coupe du monde (et 2 ballons volés), 14/15 pour les Anglais de 2024 (2 ballons volés), 15/15 pour les Bleus de 2021 et une touche volée par François Cros sur un 50-22 irlandais qui avait pesé très lourd en 2022. Parfait depuis le début du Tournoi, (38/38), l'alignement français devra rester dans ces standards samedi.
Physicality, physicality, physicality
Densité physique, puissance, intensité... Cet anglicisme qui n'a pas de traduction littérale en français regroupe tous ces éléments, déterminants face à l'Irlande. Les Bleus du Grand Chelem 2022 avaient fait tomber les Verts en les asphyxiant dans le jeu au sol, avec un pressing d'enfer (cinq ballons volés) et un engagement total pour gagner les duels. C'était le rugby d'une autre époque, celui de la dépossession, mais l'intensité exigée pour tenir face aux Irlandais n'a pas baissé.
En novembre, les Néo-Zélandais avaient aussi gratté cinq ballons au sol, une sacrée performance face au jeu huilé des Irlandais. Circuler rapidement en défense, ce que les Bleus n'avaient pas réussi à faire il y a un an à Marseille, bien choisir les moments pour contester les ballons au sol et plaquer à tour de (gros) bras sont aussi des impondérables. Lors du quart de finale de la Coupe du monde, les Néo-Zélandais avaient terminé à 226 plaquages, dont 22 pour le seul Sam Cane.
Dans le combat, les Bleus de 2025 semblent armés pour rivaliser. Il faudra cependant faire mieux en défense où les hommes de Fabien Galthié ont encore affiché des manques en Italie, avec trois essais encaissés, qui avaient un peu terni le large succès (73-24). « Ils ont réussi à nous battre au milieu du terrain, ça va donner des indications à nos futurs adversaires », présageait alors Galthié. Face aux rudes avants irlandais et une paire de centres Aki-Henshaw, il faudra avoir les épaules solides.