Ce sont des choses qui, en temps normal, se discutent en coulisses. Par mail, les jours précédant le match, les staffs des deux équipes échangent avec le corps arbitral, pour « tester » une idée ou, le plus souvent, pointer les mauvaises habitudes du futur adversaire. Un lobbying autorisé et plutôt vertueux, dans un sport où la règle est soumise à interprétations, chaque camp en profitant pour jouer avec, dans des situations souvent trop confuses pour que les arbitres y voient clair.
Ce jeudi, dans une sortie forcément préparée, Fabien Galthié a mis ce lobbying sur la place publique. À une question concernant la stratégie de l'équipe de France face à l'Irlande, samedi, le sélectionneur a répondu : « Tout dépendra de qui aura le ballon. Il faut jouer notre rugby. En face, l'Irlande va nous en empêcher. On a donc besoin d'être accompagné par un arbitrage déterminant et cohérent. Qu'est ce qui est toléré ? Pas toléré ? Il faut de l'équité sur les points clés comme les phases de conquête, la mêlée. Être jugés de façon équitable sur la lecture des ballons portés, sur la lecture du jeu au sol car on veut mettre de la vitesse. On a besoin de jouer avec le corps arbitral. »
Le discours est habile. Il crée deux camps : celui d'une équipe de France tournée vers le rugby positif voulu par la Fédération internationale ; et celui de l'Irlande, qui voudrait « empêcher » le jeu d'attaque en utilisant des moyens pas forcément licites. À l'arbitre, l'Australien Angus Gardner, de choisir son camp...
En évoquant ces questions devant les médias, Galthié espère par ailleurs donner plus de poids au discours tenu en coulisses, afin que les fautes claires soient vues et que certaines manies irlandaises plus équivoques soient considérées comme de l'antijeu par M. Gardner au coup d'envoi, samedi.
De quelles attitudes le sélectionneur parle-t-il précisément ? Avec « l'atelier rucks » organisé mardi à l'entraînement, on pouvait deviner que les Français se préparent à une bataille confuse dans ce secteur. Avec des plaqueurs irlandais sortant vicieusement de la zone ou se relevant carrément dans le camp adverse, ainsi que des soutiens qui tombent chez l'adversaire après avoir changé leur axe de poussée.
Autant d'actions qui ralentissent l'attaque, mais parfois réalisées de manière assez subtile pour ne pas être pénalisées. Ce qui avait attiré ce commentaire de l'entraîneur rochelais Ronan O'Gara après le récent match de Champions Cup contre le Leinster (défaite 14-16, le 12 janvier), succursale du XV du Trèfle : « Leur intelligence autour des rucks est intéressante. Ils sont assez malins pour ne pas être sifflés mais avoir juste une réprimande de l'arbitre. » Avec sa sortie, on comprend que Galthié espère que M. Gardner sifflera plus qu'il ne parlera.
Autre point sensible, si l'on suit le discours du sélectionneur : la défense irlandaise sur les ballons portés. Le dernier match contre le pays de Galles (victoire 18-27 des Irlandais) a donné quelques exemples des comportements dénoncés par le staff tricolore, avec des sauteurs qui tapent sur les bras du preneur de balle en touche quand il retombe (ce qui avait été pénalisé) ou des poussées anticipées.

De quel poids peut peser le lobbying public de Fabien Galthié samedi, sur la pelouse de l'Aviva ? Cela a été fait avec assez de tact pour ne pas braquer Angus Gardner, mais ça ne garantit pas que l'Australien « cède » à la pression ou adhère entièrement à la vision tricolore. Il est par ailleurs à peu près sûr que le staff irlandais a fait le même travail de son côté...