1993 est l’année que François Mitterand, avec un certain aplomb socialiste qui ne manquait pas de surprendre chez cet homme qui ne l'était pas, qualifiait la quatorzième de son règne, car il était déjà sénile. Après des années d’un mariage de raison, où l’amour avait manqué, Tchèques et Slovaques actaient enfin leur divorce : les Tchèques arrivés premiers à Prague, les Slovaques se devaient, dans l’urgence, de trouver une capitale ; ce devait être Bratislava, morne bourgade dont même Magris ne sait trop quoi dire. Quelques barbus se rendaient en Amérique pour une répétition générale. Un vent hiémal s’abattait sur la Belle Province, pour le plus grand désespoir des québécois et le plus grand délice de Gourine, tout heureux de découvrir son mot préféré dans ce modeste almanach. Un Chrétien devenait premier ministre du Canada, tandis que le dynamique Balladur redonnait l’espoir aux français, sans toutefois que cela suffise à Bérégovoy. Toute une génération d’enfants découvrait, fascinée, les dinosaures, et aussi que Spielberg pouvait faire un bon film. Ferré mourrait sans avoir pu chanter Feldman, morte dans l'obscurité quelques mois avant lui. Les troupes russes se retiraient de pays voisins, jurant de n’y jamais revenir. Deux Faucons américains se posaient maladroitement à Mogadishu. Deux amoureux du cirque, l’un français, l’autre italien, faisaient leur dernier tour de piste. Golding mourait, et les mouches changeaient de coche. Le Marseillais pleurait de joie en voyant ses anciens petits camarades de classe être à jamais les premiers. Carbajal et Gonzales se livraient à un combat titanesque. Dizzy disparaissait et le jazz, sans être pour autant mort, avait, dès lors, quand même “une drôle d’odeur”. Oslo connaissait son heure de gloire, et la paix n’allait jamais sembler aussi proche. L’Europe naissait, un peu confuse, et sans trop savoir ce qu’elle voulait être plus tard.
Voilà, pêle-mêle, ce qui surnage confusément de l’année 1993, oubliée aujourd’hui. L’histoire néglige presque toutes ces particularités, et ne peut faire autrement ; l’infini l’envahirait. Pourtant ces détails, qu’on appelle à tort petits — il n’y a ni petits faits dans l’humanité, ni petites feuilles dans la végétation — sont utiles. C’est de la physionomie des années que se compose la figure des infamies.